Pendant la période étudiée, du 1er janvier
1993 au 31 juillet 1997, le secteur compétent de la médiature
a reçu, si l'on ne tient pas compte des requêtes
présentées par les " sans-papiers de Saint-Bernard
", deux cent cinquante-quatre réclamations relatives
à des refus d'autorisation de séjour. Sur ce total,
16 % consistaient en fait en des demandes de renseignements sur
les démarches à accomplir afin d'obtenir un titre
de séjour. Cette proportion importante peut révéler
la complexité du régime de délivrance des
autorisations de séjour en France.
A. LES CONJOINTS DE FRANÇAIS ET LES PARENTS D'ENFANTS
FRANÇAIS : DES REFUS SOUVENT INJUSTIFIÉS
L'examen de ces réclamations révèle que 20
% des refus de titres de séjour, autres que les demandes
de regroupement familial, ont été opposés
à des conjoints de Français ou à des parents
d'enfants français, et dans la quasi-totalité des
cas, le motif invoqué par l'administration était
le séjour irrégulier du demandeur.
En vertu de l'article 15 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative
aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers
en France, dans sa rédaction issue de la loi du 24 août
1993, la carte de résident n'est délivrée
de plein droit aux conjoints de Français et aux parents
d'enfants français, que, notamment, s'ils sont entrés
régulièrement en France et s'ils sont en situation
régulière à la date de leur demande. Par
conséquent, l'administration peut, en se fondant sur l'irrégularité
de l'entrée ou du séjour, refuser de leur délivrer
une carte de résident. Ce même motif la conduit à
leur refuser une carte de séjour temporaire. Or, ces mêmes
étrangers, en vertu de l'article 25 de l'ordonnance ne
peuvent faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière
ou d'un arrêté d'expulsion, sauf en cas de nécessité
impérieuse pour la sûreté de l'État
ou pour la sûreté publique, ou si l'étranger
a été condamné à une peine d'emprisonnement
ferme au moins égale à cinq ans. Ainsi, sous réserve
des exceptions précitées, ces étrangers sont
maintenus en situation irrégulière, alors qu'ils
ne peuvent être éloignés du territoire.
Dans la quasi-totalité des cas dont le Médiateur
de la République a été saisi, et à
l'issue de son intervention auprès des préfectures
concernées, un titre de séjour a été
délivré aux intéressés.
Ressortissant camerounais entré en France en 1981 pour
y poursuivre des études, M. E... s'est maintenu sur le
territoire en situation irrégulière depuis le 23
septembre 1987.
Il vit depuis 1984 avec une Française avec laquelle il
a eu un enfant qu'il a reconnu en août 1990.
À la suite de la déclaration d'exercice d'autorité
parentale conjointe sur leur enfant, formulée devant le
tribunal d'instance compétent par les intéressés,
M. E... a sollicité la régularisation de sa situation
administrative et l'octroi de la carte de résident en qualité
de père d'enfant français.
Le préfet lui a opposé un refus en se fondant sur
son séjour irrégulier depuis 1987.
Après l'intervention du Médiateur de la République,
cette autorité a accepté de délivrer une
carte de résident à M. E... (réclamation
no 94-3296, transmise par M. Maxime GREMETZ, député
de la Somme).
En revanche, dans le cas de la réclamation de Mme A...,
ressortissante malgache, le Médiateur de la République
n'a pu obtenir d'un préfet qu'il revienne sur sa décision
de refus.
Mme A... est entrée en France en 1983 pour y poursuivre
des études. À l'issue de celles-ci, elle n'a pu
obtenir de titre de séjour en qualité de "
salariée " et s'est trouvée en situation irrégulière
à partir de mai 1991. En décembre 1992, elle a donné
naissance à un enfant de nationalité française
et a sollicité une carte de résident le 31 août
1993. Mais le préfet lui a opposé un refus en raison
de l'irrégularité de son séjour, malgré
l'avis favorable de la commission de séjour consultée.
Le Médiateur de la République n'a pu infléchir
sa position (réclamation no 94-1608, transmise par M. Franck
SÉRUSCLAT, sénateur du Rhône).
La loi du 24 avril 1997 a modifié les conditions d'octroi
de titres de séjour à ces étrangers. En effet,
l'article 12 bis de l'ordonnance permet d'accorder de plein droit
une carte de séjour temporaire aux parents d'enfants français
sans condition de régularité de l'entrée
sur le territoire ou du séjour et aux conjoints de Français
sans condition de régularité du séjour.
Depuis l'entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions,
aucune réclamation n'a été présentée
par cette catégorie d'étrangers.
B. LE REGROUPEMENT FAMILIAL
En application de l'article 29 de l'ordonnance de 1945, le ressortissant
étranger qui séjourne régulièrement
en France depuis au moins deux ans, sous couvert d'un titre de
séjour d'une durée de validité d'au moins
un an, a le droit de se faire rejoindre, au titre du regroupement
familial, par son conjoint et les enfants du couple, mineurs de
dix-huit ans. Les membres de la famille, entrés régulièrement
sur le territoire français au titre du regroupement familial,
reçoivent de plein droit un titre de séjour de même
nature que celui détenu par la personne qu'ils sont venus
rejoindre, dès qu'ils sont astreints à la détention
d'un tel titre.
Le regroupement familial peut toutefois être refusé
pour l'un des motifs suivants :
- le demandeur ne justifie pas de ressources personnelles stables
et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille;
- le demandeur ne dispose pas d'un logement considéré
comme normal pour une famille comparable vivant en France;
- la présence en France des membres de la famille dont
le regroupement est sollicité constitue une menace pour
l'ordre public;
- ces personnes sont atteintes d'une maladie ou d'une infirmité
mettant en danger la santé publique, l'ordre public ou
la sécurité publique;
- ces personnes résident déjà sur le territoire
français.
Pendant la période étudiée, les réclamations
relatives à des refus de regroupement familial ont représenté
12 % des réclamations portant sur des refus d'autorisation
de séjour.
Une grande partie des refus portés devant le Médiateur
de la République était motivée par le fait
que ceux pour lesquels le regroupement était demandé
séjournaient déjà sur le territoire français.
En effet, comme il vient d'être vu, en vertu de l'article
29 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, la résidence des
personnes concernées sur le territoire français
peut constituer un motif de refus du regroupement. Or il apparaît
que dans la plupart des cas, les préfets s'estiment tenus
de refuser le regroupement familial lorsque les intéressés
sont sur le territoire.
Mme B..., de nationalité tunisienne, est entrée
en France avec son mari en 1977. Elle est salariée et en
possession d'une carte de résident.
Elle a eu un enfant en 1978 qui a été scolarisé
en France.
Son mari est mort en septembre 1983 et Mme B..., atteinte d'une
grave maladie, sans famille proche en France, a dû confier
son fils à sa mère en Tunisie à l'automne
1984.
Dès qu'elle a été rétablie, elle l'a
fait revenir auprès d'elle. Il poursuit depuis sa scolarité
dans un lycée parisien.
Très ébranlée par la mort de son mari puis
par sa propre maladie, l'intéressée, très
peu au fait des règles administratives, ignorait qu'elle
aurait dû engager une procédure de regroupement familial
avant de ramener son fils. Elle n'avait d'ailleurs jamais rencontré
de problème à l'occasion des passages des frontières,
lorsqu'elle se rendait en vacances en Tunisie : son fils était
inscrit sur son passeport.
Mais en septembre 1992, lors d'un retour en France, l'absence
de décision de regroupement familial a été
relevée.
Autorisée néanmoins à regagner la France
avec son fils, elle a appris que la régularisation ne pouvait
être opérée à Paris et que celui-ci
devait retourner en Tunisie pendant la durée de la procédure.
Cette obligation posait de nombreux problèmes à
Mme B... en raison notamment du coût du voyage et de la
perturbation que cela entraînerait pour la scolarité
de son fils. En outre, elle ne pouvait se libérer de ses
obligations professionnelles. Aussi a-t-elle demandé de
faire régulariser sa situation à Paris.
N'obtenant pas satisfaction, elle a sollicité l'aide du
Médiateur de la République qui a fait valoir les
difficultés de cette famille et le préfet de police
a accepté, en janvier 1994, la régularisation de
ce jeune garçon (réclamation no 93-1813).
En appréciant strictement les motifs qui peuvent la conduire
à un refus de regroupement familial, l'administration peut
parfois placer une famille dans une situation difficile comme
le montre la réclamation no 95-2038, transmise par M. Daniel
VAILLANT, ministre des Relations avec le Parlement, en sa qualité
de député de Paris.
M. P..., ressortissant sri-lankais, marié, a eu six enfants
nés entre 1962 et 1977. Il est venu en France en 1979,
seul, son épouse ayant préféré rester
à Colombo avec leurs enfants tant que ceux-ci ne seraient
pas élevés. Toutefois, sa dernière fille
née en 1977, est venue le rejoindre en 1984. Elle a poursuivi
sa scolarité en France. Elle est titulaire d'une carte
de résident depuis sa majorité. Son père
a également une carte de résident depuis 1989.
Les enfants de M. P... restés au Sri-Lanka ayant grandi
et quitté leur mère, celle-ci a décidé
de rejoindre son mari en France.
M. P... a présenté une première demande de
regroupement familial qui a été rejetée en
raison de l'exiguïté de son logement. M. P... a emménagé
dans un appartement plus grand et a présenté une
nouvelle demande qui a été rejetée en 1993
au motif que ses ressources étaient insuffisantes.
Il a déposé au début de l'année 1995
une troisième demande. Craignant de se voir opposer un
nouveau refus pour le même motif, il a sollicité
l'aide du Médiateur de la République. Celui-ci est
intervenu auprès du préfet compétent en faisant
valoir que si M. P... ne remplissait pas les conditions de ressources,
un nouveau refus serait
particulièrement préjudiciable à la vie de
cette famille. En effet, Mme P... n'avait pas vu son mari et sa
fille depuis leur départ en France. Cette dernière,
séparée à l'âge de 7 ans de sa mère,
a dû prendre très tôt des responsabilités
tout en poursuivant sa scolarité. Elle a ainsi aidé
son père, qui écrit mal le français, en l'assistant
dans ses démarches administratives. Devenu malade, elle
le soutenait maintenant moralement; la présence de Mme
P... devenait nécessaire à la vie de cette famille.
Le préfet a accepté en février 1996 le regroupement
familial de Mme P....
Face aux difficultés de mise en uvre d'une procédure
de regroupement familial, les étrangers sont parfois conduits
à envisager d'autres solutions comme l'illustre la réclamation
no 95-3343, transmise par M. Pierre MAUROY, député
du Nord, ancien Premier ministre.
Mme K..., de nationalité russe, s'est remariée en
1993 avec un Français avec lequel elle vit en France. Sa
fille, elle aussi de nationalité russe, est venue la rejoindre
pendant l'été 1994 avec un visa touristique de trois
mois. Mme K... a souhaité régulariser la situation
de sa fille au regard du droit au séjour. La préfecture
du département où elle réside lui a indiqué
qu'une telle régularisation ne pouvait s'effectuer en France
et que sa fille devait regagner la Russie en attendant l'aboutissement
de la procédure de regroupement familial qu'elle devait
engager. Une telle solution supposait un séjour de plusieurs
mois à l'étranger. Elle aurait pu aussi solliciter
un visa pour mineur scolarisé, qui l'aurait obligée
à retourner en Russie chaque année pendant les vacances
d'été, mais ce choix ne lui donnait pas de droit
au séjour en France à sa majorité.
Face à ces difficultés, Mme K... s'est tournée
vers le Médiateur de la République. En raison des
refus réitérés de la préfecture compétente,
et Mme K... souhaitant acquérir la nationalité française,
il est apparu que la seule issue consistait à l'engager
à souscrire une déclaration de nationalité
en qualité de conjoint de Français, au titre de
l'article 21-2 du code civil, en y mentionnant sa fille, qui ne
devait devenir majeure qu'en décembre 1996, afin qu'elle
bénéficie de l'effet collectif de cette déclaration.
Mme K... et sa fille ont ainsi acquis la nationalité française
en mars 1996.
Cet exemple illustre en outre les problèmes qui peuvent
naître à l'occasion du regroupement familial engagé
au profit d'un enfant né d'une première union.
C. LES ÉTUDIANTS : LES DIFFICULTÉS DU DROIT AU
SÉJOUR
En vertu de l'article 12 de l'ordonnance de 1945, l'étranger
qui souhaite venir en France comme étudiant doit apporter
la preuve qu'il y suit un enseignement ou qu'il y fait des études,
et doit justifier qu'il dispose de moyens d'existence suffisants.
Une carte de séjour temporaire lui est alors délivrée.
Elle porte la mention " étudiant ".
L'administration est extrêmement vigilante sur la réalité
et le sérieux des études et semble conduite à
refuser un renouvellement de titre de séjour notamment
lorsque l'étudiant en cause opère un changement
d'orientation.
M. B..., ressortissant algérien, est entré en France
pour y suivre des études. Après avoir présenté
un BTS informatique de gestion qu'il a obtenu après trois
années d'études - il a redoublé la première
année - il a tenté pour l'année universitaire
1993-1994 de préparer un DEUG de sciences mais a échoué.
Il s'est alors orienté vers un DEUG d'arabe.
Il a obtenu treize unités de valeur à la session
de juin et cinq autres à celle d'automne.
Pour l'année universitaire 1995-1996, il s'est inscrit
en DEUG et licence d'arabe et a sollicité le renouvellement
de son titre de séjour. Une décision de refus de
séjour lui a été notifée pour le motif
que, depuis 1990, il n'avait pas progressé dans ses études
et avait changé d'orientation à plusieurs reprises.
M. B... soutenait que sa bonne connaissance en informatique était
nécessaire au travail qu'il souhaitait mener pour enseigner
la langue arabe.
À ces considérations s'ajoute le fait que cette
famille est menacée à Alger. Le père, directeur
d'école dans la Casbah mais aussi chanteur et poète,
a envoyé ses deux fils en France pour leur permettre d'étudier
et aussi pour les mettre provisoirement à l'abri.
Le Médiateur de la République est intervenu auprès
de l'autorité préfectorale en faisant valoir ces
éléments et M. B... a pu obtenir un titre de séjour
pour l'année universitaire 1995-1996 (réclamation
no 95-3772, transmise par M. Jean-François MATTEI, député
des Bouches-du-Rhône).
De nombreuses réclamations illustrent également
les difficultés que rencontrent les étrangers lorsqu'ils
souhaitent rester en France à l'issue de leurs études.
En effet, il n'est pas rare qu'après avoir été
étudiant pendant quelques années en France, un étranger
désire s'y installer plus durablement, notamment parce
qu'il y a noué des attaches familiales. S'il sollicite
alors une carte de résident, l'administration lui oppose
presque systématiquement un refus pour le motif qu'il a
été étudiant jusqu'alors, en s'appuyant sur
l'article 15 de l'ordonnance de 1945. Cet article énumère
les catégories d'étrangers qui peuvent bénéficier
de plein droit d'une carte de résident. Au nombre de ceux-ci
figurent les étrangers qui sont en situation régulière
depuis plus de dix ans, sauf s'ils ont été, pendant
toute cette période, titulaires d'une carte de séjour
temporaire d'étudiant. Ainsi, en application de ce texte,
dont la rédaction est issue de la loi du 24 août
1993, un étranger dans une telle situation ne peut obtenir
de plein droit une carte de résident. Or, l'administration
se croit souvent tenue de refuser un tel titre aux anciens étudiants
qui le sollicitent pour le seul motif qu'ils ne peuvent se le
voir attribuer de plein droit, alors qu'elle pourrait le leur
délivrer en application de l'article 14 de l'ordonnance
dès lors, notamment, qu'ils justifient d'une résidence
non interrompue d'au moins trois années en France.
D. LES AUTORISATIONS DE TRAVAIL
En principe, un étranger ne peut exercer une activité
salariée en France que s'il y a été autorisé
au préalable. Ceux qui sollicitent une telle autorisation
se voient souvent opposer la situation de l'emploi.
Dans un tel cas, en vertu de la jurisprudence, l'administration
doit prendre en considération la spécificité
de l'emploi sollicité, ce qu'elle ne fait pas toujours.
Mlle L..., ressortissante suisse, bénéficiait de
deux promesses d'embauche en qualité de professeur de danse
d'une association et d'un club omnisports. Elle s'est vu refuser
en janvier 1996, par la direction du travail et de l'emploi de
Paris, l'autorisation d'exercer, en raison de la situation de
l'emploi dans cette discipline. Le préfet de police a refusé
de lui délivrer un titre de séjour et l'a invitée
à quitter le territoire.
Le recours hiérarchique qu'elle a présenté
contre cette décision de refus ayant été
rejeté, elle a saisi le Médiateur de la République.
Celui-ci a fait valoir auprès du ministre du Travail et
des Affaires sociales la spécificité de la formation
de Mlle L....
Outre sa maîtrise des techniques de la danse classique et
de la danse contemporaine, son parcours professionnel l'a conduite
à compléter sa formation dans le domaine de la psychomotricité
en assurant, en Suisse, des cours à des jeunes ayant des
difficultés intellectuelles et motrices.
Or, ce sont tout particulièrement ces deux derniers domaines
de compétences qui étaient requis pour les deux
postes proposés et non celui, plus banal, de la danse classique
ou moderne, où les professeurs sont nombreux.
En outre, l'éloignement de Paris, la nécessité
de compétence en psychomotricité et l'aptitude à
exercer sur le terrain dans des conditions très diverses,
avec un public quelquefois difficile, n'avaient pas permis aux
associations concernées, situées dans des quartiers
dits sensibles, de recruter un professeur.
Face à ces arguments, une autorisation de travail lui a
été accordée et le préfet de police
lui a délivré une carte de séjour (réclamation
no 96-0517, transmise par M. Jean-Luc MÉLENCHON, sénateur
de l'Essonne).
D'autre part, il est apparu que dans un nombre significatif de
réclamations, l'intervention du Médiateur de la
République n'a pu aboutir, l'intéressé n'ayant
pas été en mesure de produire un contrat de travail.
E. LES ALGÉRIENS MENACÉS
La France n'accordant, jusqu'à la jurisprudence Dankha,
le statut de réfugié qu'aux personnes persécutées
par leur Gouvernement légal, les Algériens menacés
par des groupes islamistes ne se voyaient que très difficilement
reconnaître la qualité de réfugié.
Depuis cet arrêt, la commission de recours des réfugiés
accorde le statut de réfugié aux Algériens
menacés lorsque les autorités locales ont volontairement
toléré les agissements des islamistes à leur
encontre (commission de recours des réfugiés, sections
réunies du 22/07/94, Mlle ELKEBIR et du 17/02/95, M. et
Mlle MEZIANE).
Par ailleurs, une procédure d'admission exceptionnelle
au séjour, dite d'asile territorial, a été
mise en place en leur faveur.
Le dossier de ceux qui souhaitent, pour ce motif, séjourner
en France est examiné par une instance interministérielle
où siègent des représentants du ministère
de l'Intérieur, du ministère de l'Emploi et de la
Solidarité ainsi que du ministère des Affaires étrangères.
Dès lors qu'ils établissent avoir fait l'objet de
menaces de groupes islamistes, l'entrée sur le territoire
français leur est facilitée.
Il s'agit néanmoins d'une procédure complexe qui
ne dispense pas les intéressés de solliciter un
titre de séjour auprès de la préfecture dont
ils dépendent. En attendant qu'un tel titre leur soit délivré,
ils doivent être munis d'une autorisation provisoire de
séjour, ainsi que, le cas échéant, d'une
autorisation provisoire de travail.
Universitaire menacé par des groupes islamistes depuis
deux ans, tenu, pour des raisons de sécurité, de
vivre séparé de son épouse, professeur de
français ne pouvant exercer et qui vivait dans une autre
ville avec leurs trois enfants, M. C... avait déposé
pour toute sa famille une demande de visa en vue d'entrer en France
dans le cadre de la procédure réservée aux
Algériens menacés.
Grâce à l'intervention du Médiateur de la
République auprès du ministre des Affaires étrangères,
des visas leur ont été accordés. Les intéressés
sont arrivés en France en janvier 1997. Ils ont aussitôt
déposé à la préfecture compétente
des demandes en vue d'être autorisés au séjour,
puis M. C... bénéficiant d'un contrat de travail
en région parisienne, a sollicité une autorisation
de travail.
Le dossier en vue de leur admission exceptionnelle au séjour
a été examiné par la commission interministérielle
chargée de se prononcer sur les dossiers des Algériens
menacés qui les a admis à " l'asile territorial
" en avril 1997.
À la suite d'une nouvelle intervention du Médiateur
de la République, des instructions ont donc été
données au préfet, afin qu'il délivre à
la famille une autorisation provisoire de séjour et une
autorisation provisoire de travail à M. C... (réclamations
no 95-3415 et no 97-1897, transmises par M. Yvon COLLIN, sénateur
de Tarn-et-Garonne).
Même lorsqu'un membre d'une famille a été
admis à séjourner en France au titre de cette procédure
d'asile territorial, l'administration examine parfois de manière
restrictive les demandes de regroupement familial qu'il peut être
amené à présenter, comme le montre la réclamation
no 95-0868.
Mme B..., qui exerçait la profession d'avocat en Algérie,
a fait l'objet de menaces et a fui précitamment son pays
en novembre 1994. Elle a rejoint, en France, son mari qui y terminait
un doctorat d'État, laissant provisoirement ses trois enfants
à la garde de leurs grands-parents. Admise à l'asile
territorial, elle a obtenu un titre de séjour l'autorisant
à travailler en mai 1995. Elle est employée, par
contrat à durée indéterminée, en qualité
de juriste dans un cabinet d'avocats. Ayant trouvé un logement,
elle a déposé en août 1995 une demande de
regroupement familial en faveur de ses enfants et de son mari
retourné en Algérie pour s'occuper de ces derniers.
Le refus lui a été opposé en mars 1996.
Le Médiateur de la République, que Mme B... avait
saisi, est intervenu auprès du préfet qui avait
pris cette décision et auprès du ministre compétent
en faisant valoir que les trois motifs qui avaient été
retenus pour opposer un refus à Mme B... lui paraissaient
contestables en droit.
En effet, le préfet s'était tout d'abord appuyé
sur le fait que le mariage des époux B... avait été
célébré à l'étranger. Or, ni
l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 qui
régit les conditions d'entrée et de séjour
des Algériens en France, ni d'ailleurs l'ordonnance de
1945 ne mentionnent l'obligation de la célébration
du mariage en France comme condition au regroupement familial.
En application des règles de droit international privé,
les mariages célébrés à l'étranger
sont reconnus en France et ouvrent droit, de ce fait, à
la procédure de regroupement familial dès lors qu'ils
respectent les conditions de fond posées par la loi française
et qu'ils sont en conformité avec la loi du lieu de célébration,
ce qui était le cas du mariage des époux B...
Le préfet opposait en outre à Mme B... le fait qu'elle
ne justifait pas à la date de sa demande d'un an d'activité
salariée. Or, l'accord franco-algérien n'impose
aucun délai d'attente aux Algériens qui peuvent
présenter une demande de regroupement familial dès
qu'ils sont titulaires d'un titre de séjour.
Enfin, le préfet avait estimé que le total des ressources
de Mme B... rapporté sur les douze derniers mois étaient
d'un montant insuffisant. ll avait pris en compte les salaires
perçus par Mme B... pendant les trois mois d'activité
de cette dernière depuis qu'elle avait été
autorisée à travailler et avait divisé ce
montant par douze. Là encore, le préfet avait ajouté
une condition non prévue par les textes en appréciant
de la sorte les ressources de Mme B....
En outre, les revenus mensuels de cette dernière étaient
très supérieurs au SMIC.
À la suite de cette intervention, le ministre a accepté
le regroupement de M. B... et de ses enfants.
IV. L'ÉLOIGNEMENT
DU TERRITOIRE
L'étranger qui séjourne irrégulièrement
en France peut, dans les conditions fixées à l'article
22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, faire l'objet d'une mesure
de reconduite à la frontière.
Par ailleurs, l'étranger dont la présence constitue
une menace grave pour l'ordre public peut être expulsé
en application des articles 23 à 26 de l'ordonnance.
En outre, lorsqu'un étranger a été condamné
par un juge à une interdiction du territoire, cette interdiction
emporte de plein droit, en vertu de l'article 27 de l'ordonnance,
reconduite du condamné à la frontière, le
cas échéant à l'expiration de sa peine d'emprisonnement.
Le Médiateur de la République n'a pas été
saisi de demande de relèvement d'interdiction du territoire.
En tout état de cause, il ne pourrait que décliner
sa compétence, une telle décision ne pouvant être
prise que par le juge judiciaire.
En revanche, le Médiateur de la République a reçu
des réclamations tendant à l'abrogation d'un arrêté
d'expulsion ou de reconduite à la frontière ou à
l'aménagement de l'exécution de ces mesures.
M. D..., ressortissant de la Communauté européenne,
a été condamné en 1975 à une peine
d'emprisonnement pour cambriolage. À sa sortie de prison,
il a fait l'objet d'une mesure d'expulsion.
M. D... est revenu en France en 1982 pour s'engager dans la Légion
étrangère, où il est resté plus de
huit ans. Il a suivi le cursus habituel du légionnaire,
a accompli des services outre-mer et obtenu citations et médailles.
Lorsqu'il a quitté la Légion en 1990, il souhaitait
rester en France mais un refus a été opposé
à sa demande de carte de séjour, bien qu'il ait
été amnistié sur le plan judiciaire, au motif
que l'arrêté d'expulsion pris à son encontre
devait, au préalable, être abrogé par le ministre
de l'Intérieur.
Ne parvenant pas à obtenir cette abrogation, il a sollicité
l'aide du Médiateur de la République.
Cette absence de décision le contraignait, en effet, à
la précarité, voire à l'exclusion : il ne
pouvait travailler, n'avait aucune couverture sociale et vivait
grâce à son amie qui l'hébergeait et subvenait
à ses besoins. Le Médiateur de la République
a appelé l'attention du ministre de l'Intérieur
sur ce dossier et l'arrêté d'expulsion a été
abrogé en janvier 1996 (réclamation no 95-0786,
transmise par M. Jean-Jacques WEBER, député du Haut-Rhin).
La réclamation no 96-2518, transmise par M. Bernard de
FROMENT, député de la Creuse, concerne une demande
d'abrogation d'un arrêté de reconduite à la
frontière.
Demandeur d'asile, M. K..., ressortissant turc d'origine kurde,
a participé en août 1992 à une manifestation
kurde, à Paris. Interpellé,
il a fait l'objet d'un arrêté de reconduite à
la frontière. Cependant, M. K... n'était pas en
mesure de quitter le territoire français. En effet, il
ne peut regagner la Turquie où sa vie est menacée
et ses démarches en vue d'être admis au séjour
dans d'autres pays se sont heurtées à des fins de
non-recevoir.
Le ministre de l'Intérieur l'a par conséquent assigné
à résidence dans un département du centre
de la France en septembre 1992.
Depuis cette date, sa situation devenait de plus en plus difficile.
Il n'avait pas l'autorisation de travailler et ne disposait donc
d'aucune ressource. C'est dans ces conditions qu'il a sollicité
l'aide du Médiateur de la République, le préfet,
que M. K... avait saisi, ne pouvant envisager une régularisation
de sa situation administrative tant que les arrêtés
de reconduite à la frontière et d'assignation à
résidence ne seraient pas abrogés.
Le Médiateur de la République est intervenu auprès
du ministre de l'Intérieur, afin qu'il réexamine
avec la plus grande bienveillance le dossier de M. K... en faisant
valoir la situation extrêmement précaire dans laquelle
celui-ci est maintenu depuis cinq ans, sans possibilité
de travailler.
Ce dossier est en cours d'instruction.
D'autre part, dans le cadre de l'examen des dossiers des "
sans-papiers de Saint-Bernard ", le Médiateur de la
République a pu constater, bien qu'il n'ait pas été
saisi sur ce point particulier, les conditions dans lesquelles
sont parfois mises en uvre les mesures d'éloignement
du territoire.
Il est en effet apparu que lors de l'exécution de ces mesures,
les étrangers n'ont pas toujours la possibilité
de rassembler leurs effets personnels avant de partir, ni même
de prévenir leur entourage.
Ce fut le cas de M. D.., de nationalité malienne, arrêté
le 1er avril 1997 en fin d'après-midi. Faisant l'objet
d'un arrêté de reconduite à la frontière
pris quelques mois auparavant, il a été placé
en rétention administrative puis embarqué dans un
avion à destination de Bamako le 2 avril à 10 heures
30 sans avoir eu le temps de faire ses bagages.
M. M..., ressortissant de la Guinée-Bissau, arrêté
dans des conditions similaires et également placé
en rétention administrative devait prendre l'avion le jeudi
13 mars 1997 à destination de son pays d'origine. Ayant
eu le temps d'avertir ses proches, il fut convenu que ceux-ci
lui apportent ses bagages le mercredi 12 mars après-midi.
Quand ils sont arrivés, ils ont appris que M. M... avait
été embarqué le matin même dans un
avion à destination du Sénégal.
En effet, le vol du jeudi était à destination de
la Guinée et non de la Guinée-Bissau. S'apercevant
de son erreur, l'administration avait décidé d'envoyer
M. M... au Sénégal d'où il pouvait prendre
une correspondance pour la Guinée-Bissau.
M. C..., de nationalité malienne, a été arrêté
le mercredi 19 mars 1997 en milieu de journée et a été
placé en rétention administrative. Le lendemain,
il a été embarqué dans un avion à
destination de Casablanca d'où il a pris un avion pour
Bamako via Nouakchott. Arrivé à Bamako, à
défaut de documents transfrontières, la police ne
l'a pas laissé pénétrer sur le territoire
malien. Le vendredi matin, il a été réembarqué
à destination de Nouakchott puis Casablanca, d'où
il a pris un avion pour Paris, où il est arrivé
le vendredi soir. Le samedi matin, il a été embarqué
à destination de Bamako où il a enfin été
admis. Du jeudi matin, où il a rencontré son avocat,
au samedi, il n'a pas été mis en mesure de contacter
ses proches. Une fois à Bamako, il n'a pu regagner son
domicile que grâce à l'aide financière de
la police malienne.
Si la légalité des arrêtés de reconduite
à la frontière pris à leur encontre était
indiscutable, rien ne justifiait qu'ils fussent traités
de la sorte au mépris de leur dignité.
L'ACQUISITION DE LA
NATIONALITE FRANCAISE
Les modalités d'acquisition de la nationalité française
figuraient, jusqu'à l'intervention de la loi du 23 juillet
1993, dans le code de la nationalité. Depuis l'entrée
en vigueur de cette loi, ce code a été abrogé
et les dispositions relatives au droit à la nationalité
ont été insérées dans le code civil.
L'acquisition de la nationalité française par un
étranger résulte soit d'une déclaration,
soit d'une décision de l'autorité publique.
L'acquisition par déclaration est ouverte à l'étranger
ou à l'apatride qui contracte mariage avec un conjoint
de nationalité française, après un délai
de deux ans à compter du mariage.
L'enfant qui a fait l'objet d'une adoption simple par une personne
de nationalité française peut, jusqu'à sa
majorité, souscrire une déclaration de nationalité.
Peuvent également réclamer la nationalité
française par déclaration les personnes qui ont
joui, d'une façon constante, de la possession d'état
de Français, pendant les dix années précédant
leur déclaration, c'est-à-dire, ceux qui pendant
cette période ont cru de bonne foi être français,
et qui ont été considérés comme tels
par les autorités publiques françaises.
Par ailleurs, tout étranger né en France de parents
étrangers peut, à partir de seize ans et jusqu'à
l'âge de vingt et un ans, acquérir la nationalité
française, sous certaines conditions, par manifestation
de volonté.
L'acquisition de la nationalité par décision de
l'autorité publique résulte d'une naturalisation
accordée par décret à la demande de l'étranger.
Le code civil fixe les conditions dans lesquelles intervient cette
naturalisation. Notamment, nul ne peut être naturalisé
s'il n'a en France sa résidence au moment du décret
de naturalisation et, sous réserve d'exceptions prévues
par le code civil, la naturalisation ne peut être accordée
qu'à l'étranger justifiant d'une résidence
habituelle en France pendant les cinq années qui précèdent
le dépôt de la demande. En outre, nul ne peut être
naturalisé s'il n'est pas de bonne vie et m urs ou
s'il a fait l'objet de certaines condamnations précisées
par le code. Par ailleurs, l'étranger qui souhaite être
naturalisé doit justifier de son assimilation à
la communauté française, notamment par une connaissance
suffisante de la langue française.
D'autre part, ceux qui ont perdu la nationalité française
peuvent demander à y être réintégrés.
Cette réintégration résulte, soit d'une décision
de l'autorité publique, soit, plus rarement, d'une déclaration.
Les réclamations soumises au Médiateur de la République
témoignent de la complexité de ce droit. En effet,
pour plus du tiers d'entre elles, le rôle du Médiateur
a principalement consisté à donner des explications
aux intéressés sur le droit applicable à
leur situation.
Dès qu'ils ont été informés qu'ils
avaient perdu la nationalité française le 1er janvier
1963, à la suite de l'indépendance de l'Algérie,
M. et Mme K.. ont souscrit, en 1989, des déclarations de
nationalité par possession d'état de Français
qui ont été enregistrées. Ils ont donc recouvré
la nationalité française à la date de ces
déclarations.
Lors de cette procédure, aucune information ne leur a été
fournie sur la nature exacte et sur les conséquences de
ces déclarations à l'égard de leurs enfants.
Ils ont pensé qu'elles avaient un caractère rétroactif
leur restituant la qualité de Français à
la date de l'indépendance de l'Algérie et en ont
conclu qu'elles avaient un effet collectif à l'égard
de leurs trois enfants, K... née en 1960, T... né
en 1963 et M... né en 1969.
Certes, un avis de la Chancellerie précisait que les enfants,
étant majeurs au jour de la déclaration de nationalité
de leurs parents, n'avaient pu acquérir la nationalité
française par effet collectif, mais il n'a pas été
compris par les intéressés qui, restés en
possession de leurs documents d'identité français,
se considéraient français.
T..., né à Alger en 1963, ayant perdu ses papiers
en 1994, a véritablement pris conscience à ce moment-là
de son extranéité. Son frère et sa s ur
ont fait alors le même constat à l'égard de
leur propre situation.
Tous trois, après avoir tenté diverses démarches
pour se voir reconnaître la nationalité française,
ont sollicité l'aide du Médiateur de la République.
T..., marié à une Française, remplissait
les conditions pour souscrire la déclaration de nationalité
par mariage. Il a donc opté pour cette procédure
et a acquis la nationalité française à la
date de sa déclaration.
Pour K... et M..., la situation était plus complexe, ce
qui a amené le Médiateur de la République
à intervenir à plusieurs reprises tant auprès
des services du ministère de l'Intérieur que de
celui du ministère des Affaires sociales, chargé
des naturalisations.
K..., née en 1960 en France, a perdu la nationalité
française au 1er janvier 1963, ses parents n'ayant pas
souscrit la déclaration recognitive.
Disposant toujours de sa carte d'identité, de son passeport
et de sa carte d'électeur français, elle a souscrit
une déclaration de possession d'état de Français
au titre de l'article 21-13 du code civil qui a d'abord été
rejetée puis finalement enregistrée après
recours gracieux. Le motif sur lequel s'appuyait l'administration
dans sa décision initiale était en effet erroné.
K... a donc recouvré la nationalité française
par déclaration enregistrée en 1995.
M..., né en 1969, ne pouvait, quant à lui, être
considéré comme français, du fait de sa naissance
en Algérie.
Il paraissait hasardeux d'envisager la procédure de déclaration
par possession d'état de Français, un trop long
délai s'étant écoulé depuis la découverte
de son extranéité.
La naturalisation restait donc la solution la plus appropriée
à la situation de l'intéressé. Elle supposait,
dans un premier temps, le retrait des documents d'identité
français et la délivrance d'un titre de séjour,
ce qui a été réalisé à la sous-préfecture
compétente.
Puis, M... a pu déposer un dossier de naturalisation. Il
a été naturalisé par décret en 1996
(réclamation no 94-3872, transmise par M. Gilles CARREZ,
député du Val-de-Marne).
Parmi les réclamations soumises au Médiateur de
la République, il a été constaté que
20 % des intéressés se croyaient français.
La découverte de leur extranéité est parfois
mal acceptée par les réclamants qui subissent alors
un véritable choc psychologique, comme l'illustre la réclamation
no 95-4278, transmise par M. Roger QUILLIOT, sénateur du
Puy-de-Dôme, ancien ministre.
Née en Algérie en 1955, fille de harki, Mme R...
est arrivée en France en 1962. Sa mère et une vingtaine
d'autres membres de sa famille ont en effet dû fuir l'Algérie
afin d'échapper aux représailles frappant les proches
des harkis.
Son père, qui a disparu au moment de l'indépendance,
a très vraisemblablement été exécuté
par le FLN, mais son corps n'ayant jamais été retrouvé,
son décès n'a pu être constaté à
l'état civil.
La mère de Mme R..., Mme K..., a souscrit, en 1964, une
déclaration recognitive de la nationalité française,
sur laquelle elle a mentionné ses enfants mineurs, dont
l'intéressée.
Celle-ci s'est donc toujours considérée comme française.
Elle a reçu en 1972 sa première carte nationale
d'identité, qui a été renouvelée par
la suite sans difficulté. De plus, elle est inscrite sur
les listes électorales de sa ville, où elle est
employée municipale, assermentée devant le tribunal
d'instance en qualité d'agent de police auxiliaire.
À l'occasion du renouvellement de sa carte d'identité,
un certificat de nationalité française lui a été
demandé dont la délivrance a été refusée
par le tribunal d'instance.
Celui-ci a considéré que les enfants de Mme K...
ne pouvaient prétendre au bénéfice de l'effet
collectif attaché à la déclaration recognitive
de la nationalité française de leur mère,
sa qualité de veuve n'étant pas établie au
jour de la souscription de cette déclaration.
En effet, aux termes de l'article 153 de l'ordonnance no 45-2441
du 19 octobre 1945 portant code de la nationalité alors
en vigueur, l'enfant mineur légitime suivait la condition
de son père, ou en cas de décès de celui-ci,
de sa mère survivante. Aussi, à défaut d'avoir
pu prouver le décès de son père, Mme R...
a-t-elle, au 1er janvier 1963, perdu la nationalité française
et simultanément acquis la nationalité algérienne,
aucune déclaration recognitive n'ayant, bien entendu, été
enregistrée au nom de son père.
De plus, la possibilité de souscrire une déclaration
de nationalité française par possession d'état
de Français lui a été refusée au motif
qu'elle avait été officiellement avisée plusieurs
années auparavant de son extranéité, et qu'elle
ne pouvait donc plus être considérée comme
ayant joui de façon constante de la possession d'état
de Français pendant les dix années précédentes.
En effet, le choc causé à Mme R... par la première
découverte de son extranéité a été
tel qu'elle s'est absolument refusée à y croire
et à faire aussitôt la démarche nécessaire
pour remédier à la situation.
Par la suite, la confirmation de cette extranéité,
matérialisée par le retrait de sa carte d'identité
lors de la demande de renouvellement, a été encore
plus traumatisante. Elle l'a analysée comme un rejet de
la France à son égard, d'autant qu'elle ne peut
même plus souscrire la déclaration de possession
d'état de Francais.
Privée de sa carte d'identité, n'ayant pas de passeport
car elle n'a jamais quitté le territoire français
depuis son arrivée, menacée dans son emploi qui
exige qu'elle ait la nationalité française, craignant
même d'être renvoyée en Algérie, elle
a été victime d'une grave dépression nerveuse.
Saisi de ce cas douloureux, le Médiateur de la République
a été conduit, dans un premier temps, à expliquer
à l'intéressée les dispositions applicables
à sa situation, afin de l'amener à entamer une procédure
de réintégration qui seule lui permettrait de reprendre
en toute sérénité le cours normal de sa vie
privée et professionnelle.
Mais, pour que cette procédure soit mise en uvre,
il convenait, au préalable, que la situation de Mme R...
soit régularisée au regard du droit au séjour
des étrangers. En effet, en vertu de l'article 21-27 du
code civil, nul ne peut acquérir la nationalité
française ou être réintégré
dans cette nationalité si son séjour en France est
irrégulier.
Or, Mme R... récuse absolument la nationalité algérienne.
Arrivée à sept ans dans des conditions épouvantables
en France, chassée d'Algérie où son père
venait de disparaître et où elle n'est jamais revenue,
elle a eu sa vie marquée par une jeunesse difficile auprès
de sa mère qui ne s'est jamais remise de ces épreuves.
Il est donc apparu au Médiateur de la République
que cette affaire ne pourrait se dénouer que dans la mesure
où Mme R... ne serait confrontée à aucune
manifestation extérieure de la nationalité algérienne
: passeport, certificat de résidence d'algérien...
Devant le caractère très exceptionnel de ce dossier,
dans le cadre de l'intervention en équité que lui
reconnaît l'article 9 de la loi du 3 janvier 1973, le Médiateur
de la République a demandé au préfet compétent
de bien vouloir faire constituer le dossier de réintégration
dans la nationalité française de Mme R..., puis
de le transmettre au ministre chargé des naturalisations,
sans que la production de ces deux documents soit exigée.
Ce dossier est actuellement en cours d'instruction par les services
de ce ministre.
Face à la complexité de ce droit de la nationalité,
il arrive que les autorités françaises commettent
des erreurs.
Né à Paris le 17 janvier 1975 de parents de nationalité
tunisienne qui étaient alors étudiants en France,
M. B... a regagné la Tunisie avec eux, à l'issue
de leurs études, en 1977. Cette famille vit depuis lors
en Tunisie.
M. B..., qui a fait toutes ses études primaires et secondaires
à Tunis, est actuellement étudiant dans un établissement
d'enseignement supérieur de cette ville.
En 1996, alors qu'il arrivait en France avec un visa, pour un
séjour touristique, il a été intercepté
par la police à son arrivée à l'aéroport,
et emmené dans une caserne parisienne où il a été
incorporé aussitôt. En effet, les autorités
militaires considéraient qu'il était français.
Ne parvenant à faire reconnaître sa nationalité
tunisienne, alors que les autorités consulaires avaient
exigé de lui un visa pour son séjour en France,
il a sollicité l'aide du Médiateur de la République.
Celui-ci est intervenu auprès du ministre de la Défense
en demandant que soit définitivement établi s'il
bénéficiait ou non de la nationalité française
et, dans l'affirmative, comment serait mise en uvre la convention
franco-tunisienne relative aux obligations du service national
en cas de double nationalité.
En effet, M. B... qui est incontestablement tunisien comme ses
parents, ne pouvait être considéré comme étant
français du seul fait de sa naissance en France, l'article
44 du code de la nationalité française, applicable
à la date de sa majorité, le 17 janvier 1993, prévoyait
en effet que " tout individu né en France de parents
étrangers acquiert la nationalité française
à sa majorité si, à cette date, il a en France
sa résidence et s'il a eu pendant les cinq années
qui précèdent sa résidence habituelle en
France (...) ". Or tel n'était pas le cas de l'intéressé
qui avait regagné la Tunisie avec ses parents en 1977.
Il aurait pu néanmoins bénéficier de la nationalité
française à un autre titre, et notamment par déclaration
souscrite par ses parents à son nom, pendant leur séjour
en France, en vertu de l'ancien article 52 du même code.
Le ministre de la Défense a fait savoir au Médiateur
de la République que M. B... avait été recensé
d'office par la mairie de l'arrondissement parisien où
il est né, mais admettait qu'il ne remplissait pas les
conditions de résidence prescrites par l'article 44 du
code de la nationalité française.
Ayant fait vérifier qu'aucune déclaration en vue
d'acquérir la nationalité française n'avait
été souscrite durant sa minorité ou lors
de sa majorité, le ministre de la Défense a fait
rayer M. B... des listes de recensement de la direction du Service
national.
À la suite de cette procédure, le tribunal de grande
instance de Paris l'a relaxé des poursuites engagées
à son encontre pour désertion, M. B... ayant profité
d'une permission pour regagner la Tunisie (réclamation
no 97-1926, transmise par M. Laurent FABIUS, député
de la Seine-Maritime, président de l'Assemblée nationale,
ancien Premier ministre).
Le droit applicable aux étrangers, qu'il s'agisse du droit
de l'immigration ou du droit de la nationalité, est particulièrement
complexe, et la nature des réclamations soumises au Médiateur
de la République témoigne des difficultés
de compréhension de la part des étrangers à
l'égard des dispositions qui leur sont applicables.
En outre, les modifications successives apportées à
l'ordonnance du 2 novembre 1945, relative aux conditions d'entrée
et de séjour des étrangers en France, entraînent
chez les personnes concernées un sentiment d'insécurité
juridique. En effet, depuis 1974, ce texte a été
modifié vingt fois.
Dans ce domaine plus qu'ailleurs, le rôle du Médiateur
de la République consiste bien souvent à expliquer
aux intéressés le droit qui régit leur situation.
Et s'il arrive que ceux-ci n'obtiennent pas, malgré l'intervention
du Médiateur de la République, le titre ou le statut
sollicité, ils manifestent fréquemment leur satisfaction
pour les éclaircissements apportés sur les motifs
qui ont conduit les autorités compétentes à
leur opposer un refus. Le Médiateur de la République
pallie ainsi, par ce rôle pédagogique, l'insuffisance
des explications contenues dans les décisions administratives
ou apportées lorsqu'elles sont notifiées. Même
si celles-ci sont suffisamment motivées au sens où
l'entend la jurisprudence, elles ne sont pas toujours comprises
par les intéressés et les informations fournies
par le Médiateur de la République, dans un contexte
dépassionné, permettent aux étrangers d'accepter
les décisions qui les concernent.
Il faut d'abord souhaiter que la réforme de l'État
envisagée prendra en considération la nécessité
d'un dialogue amélioré entre les administrés
et les autorités administratives et que celles-ci auront
les moyens d'assurer une plus grande compréhension de leurs
décisions.
Il faut souhaiter également que les projets de loi, en
cours d'examen à l'heure où ce rapport est rédigé,
permettront de répondre à la fois aux attentes de
simplification, aux besoins de dignité, de respect de la
personne humaine, et d'équité, qui se sont exprimés
sur ces sujets sensibles; tout en reconnaissant le droit de tout
État de veiller à ses intérêts supérieurs,
et dès lors de contrôler ses flux migratoires dans
les limites d'une société démocratique.
ANNEXES
ANNEXE 1
L'audition du Médiateur de la République devant
la commission des lois du Sénat, le 28 janvier 1997 : extraits
du discours
" Vous m'avez aimablement proposé, M. Le Président,
d'aborder au cours de cette audition les autres dossiers législatifs
dont ma fonction me conduit à me préoccuper.
À ce titre, je me dois tout d'abord de vous indiquer que
j'ai suivi, depuis six mois, le développement et les conséquences
de l'affaire dite des sans-papiers de Saint-Bernard. La question
de l'immigration me tient en effet à c ur. Elle est
à l'origine de situations douloureuses auxquelles j'ai
été souvent confronté dans mes fonctions
d'élu, de ministre de la Coopération et du Développement
et, aujourd'hui, de Médiateur de la République.
C'est dans ce esprit que, pendant la crise de l'église
Saint-Bernard, j'avais fait connaître aux plus hautes autorités
concernées ma disponibilité pour participer au règlement
de cette affaire, mon institution étant d'ailleurs fréquemment
saisie de dossiers concernant le séjour des étrangers
en France. À cet égard, constatant qu'un certain
nombre de difficultés sont liées à l'application
des textes actuels et conscient de l'impasse juridique et humaine
de diverses situations de fait, j'avais accepté, en septembre
dernier, à la demande de la Commission nationale consultative
des droits de l'homme - dont le Médiateur est membre de
droit - le principe d'une mission me permettant, dans le cadre
de la loi de 1973, de suivre, en liaison avec les services compétents,
l'instruction des demandes de régularisation et de faire
des propositions de réforme, eu égard à l'expérience
acquise par l'institution dans le traitement de ces affaires.
Par ailleurs, pour mettre en évidence certaines difficultés
et proposer une première série d'adaptations, j'avais,
le 11 octobre dernier, écrit au Premier ministre et au
ministre de l'Intérieur. Mon courrier évoquait en
particulier la situation des parents étrangers d'enfants
français résidant en France et celle des étrangers
mariés depuis au moins un an avec un ressortissant de nationalité
française. Je soulignais l'intérêt d'examiner
en outre le cas des étrangers résidant habituellement
en France depuis plus de quinze ans, des enfants d'étrangers
arrivés en France avant l'âge de dix ans et des étrangers
en situation irrégulière dont l'éloignement
aurait, sur leur situation personnelle, des conséquences
d'une extrême gravité. Enfin, j'attirais l'attention
des ministres sur les conditions actuelles d'admission au droit
d'asile et au statut de réfugié ainsi que sur la
question des personnes pouvant prétendre à une vie
familiale normale, leur demandant de me faire part de leur sentiment
sur mes préoccupations et des suites qui pourraient leur
être apportées.