L'AVOCAT PRIS AU PIEGE DE L'IMAGINAIRE
Le cinéma de fiction comme source de l'histoire de la
profession d'avocat 1920-1990
Il est devenu banal de dire que le cinéma en sa qualité
d'art de communication de masse a la capacité de traduire
l'imaginaire social d'une époque et, partant de représenter
les groupes sociaux dans leurs archétypes idéologiques
fondamentaux. Le cinéma peut être ainsi le lieu d'une
sorte de consensus social, autour d'images communément
admises, à un moment donné. Il peut en outre, en
retour, contribuer à conforter telle ou telle image, à
la rendre évidente par sa répétition(1).
Il en en va de l'image de l'avocat comme de celle du juge, du
notaire, du médecin pour prendre des catégories
sociales ciblées dans la sphère des professions
libérales ou judiciaires (2). Notre questionnement pouvait
donc se définir au départ de la façon suivante
: quelle est la spécificité de la représentation
de l'avocat nous renvoie-t-elle ? Cette dernière évolue-t-elle
dans le siècle ?
I - CE PROPOS QUI S'INSCRIT...
...Dans l'histoire des mentalités et des représentations
sociales nous confronte à une source originale de notre
histoire : la production filmique.
- C'est la première difficulté de notre travail.
Source récente, elle est déjà menacée.
Les historiens qui travaillent sur le cinéma le savent.
En moins de cent ans, de multiples films ont disparu et malgré
le travail des cinémathèques, des copies existantes
sur support nitrate sont en train chaque jour de mourir lentement
(54 000 kilomètres de pellicule à sauver d'ici l'an
2000 pour sauvegarder la mémoire cinématographique
actuellement stockée).
- seconde difficulté : aucun dépôt légal
obligatoire n'ayant existé jusqu'à la guerre, c'est
aussi une source totalement dispersée qui oblige le chercheur
à un véritable parcours du combattant pour découvrir
l'existence de telle ou telle copie.
- troisième difficulté enfin : les oppositions des
ayants-droit et leurs prétentions souvent exorbitantes
rendent souvent difficile, voire impossible, le visionnement des
films qui pourraient être disponibles.
II - LES SOURCES DE REFERENCES
... Sont donc au départ des sources indirectes, permettant
à défaut de tout voir, de se faire une idée
exhaustive de la production.
Si avant 1919, il n'existe aucun inventaire systématique,
il en va tout autrement à compter de cette date grâce
tout particulièrement aux travaux de Raymond CHIRAT et
de Jean-Charles SABRIAT auxquels il faut ici rendre hommage.
- pour les années, 1919-1950, Raymond CHIRAT a entrepris
un travail essentiel de recensement et d'analyse de la production
française. A travers trois livres : le catalogue des films
français de long métrage : 1929-1939 (cinémathèque
royale de Belgique 1981) et " le catalogue des films français
de long métrage de fiction : 1940-1950" (cinémathèque
du Luxembourg 1981) il a posé les bases d'une monumentale
encyclopédie systématique de la production cinématographique
française, travail qui se poursuit aujourd'hui à
travers une édition luxueuse dont les deux derniers tomes
couvrent les années 1950-1955 et 1956-1960 viennent ainsi
compléter son travail en rentrant en concurrence avec celui
de SABRIAT pour la même période (3).
Chaque film recensé est l'objet d'un résumé
mais aussi d'une transcription du générique permettant
d'évaluer en une vingtaine de lignes le nom du réalisateur,
l'oeuvre littéraire adapté (éventuellement),
le scénariste, donc de se faire une idée de la place
de l'avocat dans le cinéma français à travers
une lecture indirecte de l'ensemble de la production. La place
faite à l'avocat dans le résumé, recoupée
avec son ordre de citation au générique permet d'affiner
la lecture en délimitant pour chaque film recensé
la place de l'avocat en tant que personnage principal (indispensable
au récit) et la place de l'avocat en tant que personnage
secondaire (non indispensable au récit).
La même lecture permet aussi de recenser les sources d'inspiration
(adaptation de thèmes littéraires à succès
ou scénario original). Elle permet de recenser l'intérêt
de tel ou tel réalisateur pour le sujet et aussi d'inventorier
les acteurs et les actrices ayant joué des rôles
d'avocat.
- pour les années 1950-1960, le travail de Raymond CHIRAT,
non encore publié à l'époque où nous
avons commencé à travailler, peut être confronté
à celui de Jean-Charles SABRIAT ("le cinéma
français des années 50" - éditions du
centre Pompidou - Paris 1987). Ce travail nous a servi de guide
pour ces années-là. Résumés et génériques
atteignent ici la perfection. Sur les mille films recensés,
il suffisait de repérer le personnage de l'avocat en travaillant
avec les mêmes méthodes.
Pour les années suivantes, le dépouillement systématique
de l'année cinématographique de 1960 à 1989
(revue du cinéma) qui recense l'ensemble des films sortis
en
France pendant l'année de référence a permis
de compléter notre inventaire. Là encore, chaque
film est présenté avec un générique,
un résumé, et depuis les années soixante,
un commentaire critique. La lecture en est cependant plus difficile
car les productions françaises et étrangères
sont ici mélangées et les génériques
reproduits d'une façon moins fidèle et moins systématique
que dans les travaux de Raymond CHIRAT et de Jean-Charles SABRIAT.
III - L'APPREHENSION DU CONTENU EXACT
... De chaque film aurait dû passer par son visionnement.
Ce travail s'est révélé beaucoup plus difficile
du fait de l'indisponibilité bien connue de la plupart
des films. Ainsi, au hasard des disponibilités, nous n'avons
pu visionnner qu'une quarantaine de films.
Les bandes vidéo commercialisées, les vidéothèques
de quelques amis nous ont aidés. Mais aussi, le passage,
depuis que nous travaillons sur ce sujet d'un certain nombre de
films consacrés aux avocats à la télévision
française qui devient ainsi le relais du cinéma
de masse.
Remercions aussi tout particulièrement la cinémathèque
française et son conservateur Vincent Pinel, qui nous a
permis de visionner certains films sur tables de montage et précisons
que nous avons appris aussi qu'à tel ou tel endroit, dans
les fonds de telles ou telle cinémathèque, existait
potentiellement un film que nous pourrions un jour appréhender
(nos remerciements aussi à Jean Icart de la cinémathèque
de Toulouse et à Daniel Armogathe de la cinémathèque
de Marseille).
IV - DES LIMITES DE CE CORPUS...
...découlent notre méthode et nos premiers résultats.
- De la lecture des sources indirectes, nous pouvons retenir six
constatations.
1° UNE QUANTIFICATION SOMMAIRE...
... du nombre de films de fiction mettant en scène l'avocat
en tant que personnage principal ou secondaire. Ainsi, 186 ont
été recensés. Il est à préciser
que pour la liste des personnages secondaires, un chiffre noir
important existe du fait de l'insuffisance des résumés
ou de la carence des génériques (La liste complète
de ces films sera publiée dans un ouvrage à paraître
à l'automne 1991)
2° UNE MESURE DE LA FREQUENCE...
... des adaptations littéraires très prononcée
dans les trente premières années et de la prédisposition
pour les scénario originaux dans la seconde période
(1950-1990).
3° UNE PERIODISATION QUI PERMET...
... de noter des engouements passsagers pour le personnage de
l'avocat (le boum des années 50) et des périodes
où il semble disparaître totalement de l'écran
(la décennie 1965-1975), mais une moyenne globale de deux
films par an représentant approximativement pour les années
1919-1960, 2 % de la production française.
4 ° L'INTERET DE LA PLUPART DES CINEASTES...
... français pour le personnage.
5° LA CONSTATATION QU'AUCUN GENRE...
... n'échappe au personnage : du mélodrame au film
comique, de la reconstitution historique au film policier, en
passant par le film pornographique (2 films recensés).
6 ° UN INVENTAIRE DES ACTEURS...
... et actrices ayant joué le rôle, faisant ressortir
la plupart des grands noms du cinéma français (Charles
Vanel, Raimu, François Perier, jean Gabin, Paul Meurisse,
Brasseur père et fils, Alain Delon, André Dussolier,
Gérard Depardieu, Daniel Auteuil etc.) mais aussi quelques
excentriques ou comiques inattendus : de Funès ou Darry
Cowl ou Pierre Richard par exemple. La même constatation
s'impose pour les femmes avocates (Danielle Darrieux : 2 films,
Michèle Morgan, Léa Massari, Marie-France Pisier
etc.).
- Du recoupement entre l'analyse systématique des résumés
et le visionnement des films, d'une façon plus affinée,
,nous pouvons alors tenter de comprendre la spécificité
du personnage à l'écran, l'évolution de sa
représentation sur plusieurs décennies, et, ainsi,
tenter de proposer une première grille d'interprétation(4).
C'est bien évidemment cette analyse plus fine qui nous
permet de prendre l'avocat à l'imaginaire, de tenter de
montrer comment c'est le rapport à l'argent qui structure
les oppositions majeures, personnages positifs, personnages négatifs,
avocats, avocates, comment c'est l'idéologie du désintéressement
d'un côté et la réalité du rapport
marchand de l'autre qui les opppose.
Nous voudrions ici modestement pointer les premières vérifications
de cette hypothèse en présentant la chronique cinématographique
de la recherche d'une identité.
I - LE MANICHEISME DES IMAGES : DES LE MUET, TOUT EST DIT
Dès le muet, tout est dit. A travers le manichéisme
des images, qui est l'un des éléments essentiels
du film populaire, le personnage de l'avocat se détache
d'une façon très contrastée.
Ainsi, d'un côté, se présente le bon avocat
désintéressé et dévoué et de
l'autre, le mauvais avocat tenté par l'argent ou la politique.
Quelques exemples permettront de préciser ces archétypes.
1-1 L'AVOCAT DESINTERESSE
L'avocat désintéressé tout d'abord : chez
lui, il n'est plus question ni d'argent, ni de politique, il plaide
par amour et par dévouement.
C'est le cas de "l'avocat" de Gaston Ravel (1925), tiré
du roman de Brieux. Vous avez vu le film, résumons le rapidement(5).
Il s'agit du cas de conscience de l'avocat, Louis Martigny, à
qui on demande de défendre la femme qu'il aime, présumée
coupable d'avoir assassiné son mari, un dévoyé.
Est-elle ou non la meurtrière ? En réalité,
elle l'est et l'avocat va s'acharner à prouver son innocence.
Louise du Coudrais sera acquitée et Martigny apprendra
alors qu'elle l'aimait aussi et que son mari dévoyé
a provoqué le coup de revolver fatal.
Ainsi, il est ici question d'un cas de conscience, du fait de
savoir.si on peut plaider pour une femme que l'on aime, comment
et jusqu'où peut aller un avocat; mais à aucun moment,
l'avocat apparaît comme un homme intéressé
par l'argent ou la politique. Il n'est intéressé
là que par la cause de sa cliente sans qu'il soit question
de rétribution, si ce n'est symbolique...
C'est aussi le cas, à la même époque, de l'avocat
des "Rocquevillard"" de Julien Duvivier
(1922) ou de Maître Evora" (1920) qui sont,
là encore, des avocats forcément désintéressés
puisqu'ils défendent leurs enfants.
L'avocat désintéressé semble donc avoir tout
particulièrement la faveur du public; témoin, le
héros de " La veine" (1928) de René
Barbaris : il s'agit d'un avocat sympatique qui a un passage à
vide (6).
Un modeste avocat, julien Bréard, s'éprend d'une
gentille fleuriste, Charlotte Lanier; La chance lui sourit et
il gagne un procès. Ses affaires prospèrent, le
succès l'enivre, et il délaisse alors Charlotte,
courtise l'ambitieuse Simone Baudin qui veut faire de lui un député.
Toutefois, Julien se méfie, déclare qu'il n'entend
rien à la politique. Simone le plante là et Bréard
va retrouver Charlotte (résumé emprunté
à Raymond CHIRAT).
Comme vous pouvez le constater, c'est bien de l'idéologie
du désintéressement qu'il s'agit. Elle imprègne
le film. L'avocat ne redevient sympatique qu'autant qu'il abandonne
l'idée de faire carrière. Alors tout peut lui être
pardonné : sa timidité (Les deux timides de René
Clair 1929), comme éventuellement ses démêlés
amoureux et c'est le cas de nombreux films de l'époque.
On pardonne, ainsi, à un avocat âgé mais compétent
cédant au démon de midi et quittant son épouse
et ses enfants pour une aventure (La vierge folle de Luitz Morat
1928), alors même qu'on ne l'aurait pas fait s'il était
parti pour se lancer dans la politique ou se mêler à
des affaires louches.
1.2 L'avocat intéressé ou "Marchand"
:
A l'opposé de ce personnage, c'est l'avocat négatif
par excellence et il apparaît intéressé
avant tout par l'argent, le paraître ou la réussite
facile.
"L'arriviste" d'André Hugon (1924) ne saurait
être un meilleur exemple de cet archétype (6 bis)
Le film porte bien son nom. Il nous présente un avocat
sans fortune qui n'hésite pas à dérober un
milion à un ami, puis à assassiner son épouse
qui risquait de le dénoncer .Il fait ensuite son chemin
dans la politique et devient député; Finalement,
il sera arrêté grâce à la perspicacité
d'un juge d'instruction et à la ténacité
de son ami décidé à venger la mort de son
épouse...
Plus subtil, l'avocat de "Crainquebille" (1922) de Jacques
Feyder nous décrit un avocat qui se désintéresse
totalement de son client et le film semble nous laisser entendre
qu'il s'en désintéresse, en fait, parce qu'il s'agit
d'un client pauvre pour lequel il a été commis d'office
ou duquel il ne doit pas attendre une forte rétribution
(l'opposition du début du film entre les plans montrant
Maître Lemerle, vivant dans la débauche jusqu'à
une heure avancée de la nuit, et Crainquebille commençant
sa journée de très bon matin, est à cet égard,
fort significative).
Là encore, vous avez vu le film et là encore, vous
avez pu constater à quel point tous les poncifs de l'avocat
négatif étaient en place ; ici l'avocat fait rire,
non pas d'un rire sympatique mais d'un ricanement provoqué
par un personnage qui ne remplit pas sa fonction.
Ainsi, dès le cinéma muet, à travers la dizaine
de films que nous avons cités, et nous pourrions à
la limite tous les passer à travers cette grille, la place
de l'avocat dans le cinéma Français oscille entre
une image fortement positive ou fortement négative, suivant
qu'il est question d'argent, de politique ou au contraire d'amour,
qu'il s'agisse de relations amoureuses ou filiales...
Ce manichéisme va peu évoluer pendant les 60 années
de films parlants, mais les personnages d'avocats "négatifs"
vont s'imposer au point d'envahir presque totalement l'écran.
II - 60 ANS DE CINÉMA PARLANT : ROBES NOIRES ET VILAINS
MESSIEURS
Nous pensons que ce titre correspond malheureusement à
une réalité ; en effet, à des degrés
moindres, selon les genres où il faut mettre à part
les reconstitutions historiques où l'avocat d'un grand
procès est mis en valeur et rarement présenté
comme un personnage négatif, la constation s'impose au
fil des ans, que notre grille d'analyse se révèle
de plus en plus opératoire.
II. 1 - Les ambiguités des années trente :
Des années trente, nous pouvons retenir, dans une production
qu'il n'est pas possible d'analyser dans le cadre de cette communication,
trois films de la fin de la periode, c'est à dire des années
1940-1945 ( les historiens du cinéma ayant tendance à
englober les quinze premières années du parlant
dans un terme générique
qui est celui des années 30, car à personne, le
cinéma de l'occupation n'apparaît vraiment comme
une rupture).
Trois films donc pour une démonstration : "Les inconnus
dans la maison" (1941) - Henri Decoin, "Les Rocquevillard"(1943)
- Jean Dreville, "La vie de plaisir" (1943) - A. Valentin
(7).
Quatre avocats positifs et trois avocats négatifs.
II.1.1. - Les avocats positifs tout d'abord
- Raimu dans "Les inconnus dans la maison" : il s'agit
d'un père défendant le fiancé de sa fille.
Là, bien évidemment, il ne peut-être question
d'argent, d'honoraires.
Raimu, en défendant ce garçon, cherche à
se racheter aux yeux de sa fille. Il est brillant , sympatique,
on lui pardonne tout, même son alcoolisme !
- Deux personnages des "Rocquevillard" ensuite : le
père, joué par Charles Vanel, il finit par se trouver
dans l'obligation de défendre son fils. Il le fait avec
éloquence en défendant les grandes vertus familiales,
l'honneur et en lui conseillant de lire la vérité.
Il n'est bien évidemment pas question d'argent dans leurs
rapports. Plutôt que d'être payé par son client,
c'est même lui qui paye, en l'espèce, en vendant
son domaine pour essayer de composer avec la partie civile.
Le bâtonnier ensuite qui ne laisse pas tomber son vieil
ami dans la difficulté et entre eux, il ne peut bien évidemment
être question d'argent. C'est une histoire d'honneur entre
deux hommes !
- Quatrième avocat sympathique : Noël Roquevert dans
"La vie de plaisir". Il défend, dans le cadre
d'un divorce, un homme aux prises avec une belle-famille qui veut
à tout prix obtenir la rupture du lien matrimonial, qui
leur apparaît comme une mésalliance, alors même
que le roturier en question, directeur d'un cabaret à paris,
a permis par sa dot, de redorer le blason de la famille. Il plaide
dans ce cadre et défend mieux son client en expliquant
comment ce dernier est tombé dans une machination.
On le voit uniquement pendant les plaidoiries et à aucun
moment, il n'est question d'argent entre lui et son client
II.1.2. - Les personnages d'avocats négatifs
Dans "Les Rocquevillards, la famille pense un temps s'adresser
à un spécialiste de sessions d'assises. Très
vite, il apparaît comme cynique, maladroit, refusant de
plaider le vrai, prêt à tous les accomodements de
la réalité. Charles Vanel finit par le récuser
et par plaider à sa place.
De l'autre côté de la barre, l'avocat mercenaire
"d'un barreau extérieur" qui accepte de plaider
pour le notaire malhonnête, est présenté comme
franchement odieux.
- De même, le personnage joué par Carle, dans "La
vie de plaisir", pendant sa plaidoirie, est non seulement
affabulateur travestissant sans cesse la réalité,
mais agit sutout comme éminence grise de la famille. Dès
le départ, il est présenté comme leur avocat
"conseil" ; siègeant dans les conseils d'administation,
il fréquente le même milieu, n'hésitant pas
par ailleurs à sortir le soir avec des "femmes lègéres",
apparaissant comme atteint de tous les vices de la haute société
nobiliaire critiquée dans le film.
On ne saurait mieux dire, trois films où les avocats sont
poutant à l'honneur, mais trois films qui démontrent
l'ambigüité de leur image.
L'après guerre va conforter ces ambigüités.
II.2 - Le bain de jeunesse de l'après-guerre :
Dans les années cinquante, le jeune avocat est à
l'honneur et pourtant les premiers glissement apparaissent.
II.2.1 - Le succès des jeunes avocats
Citons là encore trois films, dont deux sans doute, totalement
oubliés :
- "La Souricière de Henri Calef - 1949, décrit
un jeune avocat joué par François Perier, aux prises
avec un cas de conscience, qu'il finit par résoudre avec
l'aide de son Bâtonnier.
- "Né de père inconnu" de Maurice
Cloche ) - 1950. Là, l'avocat s'implique totalement dans
la défensed'un orphelin dont le destin lui rappelle sa
propre histoire.
- De même, le jeune avocat de "Nous sommes tous des
assassins" d'André Cayatte (1951) se bat, tel un DON
QUICHOTTE moderne, avec véhémence contre la peine
de mort;
Rappelons enfin, l'image rassurante et sympathique du jeune avocat
débutant joué par Robert Lamoureux dans "Papa,
maman, la bonne et moi" de Jean-Paul Lechanois - 1954
(8), suivi l'année suivantede "Papa, maman, la
bonne et moi".
Ce que nous avons appelé en nous amusant le "Baby-boom"
de la profession d'avocat, n'aura pourtant qu'un temps à
l'écran car en même temps les fantasmes antérieurs
ressurgissent et, avec force l'image de l'avocat se noircissant
de plus en plus.
II.2.2 - Les premiers glissements
A la fin des années 50, dans "La tête contre
les murs" - 1958, George Franju - le père avocat
du jeune premier interné en Hôpital psychiatrique,
par la volonté de son ascendant, a ce dialogue terrible
avec son fils : "Gérane (Dure, avec une pointe
de mépris). Je me souviens aussi... Tu plaidais partie
civile en Cour d'Assises... Ton talent obtenait la peine de l'accusé,
et, le soir même avec une passion égale, tu m'exposais
les arguments qui lui auraient sauvé la vie... Maître
Gerane (Il pointe son index). La société, mon petit,
est essentiellement un jeu. Mais encore, faut-il savoir le jouer.
Je ne demandais qu'à t'apprendre, tu ne l'as pas voulu.
Tu ne m'as jamais compris..."(9)
Il ouvre la voie à toute une série de films où
les images d'avocats agés, cyniques revenus de tout, mais
prêts à tous, abondent.
Rappelons les trois films essentiels de cette période et
passons rapidemen t sur les commentaires ; vous les avez tous
vus :"En cas de malheur" de Claude Autant-Lara
- 1958, "La vérité" de Henri-Georges Clouzot
- 1960, "Les bonnes causes" de Christian Jaque
- 1962 (10)
Attribuons cependann une mention spéciale à ce dernier,
car il introduit un élément dialectique tout particulier,
que l'on retrouvera pendant toute la Vème République
: l'Opposition manichéiste entre l'avocat forcément
interessé (Pierre Brasseur) et le juge d'Instruction forcément
désintéressé, faisant oeuvre de justice (BOURVIL).
II.3 - UNE TRISTE IMAGE
Citons maintenant pour toute la Vème République
un certain nombre de films où le schéma de l'avocat,
personnage négatif et intéressé se perpétue
de bobines en bobines, d'images en images égrenant la chronique
d'une identité négative.
Le comble de la négativité sera apporté par
des films présentant d'un côté les Juges intègres,
de l'autre, l'avocat lié, soit au milieu tout court, soit
au milieu politique, avocat lié à la mafia ("L'homme
qui trahit la mafia" - 1960), avocat receleur
d'"un aller simple" de José Giovanni (1970),
avocat peu scrupuleux et cédant aux pressions politiques
("Les assassins de l'ordre" de Michel Carné
- 1970), avocat empêchant par son habileté la
Justice d'éclater et défendant les milieux politique
louches ou les trafiquants de drogues ("Le Juge Fayard"
d'Yves Boisset - 1976 - "Cap canaille" de Juliette
Bertho -1982 et "Le Juge" de Philippe Lefevre - 1983).
Autant de films qui se succèdent dans les décennies
qui vont suivre et qui donnent à l'image de l'avocat sous
la cinquième République, un aspect bien noir : complice
et prêt à toutes les compromissions.
On comprend alors que le personnage puisse être victime
de réglements de compte ("La crime" de Labro
- 1983 qui commence dans le couloir du Palais par un assassinat)
et que de cette image certains puissent s'offusquer... Mais lorsque
le mal est fait, il est bien difficile d'aller contre. L'avocat
qui ne pense s'être reconnu dans "Le Juge" de
Philippe Lefebvre sera débouté par la 14ème
Chambre de la Cour d'Appel de Paris, qui, dans un Arrêt
du 6 Juin 1984, énonce : "Même si la ressemblance
entre l'acteur jouant dans un film le rôle d'un avocat et
un avocat en exercice était parfaite, ce qui n'est
nullement le cas, l'intéressé ne serait pas
fondé à se prévaloir de la protection de
son droit sur son image, alors qu'il n'est pas montré
en personne dans le film, lequel n'utilise à aucun
moment sa propre image » (11)
Qui sauvera alors l'honneur de la profession au cinéma?
Certainement pas Claude Brasseur dans « une belle fille
comme moi » de François Truffaut (1972), symbole
de l'avocat « marron ». Témoin
cet extrait du dialogue signé Dabadie : « Vos
parents ne vous ont pas appris ça. Qui dit avocat, dit
provision ». Il est vrai qu'ici avocat s'appelle
Maître Murene et qu'il chasse en eau particulièrement
trouble, et notamment le client à l'occasion d'un
accident de la circulation dont il est le témoin, le poursuivant
jusqu'à son domicile, lui faisant signer des documents
en blanc et n'hésitant pas à écrire
sur sa plaque « Avocat Conseil ».
Pas davantage les jeunes premiers qui se laissent aller dans toutes
les compromissions, confondant avocat de proximité et conseil
en promiscuité coupable ! Ainsi, Richard Anconina dans
«Police» de Pialat (1985) , ou Jacques Dutronc dans
« Le mouton noir » de Jean-Pierre Moscardo
(1979).
Trois exceptions méritent cependant quelques commentaires.
Dans « Comme un boomerang » de Jose Giovanni
1976, Charles Vanel reprend du métier à 84 ans,
pour incarner un avocat sympathique, se dévouant pour une
cause qui lui paraît juste, mais il s'agit en fait
d'un jeune délinquant, fils d'un truand qu'il
a défendu antérieurement. On apprendra bien évidemment
qu'il en est le parrain. Pas question d'argent donc.
Dans «la brute» de Claude Guillemot
(1987), Jean Carmet joue le rôle d'un vieil avocat
sans cause, commis d'office, par son ami, le Bâtonnier
de l'ordre pour défendre une cause impossible : un
aveugle, sourd et muet, aurait commis un meurtre. Il s'agit
d'un invraisemblable mélo tiré d'un livre
de Guy des Cars (1951). Pour une fois que la profession rencontrait
un réalisateur complaisant, il eut été souhaitable
qu'il choisît mieux son scénario, même
si Jean Carmet est parfois remarquable... L'invraisemblance
du récit lui fait malheureusement perdre toutes forces.
Pourtant, l'idéologie du désintéressement
règne en maître d'un bout à l'autre
du film, mais il s'agit d'une autre époque !
Analysons maintenant «Rive droite, rive gauche» de Philippe
Labro (1984).
Rappelons le cadre du film. Il nous montre un avocat qui se révolte
contre le rôle qui est le sien. Au prix d'un scénario
et d'une mise en scène parfois invraisemblables -
(même s'il s'est pas étonnant que deux
avocats d'affaires puissent avoir chacun une Mercédès
(où Philippe Labro en a-t-il rencontré partageant
le même Bureau et officiant face à face ?...) -,
Gérard Depardieu y apparaît comme un avocat honnête,
reconnaissant les difficultés de son métier et s'en
offusquant, titillé, il est vrai, par la femme dont il
est amoureux, qui le présente de la façon suivante
: Paul Senanque, brillant espoir du Barreau, a commencé
par défendre la vérité et la justice, aujourd'hui
préfère gagner beaucoup d'agent, sans se poser
trop de questions sur la moralité de ses clients ».
Ainsi, mis au défi, il n'hésitera pas à
trahir son client en plein plateau télévisé,
en laissant entendre qu'il le désapprouve totalement,
terminant son intervention par ces mots : «En fait, ce que
je me demande aussi depuis quelques temps, et que vous me demandez,
c'est suis-je un salaud parce que je défends un salaud
?». Ensuite, il passera tout le film à tenter de confondre
celui qu'il était censé initialement défendre
et finira par y arriver, l'heure de la vérité
sonnant comme celle de la trahison. Ainsi, même si l'image
est bonne, l'avocat n'en ressort grandi aux yeux des
spectateurs qu'au prix d'un mandat bafoué.
L'avocat à l'écran est donc un personnage
rarement sympathique et plus intéressé qu'intéressant.
Cependant, il conviendrait de nuancer notre propos et de mettre
à part les films que nous pourrions qualifier de « manifestes »,
visant à la dénonciation de la peine de mort, films
disparus de nos écrans depuis 1981. Là, l'avocat
reprend, aux yeux des réalisateurs la plénitude
de sa fonction, comme porte-parole d'une cause qui le dépasse,
mais à laquelle sa présence et sa voix sont indispensables.
Ainsi, « La vie l'amour la mort » de
Lelouch, « La machine » de Vecchiali, présentent
des avocats particulièrement positifs. Les deux réalisateurs
ont d'ailleurs voulu créer des « effets
de réel » ou, souligné l'intérêt
qu'ils portaient au sujet, en faisant jouer les rôles
d'avocat par des avocats bien réels en ce qui concerne
Lelouch et en s'attribuant lui-même le rôle en
ce qui concerne Vecchiali.
Des exceptions donc, qui ne font que confirmer la règle,
et ce, d'autant plus, que les avocats du « pull-over
rouge » de Michel Drach, loin d'être montrés
comme de réels défenseurs s'impliquant pur
l'abolition de la peine de mort, apparaissent plutôt
comme des rouages du système aboutissant à l'erreur
judiciaire dénoncée par le film.
Par contre les deux autres films sur la peine de mort mettent
en scène des avocates (Annie Girardot dans "Une Robe
noire pour un tueur" et Malka Ribowska dans "Deux hommes
dans la ville"). Nous rentrons alors dans une toute autre
problématique, celle du dévouement et du désintéressement,
valeur forcément féminine
III - LES FEMMES AVOCATES A L'ECRAN : COMME DES ANGES
OU LE TRIOMPHE DU DESINTERESSEMENT :
Pourtant pour la femme avocate, à l'écran, tout
a failli commencer très mal, surtout quand une avocate
en, 1933 s'est avisée de transgresser deux interdictions
fondamentales : faire de la politique, en réclament le
suffrage universel, présenter cette revendication, à
l'écran et en robe.
Résultat : en 1935, le Conseil de l'Ordre de Paris, dans
la séance du 9 avril, prend une décision disciplinaire
qui a valeur de symbole. Il rappelle que le port de la robe "insigne
du caractère de l'avocat, n'est permis que pour les manifestations
d'ordre professionnel, qu'il est interdit pour toute autre manifestation
publique et notamment pour des représentations théâtrales
ou cinématographiques". Le Conseil de l'Ordre, considérant
qu'elle s'est laissée entraîner, se refuse à
prononcer une peine et se contente de prévoir une simple
admonestation paternelle du Bâtonnier (12).
Cette anecdote paraît significative d'une époque
où la femme avocate a des difficultés à s'imposer
tant au Barreau qu'à l'écran.
A l'écran, en tous cas, elle prête à rire
et ce sera le cas jusque dans les années 50.
III.1 - Un sujet qui prête à rire
Les avocates prennent à cette époque et tout particulièrement
dans les années 30, une place de choix dans l'imagination
des réalisateurs mais reste marginales, leur entrée
dans le Barreau n'étant jamais présentée
comme évidente, qu'il s'agisse du mélodramatique
abus de confiance, (Henri Decoin - 1937- où la jeune étudiante
en droit est obligée de mentir à son protecteur
pour pouvoir revêtir la robe, se faisant passer pour sa
fille naturelle), ou de comédies plus lestes comme "Un
Mauvais Garçon" de Jean Boyer (1936) ou "Maître
Bolbec et son mari" de Jacques Natanson (1934).
Dans ce dernier film, la femme avocate devient un sujet boulevardier
et un personnage de comédie : "Maître Bolbec
est un avocate célèbre, mais le robe qu'elle
porte n'est pas celle que voudrait lui voir son mari. Lorsqu'elle
s'aperçoit qu'il la trompe, elle abandonne le Barreau,
mais elle est encore plus accaparée par ses amis. Monsieur
Bolbec supplie alors sa femme de reprendre son métier et
sollicite la place de secrétaire". Il est vrai d'ailleurs
qu'il s'agit dans ce cas précis d'un film tiré
d'une pièce de théâtre.
Dans "Un mauvais Garçon", Danielle Darrieux,
jeune licenciée en droit, a bien du mal à imposer
son choix à son père. Dans un premier temps, il
lui refuse de choisir ce métier : "Le Barreau, c'est
pour les gens qui font de la politique, tu n'as pas envie de faire
de la politique. Tu n'as pas besoin d'être avocate".
Dans un second temps, il semble la soutenir en lui offrant un
local pour qu'elle s'installe avec une employée
de maison qui sera également sa secrétaire, mais
en même temps, il lui fixe un ultimatum de 18 mois afin
qu'elle se constitue une clientèle, au 17ème
mois, elle n'a toujours aucun client. Son père n'hésite
pas alors à lui écrire : "Mon cher Maître,
Voici ton avant dernière mensualité. Ton Père.
P.S. : ne jette pas tes robes d'avocates, cela te fera de bons
tabliers noirs pour tes enfants"...La voyant pourtant toujours
désireuse d'être avocate, il finira par l'en dissuader
définitivement, en lui trouvant, avec la complicité
du Bâtonnier de l'Ordre, un client, vrai riche héritier,
mais faux mauvais garçon, dont elle tombera amoureuse et
qu'elle fera sortir d'une captivité fictive. Elle
finira par l'épouser après un coup de théâtre
final qui la fera, dans doute, mais le film ne le précise
pas, renoncer définitivement à la profession, et
tout finira en chanson.
Rien n'est donc simple dans ces années-là, pour
faire sa place au Barreau, lorsqu'on est une femme...
Cependant , l'avocate n'est pas simplement un personnage de comédie
en cette période . Nous avion déjà rencontré
dans "Maître Evora" (1922) une femme défendant
son fils, symbole même, là encore, du "désintéressement"
obligatoire. "Abus de confiance" - d'Henri Decoin, 1937,
nous donne un nouvel exemple de cette idéologie appliquée
à la femme avocate.
Elle n'est reconnue que si elle proclame désirer se "consacrer
aux enfants", car comme le font remarquer les amis de la
jeune avocate, interprétée par Danielle Darrieux,
voulant la dissuader de choisir cette profession : "il y
a déjà assez de femmes avocates dans la Corporation.
Les femmes avocates, cela devrait être interdit". Et
c'est en défendant une adolescente devant le Tribunal pour
Enfants, qu'elle gagnera sa première cause, et sa
propre cause.
Les exceptions ne confirment pas la règle, mais annonce
ce qui va se passer dans les décennies suivantes.
Les femmes avocates trouvent dans ces deux films leur spécificité
: la défense dans un cadre où ne peut régner
que de désintéressement, le Tribunal pour Enfants,
en ce qui concerne Danielle Darrieux dans "Abus de confiance"
- 1937 Henri Decoin - "je veux être avocate d'enfants,
dit-elle" et de son propre enfant en ce qui concerne Maître
Evora - 1920 Gaston Roudes.
S'agit-il en fait dans l'esprit des deux réalisateurs
d'une véritable défense des mineurs ou d'une
défense mineure, nous vous laisserons apprécier
!
En tout cas la reconnaissance ultérieure du personnage
de la femme «avocat» à l'écran permet
de conforter cette impression. En effet, après l'apparition
de deux rôles comiques en 1948 ( «Suzanne et les deux
brigands» d'Yves Ciampi et « La veuve et l'innocent»
d'André Cerf), et, alors même que la femme
avocate avait totalement disparu de l'écran pendant
la guerre (était-ce un sujet trop léger ?) , elle
réapparaît à l'orée des années
60, comme un personnage fort, défendant par passion, allant
jusqu'au bout d'elle-même,
mais jamais pour des raisons financières ou dans l'espoir
d'une carrière politique.
III.2 - Une image de plus en plus présente et rassurante
Le film d'Henri Decoin : «Pourquoi viens-tu si tard?»
(1958) avec Michèle Morgan, dans le rôle de l'avocate,
ouvre ce genre en portant à l'écran l'histoire
d'une avocate aux prises avec l'alcoolisme tant dans
sa vie professionnelle, qu'à la barre. Un mélo
certes, mais où l'avocate en exercice est pour la
première -fois le sujet central du film, à égalité
avec ses confrères (13).
En 1964, Alain Cavalier met en scène dans «L'Insoumis»
Léa Massari. Sa douceur et sa compréhension vis
à vis de son ravisseur contrastent avec le cynisme des
hommes. Ainsi, le dialogue dans une chambre d'hôtel
autour de sa profession. « L'insoumis »
(Alain Delon) : vous mettez une robe avec de grandes manches -
Bien sûr - Il n'y a pas des gens que vous défendez
mais qui vous dégoûtent ? - Non, nous sommes un peu
comme des médecins, on essaie de sauver, pas de juger.
Qu'est-ce que vous diriez si vous me défendiez ?
- On bavarderait et je vous demanderais de me parler de vous -
On raconte, vous vous arrangez les choses , c'est ça
- J'essaie de comprendre, d'expliquer ». Quoi
dire de plus pour présenter le rôle d'un avocat
au pénal ? Fallait-il pour autant qu'une Consoeur
s'offusque de ce film de fiction et qu'il soit en partie
amputé ?
De même, c'est encore une avocate qui va jusqu'au
bout de la lutte contre la peine de mort, dans « Une
robe noire pour un tueur » de José Giovani (1980)
où Annie Girardot n'hésiteras à héberger
son client évadé de prison pour lui éviter
la peine capitale, à une époque où elle existait
encore, au risque de remettre en cause sa carrière. C'est
aussi une jeune avocate qui prend le risque de se lancer dans
un procès en diffamation difficile dans «L'honneur
d'un capitaine » de Schoendoerffer (1982) même
si elle sollicite pour l'aide un bâtonnier plus expérimenté.
Même François Truffaut, pourtant peu susceptible
de tendresse vis à vis des avocats (18), se laisse séduire
par son héroïne interprétée par Marie-France
Pisier dans « L'amour en fuite » (1978),
où elle apparaît en jeune avocate, s'interrogeant
sur son devoir éthique quant à l'acceptation
d'un dossier qui la répugne, a priori, le meurtre
d'un enfant. De même, c'est une jeune avocate
en vacances, qui prend fait et cause pour un marin pêcheur
impulsif dans «MAINE-OCEAN», de Jacques Rozier (1985)
. Ce sont encore des avocates qui interviennent subtilement pour
défendre leur client dans «L'amour Violé»
(1977) de Yannick Bellon ou dans « Le Divorcement»
de Pierre Barouh (1979) et ce pour des rôles secondaires.
En outre, Costa-Gravas, en 1983, consacre un film entier au destin
d'une avocate, mariée à un avocat français,
qui se réalisera en Israël où elle prendra
fait et cause pour un palestinien (« Hannah K »)
. L'avocate a beau s'inscrire au Barreau de Jérusalem,
c'est bien d'un film français sont il s'agit
et il méritait d'être signalé tant il
fait d'une femme le symbole de la défense.
C'est sans doute la plus grande rupture de ces vingt dernières
années, l'impression que les avocates ont progressivement
conquis leur place dans l'imaginaire social , et ne faisant
plus rire, apparaissant comme des défenseurs à part
entière, plus humaines, et plus positives que leurs Confrères.
Elles peuvent cependant, aussi craquer comme l'héroïne
de «La Travestie» d'Yves Boisset (1988) se révoltant
contre son patron de stage qui lui refuse de plaider, le quittant
en emportant la caisse et en le menaçant d'une dénonciation
aux services fiscaux et sombrant définitivement dans la
folie.. Il est vrai, cependant, qu'elle le fait par révolte
contre un monde masculin qui ne lui reconnaît pas sa place,
autant que par dégoût pour une pratique malhonnête
et mercantile du métier. Son errance la conduit alors au
meurtre et, à la Police qui vient l'interpeller, elle
ne sait plus que répéter, s'accrochant à
une identité professionnelle dérisoire : « Je
m'appelle Nicole Armago, je suis avocate au Barreau de Clermont.
Vous trouverez ma carte dans ma poche » (14).
IV - Une image juste ou juste une image : en guise de conclusion
provisoire
A une époque ou la profession s'interroge sur son
avenir, et se demande si elle ne va pas «Perdre son âme »
dans les réformes en cours. « La travestie »
symbolise peut-être, sans que son réalisateur en
ait eu conscience, ses inquiétudes de la profession. Entre
« Le Beau Mariage » - Rhomer, 1984 - (pris
comme métaphore du mariage avocats/conseillers juridiques),
et « le travestissement » de l'idéal
du désintéressement , la porte est étroite.
Dans quelques pages brillantes de son dernier ouvrage, Soulez-Larivière
compare l'image du lawyer dans le cinéma américain
à la pauvreté de l'imaginaire concernant l'avocat
dans notre pays. Analysant quelques films, il y dénonce
les poncifs : « L'avocat complice est un mythe
qui participe de la méfiance générale envers
la justice mais n'apporte rien de spécifique à
l'illustration complète d'une profession...
Les personnages d'avocats sont des ectoplasmes invraisemblables.
Tout est faux, même dans certains détails des costumes...
Les voitures, l'argent, l'appétit du pouvoir,
les maîtresse attribuées à une catégorie
sociale, les « avocats »...L'avocat est
le «baveux», vénal, complice, orgueilleux,
généralement à côté de la plaque,
ou au contraire, diabolique ou manipulateur »
(15).
Ces conclusions semblent parfois rejoindre les nôtres ,
mais notre étude les amène à les nuancer
quelque peu, au regard des travaux les plus récents sur
la profession.
Si le cinéma français de fiction semble parfois
nous renvoyer une image caricaturale de l'avocat, il n'en
demeure pas moins que par sa répétition, elle doit
correspondre à une forte tendance de l'imaginaire
social dont l'intuition perçoit avec une certaine
justesse toute l'ambiguïté de l'idéologie
du désintéressement, qui a rythmé et rythme
encore le discours des avocats sur eux-mêmes.
Le cinéma ne ferait ainsi que renvoyer la profession à
ses propres responsabilités, la prenant à son propre
piège.
René CHEREL
Enseignant à l'Université de Gestion de Nantes
Lyonel PELLERIN
Avocat au Barreau de Nantes
(1) La bibliographie sur le sujet est assez vaste. Le lecteur
pourra se rapporter avec profit aux ouvrages de Prédal,
La Société Française entre 1914 et 1945
à travers le Cinéma, Paris 1974, Sorlin, Sociologie
du Cinéma, Paris 1977, et à la réflexion
Collective des Cahiers de la Cinémathèque, qui autour
des rencontres de Perpignan font depuis 20 ans, un travail essentiel
sur cette question (cf.tout particulièrement les numéros
35, 36 des Cahiers de la Cinémathèque Cinéma
et Histoire - Histoire du Cinéma - 1982). Enfin, pourront
être consultés les actes du colloque de Cerisy, Paris
Publication de la Sorbone, 1989, Histoire du Cinéma Nouvelles
Approches.
(2) Les études publiées sur la représentation
des groupes sociaux au cinéma sont relativement rares.
Il peut être glané des commentaires et problématiques
intéressants dans les ouvrages suivants : la petite bourgeoisie
au cinéma, cahiers de la cinématique 1988, François
Garçon Le cinéma français de BLUM à
Pétain , Paris 1984 (tout particulièrement l'image
de l'ouvrier à l'écran page 53 et suivantes). Des
personnages plus ciblés ont fait l'objet d'études
ponctuelles Par exemple, le dictionnaire des personnages du cinéma
sous la direction de gilles Orvilleux, 1988, contient le seul
article existant sur l'avocat au cinéma, signé E.Decaux.
Le prêtre a fait l'objet d'une étude d'Olivier Sere,
les prêtes des salles obscures : l'homme de tous les conflits,
in cinemaction n° 49 1988. Le médecin d'un article
de jean - Jacques schleret dans le monde radio télévision
des 9 et 10 septembre 1990 : le médecin, hors de tous les
temps. Enfin, pour un point de vue original sur l'analyse filmique
d'un personnage à l'écran, il pourra être
fait références à l'article de Marc Vernet,
"le personnage de film" (iris n°7 1986).
(3) Encyclopédie du Cinéma Français par Besy
Maurice et Chirat Raymont (histoire du cinéma français)
paris 1988, 1989, 1990)
(4) Se référant notamment aux travaux de Lucien
karpik "le désintéressement", AESC 1990
et d'Anne Boigeol "de l'idéologie du désintéressement
chez les avocats", (sociologie du travail n° 1 81).
Pour une synthèse de ces travaux, le lecteur pourra se
reporter à l'article de Tienot Grunbach : essai d'instrumentalisation
des trois articles de monsieur le professeur Lucien Karpik, in
revue trimestrielle du ressort de la cour d'appel de Versailles,
janvier, juillet 1990 publié avec le concours de la gazette
du palais.
(5) Il faut rappeler que le congrès était doublé
d'une semaine de cinéma organisée conjointement
par l'association culturelle du barreau de Nantes et l'association
Nantes aime le cinéma et consacré à l'image
de l'avocat dans le cinéma français. Ont été
successivement projetés : "l'avocat" de Gaston
Ravel - 1925, "crainquebille" de Jacques Feyder 1922,
"les deux timides" de rené clair - 1929, "un
mauvais garçon" de jean Boyer - 1936, "les inconnus
dans la maison" d'Henri Decoin - 1941, " les roquevillard"
de jean Dreville 1943, "la poison" de Sacha Guitry
- 1951, "la vérité" d'henri-georges Clouzot
- 1960, "le beau mariage" d'Eric Rohmer - 1982,
"hanna k" de Constantin Costagavras - 1983, "Maine
océan" de Jacques Rozier - 1985. Le catalogue du festival
peut encore être obtenu auprès de l'association Nantes
aime le cinéma, 19 passage Pommeraye à Nantes 44000
tél. : 40-73-88-40.
(6 & 6 bis) « La veine » et « L'arriviste »
n'ont pu être retrouvés. Ont-ils à jamais
disparu ? Ce serait dommage tant leur problématique s'inscrit
dans l'histoire de la 3è République (cf. Yves-Henri
Gaudemet Les juristes et la vie politique de la 3è République,
Pairs 1972).
(7) « La vie de plaisir » a été
visionné sur cassette. Projeté par FR3 en Août
1989 dans le cadre du « Cinéma de minuit »,
la copie existant chez UGC est trop mauvaise pour pouvoir être
projetée en salle. Pourtant, ce film est apparu aux auteurs
de ces lignes comme essentiel à la compréhension
de l'idéologie nationale socialiste que voulait diffuser
la Continental Film. Or, si les historiens ont souligné
l'interdiction à la Libération, aucun ne semble
avoir analysé avec précision son contenu. Il y a
donc urgence à sauver ce film, qui peut éclairer
d'un jour nouveau l'énigme de la politique idéologique
de la Continental (cf. sur ces questions : Jacques Siclier La
France de Pétain et son cinéma , Paris 1981. Jean-Pierre
Bertin Maghit Le Cinéma sous l'occupation, Paris 1989
et François Garcon, op. cit., ne mentionnent même
pas l'existence du film).
(8) Le film aura un immense succès, même un URSS.
L'avocat comme personnage populaire, car désintéressé,
fait recette. Une polémique est même déclenchée
entre Jean-Paul Sarthe et Raymond Borde, qui dans « Les
temps modernes » s'est permis de le soutenir, le
présentant comme un aboutissement du « néoréalisme
parisien » (cf. Les temps modernes n° 109 Janvier
1955 et Les cahiers de la cinémathèque n° 50,
1988, « La petite bourgeoisie dans le cinéma
français » page 67 et suivantes : « Sans
véritable vedette, sans intrigue... le film fit finalement
beaucoup de choses. Mais il faut le voir au-delà du sourire »)
(9) Les dialogues ont été publiés dans Georges
Franju « La tête contre les murs »,
L'avant-scène cinéma Octobre 1986 n° 356.
(10) »En cas de malheur » a été
rediffusé en Février 1990 sur FR3. « La
vérité » d'Henri-Georges Clouzot
est ressorti en salles fin 1989 et vient d'être réédité
en vidéo-cassettes.. « Les bonnes causes »
ont fait l'objet d'une réédition vidéo.
(11) Cette décision - Paris 14è Chambre 6 juin 1987
- F.../ Société Triman Film et autres - recueil
Dalloz et Sirey 1985 - est étonnante si on la rapproche
de la décision d'interdiction concernant « L'insoumis »
prise en 1964 - TGI de la Seine Référé 25
Septembre 1964, (Gazette du Palais du 6 Avril 1965).
(12) Nous remercions Monsieur Ozanam, archiviste du Barreau de
Paris, d'avoir eu l'amabilité de rechercher et
de nous fournir cette décision reproduite en annexe. En
1974, les avocats jouant dans « La vie l'amour
la mort » n'auront pas ces scrupules et ne seront
pas sanctionnés, ni davantage Maître Polack, intervenant
à la fin de l'affaire Dominici.
(13) A noter cependant, exception à la règle du
désintéressement féminin, la personnalité
trouble de Maître Surville, jouée par Renée
Faure, dans « Rue des prairies » de Denys
de La Patelliere (1959), avocate n'hésitant pas à
conseiller à ses clients de mentir et d'accuser leurs
parents agoptifs de mauvais traitements, stratagème qui
échouera d'ailleurs devants la Tribunal.
(14) Après avoir volé dans le coffre du Cabinet,
une grosse liasse de billets, elle laisse un message sur dictaphone
à l'attention de son patron, Maître Asselin :
« la somme que j'emporte n'est qu'une
petite indemnité pour les cinq ans d'exploitation
que j'ai vécu chez vous. N'essayez pas de me
poursuibre,, vos méthodes pour échapper au fisc
passionnereaient certainement l'administration »
Extrait du dialogue signé Yves Boisset.
(15) Dominique Soulez-Lariviere Justice pour la Justice 1990 (chapitre
7, l'imaginaire - page 139 et suiv.)