Médiateur
Allocution de M. Joaquin Ruiz-Gimenez Cortès,
Défenseur du Peuple (Espagne)
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et messieurs les ministres,
Monsieur le Président du Conseil économique et social,
Monsieur le Médiateur,
Mesdames, messieurs,
Je tiens, monsieur le Médiateur, a vous remercier, au nom de tous nos collègues, et de moi-même, de votre gentille invitation à participer à cette cérémonie ; c'est pour nous tous un honneur et je voudrais rendre un hommage de loyale solidarité à votre personne et à votre haute mission, que vous exercez avec tant de dignité et d'efficacité.
Le Défenseur du Peuple est le dernier né des Ombudsmans et la plus récente illustration du développement croissant et du renforcement progressif de cette Institution. Je suis donc bien conscient du privilège que vous m'accordez en me donnant la parole dans cette solennelle célébration du dixième anniversaire de la création (de l'Institution) du Médiateur. D'une part, c'est un honneur qui me réjouit et m'encourage en tant que témoignage de votre amitié, monsieur Fabre ; d'autre part, c'est un privilège que m'inquiète et, en quelque sorte, m'intimide un peu aussi, non seulement parce que je dois m'exprimer - et avec quelle maladresse - dans votre belle langue, mais aussi parce que je dois parler au titre, non mérité, de porte-parole de ceux qui depuis de longues années, voire depuis plus d'un siècle, (comme le cas de la Suède) accomplissent la tâche fondamentale de la défense des libertés civiles et des droits de l'homme face aux erreurs, aux abus ou aux défauts de l'Administration.
En profitant de votre compréhension, je vais essayer de souligner une triple signification de l'événement qui aujourd'hui nous réunit.
1. Cette fête est, tout d'abord, la fête d'un joyeux anniversaire. Dix ans, c'est encore trop peu de temps pour chanter victoire. Car la mission du Médiateur n'est pas une mission facile, cela nous semble bien évident nous trouvant nous mêmes affrontés à des problèmes de la même nature.
Mais on peut déjà affirmer, en stricte justice, que le bilan de cette décennie est clairement positif. Cela ressort non seulement des données, scientifiquement vérifiables, que contiennent les rapports annuels rendus par l'Institution. Cela ressort aussi de la " Communis opinio " de ceux qui en Espagne et ailleurs, ont analysé, parfois avec un esprit critique, la tâche accomplie par le Médiateur.
Le fait même qu'il s'agissait d'une institution neuve, jeune exigea plus d'effort et d'imagination qu'il n'aurait fallu s'il s'agissait d'institutions enracinées à travers les siècles.
Certes, un historien pourrait trouver des précédents dans le passé, notamment au cours du Moyen Age, de chaque avance juridique ou politique. Ainsi, les Anglais peuvent rappeler la Magna Carta de Jean sans Terre de Mille deux cent vingt cinq (1225). Les Espagnols pourraient évoquer les décrets d'Alphonse XI dans les Cortès (états généraux) de Léon de Mille cent quatre vingt huit (1188) où les Pragmatiques de Pierre 111 d'Aragon. Il semble donc très opportun d'évoquer ici, en France, le fait qu'en mille deux cent quarante sept (1247), sous le Conseil de la régente Blanche de Castille, son fils Louis IX, le futur Saint Louis, envoya des lettres patentes en chargeant des enquêteurs de la mission de " recevoir par écrit et examiner, suivant la forme que nous leur avons indiquée, les plaintes que l'on peut faire valoir contre nous ou nos ancêtres, ainsi que les dires relatifs aux injustices, exactions et toutes autres fautes dont nos baillis, prévôts, forestiers, sergents et leurs subordonnés se seraient rendus coupables depuis le commencement de notre règne ".
On a écrit avec sagesse (Régine Pernoud, La Reine Blanche, édition Albin Michel, Paris, 1972) " qu'auparavant quand les rois envoyaient par le royaume des délégués, baillis ou sénéchaux chargés de les représenter dans la gestion des intérêts locaux, c'était essentiellement au profit de la royauté elle-même, pour surveiller les agents inférieurs ; (mais) avec les enquêtes ordonnées en 1247, il ne s'agit plus de surveiller les mécanismes de son administration s'il est permis d'employer ce terme encore anachronique pour l'époque.
Les " Seigneurs enquêteurs " auront à faire directement au peuple ; ce ne sont ni grands prélats ni de grands seigneurs, mais de, ces frères mendiants qui par vocation sont mêlés au peuple : des franciscains, des dominicains ; on les nomme " les frères qui s'occupent des restitutions " ; leur mission consiste à faire rendre gorge aux agents du roi toutes les fois que ceux-ci ont abusé de leur pouvoir ".
Ce fait historique si éloquent, mais trop lointain, ne nous oblige cependant pas à rectifier notre jugement : le Médiateur a su, sans compter sur des précédents immédiats, bâtir sur terrain vierge, et " hacer camino al andar " - faire du chemin en marchant - comme aurait dit notre Antonio Machado qui dort son sommeil de liberté, de justice et de paix, dans cette accueillante terre de France.
2. Une terre, un peuple - et je vous livre ma deuxième réflexion - qui a vécu la première grande révolution contemporaine pour la liberté de tous les êtres humains. Un peuple qui a écrit la " Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen " de 1789, qui aura bientôt deux siècles ; un peuple qui a inscrit sur ses drapeaux et dans ses textes, la devise " Liberté, égalité, fraternité ".
Tout au long de presque deux siècles, la France a su rester fidèles à ces valeurs et à ces principes fondamentaux, au-delà d'épisodes sanglants et de douloureuses expériences.
Et surtout, ce qui retient plus notre intérêt : un peuple qui a su consacrer dans son Droit public (constitutionnel et administratif) un système très complet de lois, de règlements et d'instructions qui ont un but : la protection des libertés des citoyens.
Il suffit de signaler ici le remarquable parcours du Conseil d'Etat. Ses arrêts ont servi de source et de base non seulement au Droit administratif français mais aux Droits administratifs de divers Pays, dont l'Espagne.
Nous pouvons dire sans exagération que la création du Médiateur en mil neuf cent soixante treize a parachevé l'édifice de l'Etat de Droit. Il lui a donné plus de souplesse et l'a rendu plus adapté aux demandes des citoyens. Il a, au-delà de la protection des droits civils et politiques, promu et encouragé aussi les réformes et l'amélioration des services publics. Tout ceci permettra, enfin, de satisfaire pleinement et réellement les droits économiques, sociaux et culturels. Des droits qui se trouvent désormais consacrés dans les constitutions de beaucoup de pays, dans les traités et conventions internationales, mais qui sont loin d'obtenir une protection efficace.
En somme, la tradition française de défense des libertés est vive et puissante. Cette réunion n'est qu'une preuve de plus, parmi d'autres.
3. Mais il y a dans cette réunion ce qu'on pourrait appeler une troisième dimension.
La présence ici - à côté des nombreuses personnalités du Gouvernement et de la société française - des Ombudsmans de presque toute l'Europe, donne à cette réunion un profond sens transnational.
Même si nous respectons sincèrement l'opinion et la pensée de ceux qui n'ont jamais reconnu la vraie portée de la mission de l'Ombudsman dans la société contemporaine, il faut réaffirmer, une fois de plus, que la naissance et le renforcement progressif de cette institution, n'est pas gratuit ni dû au hasard.
Aujourd'hui, le citoyen faisant partie d'un Etat démocratique - le seul où l'on puisse parler d'Ombudsman - tout en ayant ses droits reconnus dans les textes constitutionnels a besoin plus que jamais de l'appui et du soutien des pouvoirs publics pour pouvoir vraiment exercer ses droits.
C'est un fait inéluctable que le citoyen dépend de plus en plus des services publics. C'est donc normal que l'Ombudsman soit devenu une pièce importante dans tout le système de contrôle du pouvoir et de l'administration, avec le Parlement et les juges.