Enfin, notons que le conseil d'administration, en France, comme en Espagne, est avant tout l'œuvre de la pratique, qui, malgré le mutisme respectif des lois française et espagnole à son sujet, avait su créer, au cours de la période séparant les premières lois régissant l'existence des administrateurs et celles reconnaissant le conseil d'administration, cet organe collégial qui répondait davantage à ses besoins.
PREMIERE PARTIE.
ETUDE STRUCTURELLE DE L'ORGANE D'ADMINISTRATION
TITRE PREMIER
LA STRUCTURE ORGANISATIONNELLE
CHAPITRE I. - LA CONFIGURATION DE L'ADMINISTRATION
Section 1. - Présentation des divers systèmes d'organisation
§1. - Le conseil d'administration
A. - Les textes applicables
L'administration de la société anonyme peut-être confiée, en France, comme en Espagne, à un conseil d'administration. Selon l'article 89 de la loi du 24 juillet 1966:
"La société anonyme est administrée par un conseil d'administration composé de trois membres au moins, les statuts fixent le nombre maximum des membres du conseil qui ne peut dépasser vingt-quatre."
Quant au droit Espagnol, l'article 136 du Real Decreto legislativo 1. 564 du 22 décembre 1989, qui constitue la loi sur les sociétés anonymes (que nous nommerons désormais L.S.A.) dispose:
"Cuando la administración se confía conjuntamente a más de dos personas, éstas constituirán el consejo de administración."
Cet article figure dans le chapitre V de la L.S.A. intitulé "de los organos de la sociedad", sous la section quatre traitant du conseil d'administration.
Notons que l'article 9 h) de la L.S.A. précise en outre, que la structure de l'organe auquel est confiée l'administration de la société doit être précisée dans les statuts de la société, ainsi, entre autres choses, que le nombre minimum et maximum d'administrateurs composant le conseil, à défaut d'indication du nombre exact.
Il convient d'ajouter, que l'administration de la société anonyme est également régie par un réglement du 19 juillet 1996.
Ainsi el Reglamento del Registro Mercantil (que nous nommerons désormais R.R.M.) a établi de façon précise les différentes formes que pourra adopter l'organe d'administration. La formule d'organisation de l'administration sous forme de conseil est envisagée dans l'article 124. 1 d) R.R.M..
B. - L'obligation de constitution
1. - Réunion des conditions légales
Le recours au conseil d'administration, en Espagne, n'est obligatoire que lorsque l'administration est confiée conjointement à plus de deux personnes. Cette obligation légale de constitution du conseil d'administration mit fin, dès la publication de la loi, à la pratique du conseil d'administration composé de deux personnes, que rendait possible l'ancienne rédaction de l'article 73 § 1er de la loi de 1951:
"Cuando la administración (...) se confía conjuntamente a varias personas, éstas constituirán el consejo de administración."
Le conseil d'administration devait être constitué lorsque l'administration était confiée à plusieurs personnes agissant conjointement.
L'imprécision quant au nombre minimum d'administrateurs devant composer le conseil, permettait à la doctrine de la Dirección General de los Registros y del Notariado 4 d'affirmer que la loi de 1951, loin de prohiber cette pratique, l'autorisait implicitement. Solution qui fut celle également adoptée par bon nombre d'auteurs 5 et confirmée par la jurisprudence du Tribunal Suprême Espagnol. 6
Notons que cette solution présentait un inconvénient, en effet un conseil composé de deux administrateurs ne pouvait adopter de décisions à la majorité des voix, mais devait au contraire, prendre les décisions à l'unanimité.
Depuis 1989, le droit espagnol s'est aligné sur le droit français, et impose un minimum de trois membres pour constituer un conseil.
Toutefois, la L.S.A., contrairement à la loi de 1966, n'impose aucun maximum. Cette restriction que l'on rencontre seulement en droit français a toutefois une justification, ainsi, cette limitation vise à empêcher la création de conseils d'administration comprenant un nombre trop élevé d'administrateurs, ce qui pourrait altérer le bon fonctionnement de l'organe, en retardant ou en rendant plus difficile la prise de décision.
Il est intéressant d'observer que face à cette apparente liberté dans le choix du conseil en tant qu'organe d'administration, ainsi que du nombre d'administrateurs, qui n'est pas limité par la loi, il est des cas où la loi espagnole impose la création d'un conseil d'administration, et va jusqu'à préciser le nombre minimum, les qualités, la nationalité de ses membres.
2. - Les cas visés par la loi espagnole
Il en va ainsi des banques, dont le conseil doit être composé d'au moins cinq membres (Real Decreto 30 septembre1988), tout comme les sociétés de bourse (R.D. 23 juin 1989), les sociétés de gestion directe de service public doivent, quant à elles, comprendre au minimum sept membres au sein de leur conseil d'administration 7 .
En outre, les droits français et espagnol prévoient en matière d'administration une alternative au conseil d'administration qui diffère selon le droit en présence.
§2. - Les alternatives au conseil d'administration
A. - La formule dualiste en France
La loi de 1966, offre la possibilité de choisir une autre formule appelée dualiste, en raison de la présence de deux organes, le directoire et le conseil de surveillance.
Selon l'article 119 de la loi de 1966:
"La société anonyme est dirigée par un directoire composé de cinq membres au plus (...) "
Selon l'article 128 de la loi de 1966:
"Le conseil de surveillance exerce le contrôle permanent de la gestion de la société par le directoire (...)"
Ces deux articles nous montrent que cette formule dite dualiste, par opposition à la formule moniste, permet de différencier les fonctions de direction, réservées au directoire, et celles de contrôles, dont se charge le conseil de surveillance.
Nous nous bornerons, concernant le système dualiste, à de succinctes analyses en raison, d'une part, du faible succès rencontré en France par cette formule 8 inspirée du droit allemand 9 , et d'autre part, en raison du fait que beaucoup de règles régissant ces organes, parmi lesquelles celles relatives à leur composition et leur fonctionnement, sont inspirées de dispositions traitant du conseil d'administration.
B - La solution espagnole
1. - Rejet de la formule dualiste
Le droit espagnol, quant à lui, n'a pas repris dans sa législation le système dualiste que connaît la France.
On pourrait justifier cela par les quelques critiques que suscite, en France, ce mode d'administration. On lui reproche l'excès de formalisme qu'entraîne la dualité d'organes 10 , mais également l'absence fréquente, dans les faits, de réelle indépendance entre le directoire et le conseil de surveillance 11 , créant des rapports entre les deux organes qui s'apparentent à ceux existant entre le conseil d'administration et son président, sans toutefois que le conseil de surveillance puisse révoquer le directoire.
Cette prérogative appartient en effet à l'assemblée d'actionnaires sachant que le conseil de surveillance ne peut que proposer la révocation.
Face à ces critiques d'ordre pratique, certains auteurs, dont Daniel LACHAT, avancent que l'échec de ce système en France s'explique par le fait qu'il soit "le seul qui présente la souplesse nécessaire pour allier sans heurts le capital et le travail en donnant à ce dernier un minimum de pouvoir sans la nécessité d'un investissement. " 12
Toutefois, il semblerait que les véritables raisons soient d'ordre structurel. Un tel système éprouverait quelques difficultés à vouloir s'implanter en Espagne, du fait même du rôle joué par les sociétés anonymes dans ce pays. Celles-ci sont très polyvalentes et s'adaptent à tous types d'activités, quelque soit son importance, au point que des sociétés anonymes sont qualifiées par certains auteurs de "Lilliputiennes".
La société anonyme est d'ailleurs souvent choisie au détriment d'une autre forme sociétaire qui, a priori, paraîtrait mieux adaptée. Il s'agit en l'espèce de la société à responsabilité limitée, laquelle, en Espagne, comparée à d'autres systèmes juridiques qui connaissent la formule dualiste, est très peu utilisée.
La société anonyme joue donc un rôle en Espagne très particulier, pour lequel le système dualiste s'avère inadaptable en l'état actuel des législations sur les sociétés anonymes et S.A.R.L. 13 .
Le droit espagnol offre cependant, la possibilité d'opter pour un système d'organisation de l'administration très souple.
2.- La souplesse dans le choix de l'organisation
El Reglamento del Registro Mercantil a établi les diverses formes que peut revêtir l'organe d'administration de la société anonyme en dehors du conseil.
L'article 124. 1 R.R.M. contient trois formes possibles d'administration de la société, celle-ci peut-être confiée:
- A un administrateur unique.
- A plusieurs administrateurs agissant solidairement.
- A deux administrateurs agissant conjointement.
L'article 124. 1 R.R.M. précise que la structure de l'organe d'administration devra obligatoirement être précisée dans les statuts:
"En los estatutos se hará constar la estructura del órgano al que se confía la administración (...)"
A la lecture de cet article, on peut constater que la loi considère les administrateurs comme un organe. Ce qui nous est confirmé par le fait que la L.S.A. place la troisième section réservée aux administrateurs (articles 123 à 135) dans le chapitre V traitant des organes de la société.
Le degré de liberté dans le choix de l'organe d'administration s'avère donc être plus grand en Espagne, car il est possible de se passer d'une structure collégiale.
Cependant, une plus grande liberté dans le choix de la structure de l'organe ne signifie pas une plus grande efficacité de la structure choisie, c'est pourquoi il convient désormais d'examiner quelle est la structure d'organisation de l'administration qui paraît être la plus avantageuse.
Section 2. - Appréciation des systèmes en présence
Nous tenterons de déterminer à travers l'analyse qui va suivre, quelle forme d'organisation de l'administration de la société anonyme semble le plus correspondre aux besoins de la pratique.
Pour ce faire, nous confronterons le système d'administration s'exerçant sans recours au conseil d'administration, qui constitue une originalité du droit espagnol, avec la formule collégiale reconnue dans les deux droits.
§1. - La formule collégiale face aux autres formes d'administration
A. - L'administrateur unique
La formule collégiale fut, à l'origine, instaurée pour assurer l'administration de la société qui devenait de plus en plus complexe, et qui ne pouvait plus "être le fait d'un seul homme" 14 .
Ceci est toujours vrai aujourd'hui, toutefois l'administrateur unique tel qu'il existe en Espagne, se justifie par l'existence, dans ce pays, d'un grand nombre de petites sociétés, pour lesquelles un conseil d'administration peut se révéler inutile, de part le formalisme et la lenteur qu'il engendre.
Notons qu'il existe également en France, bon nombre de petites sociétés qui prennent la forme de société anonyme pour des raisons d'ordre fiscal, par exemple. L'adoption par ces sociétés d'un conseil d'administration n'est qu'une pure façade.
Notre droit peut réagir à ce phénomène en adoptant deux types de positions. Il peut tenter soit de le limiter, en interdisant de façon indirecte à ces sociétés de choisir la forme de société anonyme, en augmentant par exemple le capital minimum, soit de s'y adapter en introduisant une formule d'administration qui conviendrait à ces sociétés. La solution pourrait consister dans la possibilité de choisir la formule d'administrateur unique, comme c'est le cas en Espagne.
B - Administrateurs agissant à titre conjoint
S'agissant de l'administration conjointe de deux administrateurs, celle-ci présente un inconvénient, qui peut se manifester lors de la prise de décisions. En effet l'adoption d'une résolution nécessite l'unanimité, en conséquence, tout désaccord peut paralyser la société. Ce mode d'administration n'est donc concevable que lorsque la propriété des actions et la gestion de la société, sont aux mains des mêmes personnes.
C. - Administrateurs agissant à titre solidaire
Lorsque l'administration de la société est confiée à plusieurs administrateurs agissant à titre solidaire, celle-ci peut apparaître davantage flexible, puisque chaque administrateur bénéficie de prérogatives à titre individuel. Cet apport de fluidité que l'on ne rencontre pas au sein d'un conseil d'administration doit toutefois être relativisé, en effet cette dispersion de pouvoirs ne favorise pas l'unité de gestion garantie par la création d'un organe collégial.
La présence d'un conseil d'administration semble donc garantir le plus souvent, la prise de décisions concertées, qui sont le fruit de longs débats d'idées au sein de l'organe collégial, ce, dans l'intérêt même de la société.
Le conseil garantit également l'unité de gestion, tout comme il reflète les divers intérêts de la société, au travers des différents groupes d'actionnaires qui sont parfois représentés au conseil.
Cependant, cette présentation quelque peu idyllique des avantages du conseil d'administration, en tant qu'organe collégial, ne doit pas masquer la réalité qui est parfois très différente de l'image que nous avons pu présenter de cet organe. Toutefois, il ne faut pas perdre à l'esprit le fait suivant, plus important que la structure sont les hommes qui la composent.
Ainsi P.-G. GOURLAY 15 savait rappeler en son temps:
"les institutions valent ce que valent les hommes; un conseil composé d'hommes compétents peut être un organe efficace (...)"
Il est d'ailleurs intéressant de remarquer que le conseil d'administration est souvent choisi par les sociétés anonymes en Espagne 16 .
Il semblerait même que le législateur espagnol ait montré sa préférence pour cet organe, notamment en le rendant obligatoire dans certains cas 17 .
§2. - Le principe de collégialité en France et en Espagne
Bien qu'elle soit reconnue par le droit français et le droit espagnol, elle n'est pas identique en tous points.
A - Etude analogique
Une partie de la doctrine espagnole 18 s'interroge sur le point de savoir, si la collégialité est compatible avec une quelconque initiative individuelle des membres du conseil d'administration.
Ces auteurs rappellent que si la décision prise en conseil est d'ordre unilatéral, elle n'est adoptée qu'en vertu d'un accord plurilatéral.
D'autre part, il ne faut pas nier l'existence d'une certaine autonomie dont jouissent les administrateurs en matière de droit à l'information 19 , et ce en France comme en Espagne.
Quoi qu'il en soit, cette pluralité d'opinions qui concourt à l'adoption d'une décision unilatérale, nous démontre que la collégialité permet la représentation des différents intérêts en présence 20 .
B - Les dissemblances
Toutefois la collégialité en Espagne a évolué depuis son origine, et permet sa combinaison avec d'autres modèles d'organisations, à tel point qu'une partie de la doctrine espagnole se demande si la collégialité crée une structure autonome se combinant avec les autres formes d'organisation de l'administration, ou au contraire, se superposant avec ces dernières 21 .
Ce phénomène se nomme"la descentralización de funciones", il peut d'ailleurs se présenter sous divers aspects.
Cette décentralisation entraîne une répartition du pouvoir de décision au sein du conseil, ou peut consister en la création de différents services qui sont compétents dans un domaine précis. Cette décentralisation peut se réaliser par le biais de la délégation de pouvoirs appelée"delegación de facultades", technique juridique qu'autorise l'article 141 de la L.S.A. 22 .
Notons que cette souplesse dans l'organisation de la collégialité en Espagne, n'altère pas le principe en lui-même, car dans tous les cas, les accords seront adoptés dans le respect de la méthode collégiale.
C - Les atteintes au principe
Rappelons enfin que certaines entreprises en France, comme en Espagne, ont recours à ce que quelques auteurs français nomment "L'exercice non collégial du rôle du conseil: les quasi conseils" 23 .
Il s'agit de réunions non officielles du conseil d'administration, qui précédent ou qui suivent celles officielles, pendant lesquelles diverses questions sont abordées sans qu'aucune décision ne soit prise. Elles permettent de connaître l'avis des administrateurs sur un point précis, afin de savoir s'ils y seraient favorables ou bien opposés.
Ce peut-être également un bon moyen de préparer les réunions du conseil d'administration, sans la présence, diront certains, des représentants du comité d'entreprise.
Après avoir étudié les différentes formes d'organisation de l'administration de la société anonyme, il convient de se demander si dans un futur proche, les différentes solutions rencontrées dans chaque droit ne sont pas amenées à être harmonisées, ou tout au moins à se rapprocher.
Section 3. - Les facteurs d'harmonisation législative
§1. - La voie communautaire
Pour reprendre une expression empruntée à Jacques BEGUIN, "la pression réformatrice de la communauté" 24 n'a cessé de s'exercer sur les droits respectifs des Etats membres dont bien sûr l'Espagne et la France.
Cette pression comporte deux volets, le premier visait à instituer, par le biais de normes supranationales, un véritable droit européen des sociétés.
Le second devrait conduire à une harmonisation progressive des législations nationales.
A. - Le recours aux règlements
C'est par la voie réglementaire que l'on a tenté de créer une société anonyme européenne, dont le projet initial remonte à 1959. Cette société devait être régie par des règles totalement indépendantes des divers droits nationaux.
Bien que l'idée paraisse attrayante 25 , elle se heurte depuis l'origine à une forte résistance des Etats membres.
Pour le domaine qui nous concerne, c'est par le biais de réglements communautaires que l'on tentait d'imposer un modèle d'organisation de l'administration. La technique du règlement présentait l'inconvénient degommer les particularités nationales des Etats membres. C'est pourquoi de nouveaux projets, datant du début des années quatre-vingt-dix, s'inspiraient cette fois-ci, des législations des Etats de l'union. Ces projets plus libéraux permettaient de choisir entre une structure moniste et dualiste.
Toutefois cette société anonyme européenne n'est encore qu'à l'état de projet, en raison sans doute de la méthode utilisée pour le mener à bien, à savoir la voie réglementaire.
En effet, selon l'article 189 alinéa premier du traité de Rome:
"Pour l'accomplissement de leur mission et dans les conditions prévues au présent traité, le conseil et la commission arrêtent des réglements et des directives, prennent des décisions et formulent des recommandations ou des avis."
Ainsi, les réglements ont un caractère obligatoire, et sont directement applicables dans les Etats membres dès qu'ils entrent en vigueur.
Les directives quant à elles, déterminent des objectifs, dont les moyens de réalisation sont librement définis par les Etats membres. Le règlement apparaît donc comme un moyen très efficace, mais néanmoins très redouté, pour édicter des règles à l'échelon européen, qui s'imposeront directement à tous les Etats membres.
C'est pourquoi, il apparut que l'harmonisation communautaire, par le biais de directives, moins contraignantes que les règlements, semblait beaucoup mieux adaptée.
B. - Le recours aux directives
Notons que notre intérêt doit se porter davantage sur les projets de directives que sur celles déjà adoptées.
En effet la proposition de 5e directive européenne doit tout particulièrement attirer notre attention. Cette directive vise à régir l'organisation même de l'administration de la société anonyme. Or cela n'est pas chose facile, certaines expressions empruntées à la doctrine l'illustrent parfaitement:"Quand on touche à la question des structures (...) cela devient beaucoup plus difficile." 26 .
Cette proposition fait face à de nombreuses critiques, notamment en France mais également en Espagne 27 .
On lui reproche tout d'abord de vouloir imposer un modèle d'organisation, qui plus est, s'inspire très fortement du système allemand. Au départ la seule formule d'organisation de type dualiste était envisagée, puis ce n'est qu'en 1983 que l'on permis à certains Etats de maintenir la formule moniste, quelque peu modifiée, car devant comprendre en son sein deux catégories d'administrateurs, les uns gérant la société contrairement aux autres. Autant dire que cela ne ressemble plus guère à une structure moniste.
Bien que la directive propose des alternatives au système dualiste 28 , celui-ci devrait s'imposer, à terme, à tous les Etats membres.
On comprend donc l'hostilité qu'engendre une telle proposition en France d'une part, chez qui les sociétés à directoire représenteraient près de 2% de l'ensemble des sociétés anonymes en 1997 29 , et en Espagne d'autre part, où la structure dualiste n'est même pas envisagée par la législation sur les sociétés anonymes.
Cette hostilité justifie en outre très largement le retard dans l'élaboration du contenu final de la 5e directive, qui éprouvera de grandes difficultés à voir le jour.
§2.- La voie interne, vers une réforme du droit des sociétés en France
Depuis quelques années déjà, il est question de moderniser notre droit des sociétés devenu trop rigide et inadapté, certaines personnalités se chargent d'ailleurs ici et là d'en proposer les contours.
La réflexion qui s'est engagée nous intéresse au premier chef, car si la société anonyme est au centre de la réforme, de nombreuses propositions concernant la gestion de celle-ci ont vu le jour.
A. - Les éléments de la réforme
Nous pouvons notamment les trouver dans un rapport récent datant de 1996, établi par M. Philippe MARINI, sénateur de l'Oise, à la demande du Premier ministre de l'époque. Ce rapport a le mérite d'être le fruit de nombreux entretiens avec des personnalités d'horizons divers, représentant tous les milieux intéressés par cette réforme.
Nous nous référerons ponctuellement aux propositions contenues dans ce rapport, mais aussi émanant d'autres travaux qui oeuvrent pour la réforme de la loi du 24 juillet 1966.
S'agissant de l'organisation de l'administration de la société anonyme, le rapport MARINI recense quelques propositions très intéressantes.
Il fait tout d'abord le constat suivant, en France, de nombreuses PME-PMI ayant une puissance économique et financière très importante, peuvent n'être le fait que de très peu d'actionnaires. Or elles ne satisfont aux exigences légales que de manière apparente, constituant un conseil d'administration fictif. M. MARINI qualifie ce fait de "situation contra legem, totalement banalisée." 30
M. MARINI avance donc, outre la possibilité de constitution d'une société anonyme unipersonnelle, déjà proposée par une commission d'étude instituée en 1986 à la demande de M. BADINTER, la faculté de gestion sans conseil d'administration 31 . La possibilité d'un administrateur unique pourrait être introduite dans notre droit, et ne concernerait qu'un certain type de sociétés dont le capital social ne dépasse pas un certain seuil fixé par la loi.
Cette solution pourrait convenir à bon nombre de sociétés qui trouveraient dans cette formule de nombreux avantages, dont celui de ne pas constituer de conseil d'administration fictif, avec les risques que cela comporte en cas de mise en jeu de leur responsabilité.
Le rapport propose en outre de laisser aux statuts le soin de fixer le nombre maximum d'administrateurs, de directeurs généraux, de membres du directoire et du conseil de surveillance 32 .
B - Les rapprochements envisagés
Il est intéressant de constater que ces propositions d'une nature toute nouvelle, coïncident parfaitement avec les solutions qui existent actuellement en Espagne, où la L.S.A., comme nous l'avons vu précédemment, autorise que l'administration soit confiée à un administrateur unique et laisse également le soin aux statuts de fixer le nombre maximum d'administrateurs.
On pourrait donc retrouver dans un futur proche, concernant les modalités d'organisations de l'administration de la société anonyme, des solutions en France, proches de celles existant en Espagne.
Cela prouve sous certains aspects, que la L.S.A., moins rigide que notre loi de 1966, mais aussi plus récente, s'adapte mieux aux besoins actuels des PME en ce qui concerne la structure d'administration de la société anonyme.
C'est précisément le degré de flexibilité des lois respectives qui va désormais constituer le thème de notre réflexion. Ainsi, après avoir étudié les différents systèmes d'organisation de l'administration de la société anonyme, qu'envisage chaque système juridique, il convient d'observer dans quelles mesures les droits français et espagnol permettent à la volonté individuelle de façonner le schéma légal d'organisation.
CHAPITRE II.
ESPACE CONCEDE A LA VOLONTE INDIVIDUELLE
Section 1. - La liberté encadrée en France
On doit reconnaître qu'en France, l'administration des sociétés anonymes est régie par des normes restrictives, qui laissent peu de place aux initiatives individuelles.
Toutefois il existe quelques domaines, certes restreints, où il est possible de donner libre court à une certaine autonomie de la volonté.
Concernant la matière qui nous occupe, cette "liberté encadrée" s'illustre particulièrement dans deux domaines.
§1. - Les compléments prévus par la loi
Cette marge de liberté reste limitée, en premier lieu, à la faculté de choisir des règles prévues par la loi qui ont pour fonction de compléter le régime légal.
A. - Les organes complémentaires
Tout d'abord, il est possible de prévoir comme le rappelle Monsieur Yves GUYON 33 :
"des organes complémentaires comme les directeurs généraux, l'administrateur délégué et les comités d'études."
1. - Le directeur général
Ainsi selon l'article 115 de la loi de 1966:
"Sur la proposition du président, le conseil d'administration peut donner mandat à une personne physique d'assister le président à titre de directeur général. Deux directeurs généraux peuvent être nommés dans les sociétés dont le capital est au moins égal à cinq cent mille francs, et cinq directeurs généraux dans les sociétés dont le capital est au moins égal à dix millions de francs à condition que trois d'entre eux au moins soient administrateurs. Le conseil détermine leur rémunération."
La nomination d'un ou plusieurs directeurs généraux est donc facultative et leur mission, comme l'indique l'article précité, consiste à assister le président.
Ils disposent pour cela et conformément à l'article 117 de la loi de 1966:
"(...) à l'égard des tiers, des mêmes pouvoirs que le président."
Notons que les statuts, pour être en conformité avec l'article 115. 1, doivent prévoir une limite d'âge qui, à défaut de stipulation statutaire expresse, est fixée à 65 ans pour l'exercice des fonctions de directeur général. Ajoutons enfin qu'il est révocable à tout moment par le conseil d'administration sur proposition du président (article 116 de la loi de 1966).
2. - L'administrateur délégué
Il est possible, en outre, selon l'article 112 de la loi de 1966, de prévoir l'existence d'un administrateur délégué:
"En cas d'empêchement temporaire ou de décès du président, le conseil d'administration peut déléguer un administrateur dans les fonctions de président.
En cas d'empêchement temporaire, cette délégation est donnée pour une durée limitée; elle est renouvelable. En cas de décès, elle vaut jusqu'à l'élection du nouveau président."
Cet organe facultatif peut s'avérer fort utile en cas de vacance de la présidence, qui peut être une source de blocage de la société. En dehors de ce cas précis, l'administrateur délégué n'est titulaire d'aucun pouvoir.
3 - Le comité d'études
Le décret du 23 mars 1967 dans son article 90 dispose:
"Le conseil d'administration (...) peut décider la création de comités chargés d'étudier les questions que lui-même ou son président soumet, pour avis, à leur examen. Il fixe la composition et les attributions des comités qui exercent leur activité sous sa responsabilité."
Ajoutons que ces comités, dont le rôle est avant tout consultatif, peuvent également être créés à l'initiative du conseil de surveillance conformément à l'article 115 du décret du 23 mars 1967.
Il est des auteurs, dont Monsieur Yves GUYON, qui résument assez bien la nature de ces organes facultatifs, lesquels, d'après lui,"sont soumis à la règle du tout ou rien 34 ".
Autrement dit, si leur existence est facultative, une fois choisis, leurs statuts, minutieusement réglés par la loi, s'imposent à tous.
B - Les administrateurs élus par le personnel de la société
En second lieu, les statuts peuvent prévoir la participation des salariés au conseil d'administration.
Selon l'article 97. 1 de la loi de 1966:
"Il peut être stipulé dans les statuts que le conseil d'administration comprend (...) des administrateurs élus soit par le personnel de la société, soit par le personnel de ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français.(...)".
Ce point précis est d'autant plus intéressant qu'il est appréhendé de manière tout à fait différente en Espagne.
Ainsi la L.S.A., ne fait à aucun moment une quelconque référence à la participation des salariés dans l'organe d'administration de la société anonyme.
Le droit espagnol n'est toutefois pas entièrement étrangé à ce phénomène, puisqu'une loi du 21 juillet 1962, ainsi que le règlement du 15 juillet 1965, y font référence.
La loi entend octroyer à la représentation du travail une participation restreinte au sein des organes de gestion des entreprises qui adoptent la forme de sociétés et qui souhaitent une telle participation.
Ainsi la loi de 1962 dispose:
"(...) otorgar a la representación del trabajo una participación restringida en los órganos de gestión de las empresas que adopten forma de sociedades en las que se concede tal participación(...)."
Il faut préciser pourtant que cette mesure n'a pas obtenu les résultats escomptés.
En effet elle a rencontré d'une part, une vive opposition auprès des chefs d'entreprises ainsi que des associations patronales et paradoxalement, les salariés n'ont pas accueilli cette mesure avec un grand enthousiasme, au point que les organisations de défense des salariés ont déclaré préférer un dialogue externe entre ces organisations et l'organe d'administration en tant que tel, plutôt qu'une confrontation interne au sein de l'organe d'administration, où les salariés ne représenteraient qu'une minorité 35 .
A cela s'ajoute l'absence d'harmonisation de cette loi avec la L.S.A., ce qui accentua d'autant l'écartement, voir même, le rejet de cette règle qui fut reléguée au second plan pour ne pas dire confinée aux "oubliettes".
Il faut préciser néanmoins que cette possibilité en France est strictement encadrée par la loi. Ainsi, parmi les nombreuses conditions posées par la loi, figure celle du nombre des administrateurs qui est limité. Il ne peut être supérieur à quatre ou à cinq si la société est cotée en bourse. Dans tous les cas, leur nombre ne peut excéder le tiers du nombre des autres administrateurs (article 97- 1 de la loi de 1966).
D'autre part, une certaine ancienneté est requise pour prétendre occuper la fonction d'administrateur, hormis l'exception prévue à l'article 97-2 alinéa 1. En outre, leur mandat est renouvelable, sauf stipulation contraire des statuts (articles 97- 2 et 97- 3 de la loi de 1966).
Les quelques conditions énumérées précédemment, prouvent que la participation des salariés au conseil d'administration, peut se révéler effective mais quelque peu limitée en pratique.
§2. - Les compléments non prévus par la loi
Comme nous l'avons vu, la loi de 1966 laisse très peu de place à l'expression de l'autonomie de la volonté.
Pourtant, certains organes non prévus par la loi de 1966, ont vu le jour pour satisfaire les besoins sans cesse croissants de la pratique.
Nous citerons trois exemples tirés de travaux réalisés par Monsieur Yves GUYON 36 , il s'agit, en premier lieu, du dirigeant honoraire, puis, en second lieu, du vice-président du conseil d'administration, enfin, du censeur.
A. - Le directeur honoraire
Il s'agit, tout d'abord, du dirigeant honoraire, fonction purement honorifique qui ne confère aucun pouvoir et qui s'exerce le plus souvent à titre gratuit 37 , en effet, le conseil d'administration est libre de leur verser des jetons de présence. Cette fonction peut concerner les membres du conseil d'administration qui ont atteint la limite d'âge posée par l'article 90. 1 de la loi de 1966 38 , ou celle stipulée dans les statuts.
B. - Le vice-président du conseil d'administration
Il faut mentionner ensuite l'existence du vice-président du conseil d'administration 39 , lequel peut convoquer le conseil ou le présider 40 en cas d'absence exceptionnelle du président, car n'oublions pas qu'en cas d'absence temporaire de celui-ci, l'article 112 de la loi de 1966 autorise la nomination d'un administrateur délégué dans les fonctions de président.
C - Les censeurs
Enfin, précisons l'existence d'un organe, là encore non prévu par la loi de 1966, que l'on peut rencontrer au sein de certaines sociétés exerçant une activité bancaire ou immobilière. Il s'agit des censeurs, dont la mission consiste à surveiller et conseiller les administrateurs, qui ne doivent en aucun cas assumer des fonctions de direction ou se substituer aux organes légaux.
Comme nous venons de le voir, la loi de 1966 n'autorise que très restrictivement les initiatives individuelles. Bien qu'elle ait fait place ici et là, à des créations de la pratique, elle permet le plus souvent de choisir entre plusieurs alternatives qui sont rigoureusement réglementées par la loi.
La situation en Espagne est quelque peu différente, ainsi l'apparente rigidité de la loi de 1966 contraste avec la L.S.A. espagnole qui fait une large place à l'autonomie de la volonté.
Section 2. - La souplesse de la loi espagnole
Avant d'aborder les principes caractérisant la souplesse de la L.S.A., il faut préciser que le droit espagnol permet, tout comme le droit français de choisir des organes facultatifs dont l'existence est prévue par la loi.
Certains organes, qui ne sont pas prévus par la loi, ont également dû être créés par la pratique en Espagne.
§1. - Les organes facultatifs
A. - Le vice-président du conseil d'administration
Soulignons d'emblée deux différences intéressantes entre les deux droits. La première concerne le vice-président du conseil d'administration, qui, en Espagne, est un organe facultatif prévu par la loi, alors qu'en France, c'est une création de la pratique. Ils disposent toutefois des mêmes pouvoirs.
Ainsi l'article 140. 1 de la L.S.A. y fait allusion implicitement:
"(...) el presidente o el que haga sus veces."
Autrement dit la loi fait référence, dans cet article, au président ou bien à celui qui accomplit les fonctions à sa place en son absence.
L'article 146 R.R.M. mentionne expressément cet organe:
"(...) el presidente, los vicepresidentes (...)"
B - Le directeur général
La seconde différence concerne le directeur général, qui en France, est un organe facultatif prévu par la loi. En Espagne, cet organe facultatif n'est pas reconnu expressément par les textes légaux régissant la société anonyme. En effet, il a été créé de toutes pièces par la pratique 41 .
Les deux droits ont donc su créer les mêmes organes, car ressentant les mêmes besoins, mais par des voies différentes.
D'autre part, outre la grande liberté qu'offre la L.S.A. dans le choix du mode d'administration de la société anonyme, il est un principe important en Espagne, qui gouverne l'organisation et le fonctionnement du conseil d'administration.
§2. - Le principe " d'autoorganización" du conseil d'administration
Principe que l'on peut qualifier selon la terminologie employée par divers auteurs, de pouvoir "d'autoorganisation" 42 , ou d'autodiscipline 43 du conseil d'administration.
La L.S.A, dans son article 141, autorise le conseil d'administration à déterminer son propre fonctionnement, sauf disposition contraire des statuts:
"Cuando los estatutos de la sociedad no dispusieran otra cosa, el consejo de administración podrá (...) regular su propio funcionamiento."
A.- Justification du principe
La première justification est d'ordre pratique, en effet, la L.S.A. a pris le soin de reprendre dans son sein, une grande majorité de principes qui furent à l'origine dégagés par la pratique.
A cela s'ajoute une explication d'origine structurelle, ainsi, la société anonyme en Espagne est adoptée par de très grandes entreprises, mais également par des entreprises plus petites de type familial.
Il était donc nécessaire, afin que la forme de la société anonyme puisse s'adapter à des entreprises de dimensions très différentes, que l'organisation et le fonctionnement du conseil d'administration soient déterminés par les associés, ou les administrateurs, en fonction de la nature et des besoins de la société 44 .
La troisième raison, justifiant l'espace important concédé à l'autonomie de la volonté pour réguler le fonctionnement du conseil d'administration, est d'ordre économique. Elle découle directement de celle précédemment énoncée. Les associés et administrateurs sont les plus à même de déterminer une organisation et un fonctionnement du conseil d'administration, qui soient les plus efficaces possibles, pour un coût le moins onéreux qui soit, et ce bien sûr en fonction des ressources de la société concernée.
B. - Les avantages du principe
Ce principe d'autorégulation 45 présente sans conteste l'avantage de faciliter le fonctionnement de l'organe collégial. Il permet, en outre, une adaptation constante de l'organe d'administration aux évolutions de son environnement économique.
Rappelons tout de même que ce pouvoir peut être refusé par les statuts, et ce de manière expresse ou tacite.
Les statuts de la société peuvent ainsi stipuler que le conseil d'administration ne pourra déterminer son propre fonctionnement. Les statuts de la société peuvent également le prohiber de façon indirecte en réglementant minutieusement l'organisation et le fonctionnement du conseil d'administration de façon quasi exhaustive.
Dans tous les cas, les normes édictées par le conseil d'administration seront subordonnées à celles stipulées dans les statuts.
Ainsi, l'espace concédé à l'autonomie de la volonté dans l'organisation de l'administration de la société anonyme, est beaucoup plus grand en Espagne qu'en France pour les raisons précédemment énoncées.
Malgré cela, l'organe d'administration, dans les deux pays, traverse depuis quelque temps déjà une période de crise, on s'interroge notamment sur sa réelle efficacité. Il conviendra donc d'examiner l'état actuel de la crise subie par cet organe dans les deux droits, afin d'envisager par la suite, d'éventuelles solutions.
CHAPITRE III.
LA REMISE EN QUESTION DU CONSEIL D'ADMINISTRATION
Section 1. - La mise en doute de son utilité
§1. - Les critiques à son égard
A. - Les reproches français
L'organe collégial souffre en France, depuis quelque temps déjà, de nombreuses critiques, au point que certains auteurs 46 se demandent si à l'heure actuelle les administrateurs servent encore à quelque chose.
D'autres, dont la critique est plus acerbe, déclarent que le conseil d'administration est "une des manières les plus distinguées de perdre son temps" 47 .
Cette vision des choses semble être confirmée en partie, par un exemple récent rencontré dans la pratique. Il est tiré d'un ouvrage de Maurice COZIAN et Alain VIANDIER, lesquels délivrent un extrait du rapport de la commission d'enquête parlementaire sur le Crédit Lyonnais 48 :
"L'impression d'ensemble qui se dégage de l'examen systématique des travaux du conseil d'administration du Crédit Lyonnais est qu'il a globalement fait preuve de passivité et d'une étrange absence de curiosité. Cette impression a été confirmée par le témoignage de certains de ses membres devant la commission. L'un d'entre eux l'a qualifiée de lieu d'enregistrement de décisions prises ailleurs ".
Il est vrai que certains conseils d'administration font preuve d'un certain effacement 49 , car peu disposés à questionner, ou moins encore, à critiquer l'action du président.
B. - Les reproches espagnols
L'Espagne n'est pas épargnée par ce déclin amorcé du conseil d'administration, qui prend néanmoins d'autres formes, en raison d'une répartition des pouvoirs au sein de l'organe d'administration qui peut se révéler quelque peu différente de celle qui est possible en France 50 .
On critique, en Espagne, une certaine passivité des administrateurs mais l'on reproche davantage la concentration croissante du pouvoir en très peu de mains.
L'administration collégiale y est parfois ressentie comme inefficace en raison de la lourdeur et la lenteur de l'organe dans la prise de décisions 51 .
On reproche également au conseil le manque de compétence de ses membres, dont certains suivent très approximativement les progrès techniques qui vont en s'amplifiant.
De plus, le mouvement déjà ancien de personnalisation du pouvoir au sein du conseil d'administration est fortement ressenti dans les deux droits 52 .
Il convient pourtant de relativiser ces critiques à l'encontre du conseil d'administration qui conserve à l'heure actuelle un rôle important et dont les différentes missions se révèlent fort utiles.
§2. - Leurs atténuations
A - Le rôle actif du conseil d'administration
D'après une étude réalisée par Messieurs CHARREAUX et PITOL-BELIN 53 , le conseil d'administration a, dans plus de 73% des cas visés par l'étude, un rôle actif.
Il constitue également d'après ces auteurs"pour près de 80% des P.D.G consultés, un garde-fou contre les décisions aventureuses".
Il faut donc mettre en avant le rôle préventif du conseil d'administration qui, de part la pluralité des membres qui composent l'organe, garantit une prise de décision cohérente et concertée, où chaque administrateur a pu faire bénéficier ses collègues de son expérience et de ses compétences propres.
Certes, on ne peut nier le rôle moins important joué par le conseil dans certaines sociétés familiales, mais bien souvent, ces sociétés satisfont aux exigences légales de manière fictive et choisissent ce type de société pour les avantages d'ordre fiscal ou social qu'il procure.
B - L'importance de ses missions
On peut en outre mettre en avant d'autres fonctions importantes que doit assumer le conseil, à savoir le maintient de la discipline, l'approbation et le contrôle des décisions 54 .
Les différentes missions allouées au conseil sont donc importantes et nécessaires. Reste à savoir si les administrateurs sont à même d'exercer leur mission dans les meilleures conditions qui soient. Il convient pour ce faire de se poser diverses questions :
- sont-ils assez indépendants?
- Ont-ils toutes les compétences nécessaires?
- Disposent-ils des moyens nécessaires pour adopter des décisions en pleine connaissance de cause?
C'est à ces questions que le mouvement de réforme en faveur de l'introduction en France et en Espagne de la théorie du "corporate governance" tente de répondre, afin de redynamiser et de renforcer le rôle du conseil.
Section 2. - Les solutions pour surmonter la crise
§1. - La théorie du "corporate governance"
A - Fondements de la théorie
Ce courant d'idées appelé "corporate governance" que l'on peut traduire par "gouvernement de l'entreprise" ou "les pouvoirs dans l'entreprise" 55 , nous vient des Etats-Unis et d'Angleterre 56 .
Ce courant analyse la structure du pouvoir au sein du conseil d'administration, pour en dégager les inconvénients actuels et proposer des solutions, afin d'aboutir à une gestion optimale des sociétés anonymes.
Bien que certains auteurs remarquent que ce débat soit déjà ancien 57 , le voilà cependant relancé en Espagne, comme en France.
B. - Les remèdes proposés
1 - Distinction des fonctions de gestion
Ce mouvement propose notamment, comme remède aux problèmes qui affectent l'organe d'administration, de distinguer au sein du conseil d'administration les administrateurs gestionnaires des autres administrateurs.
Cette distinction aurait pour but d'éviter qu'un seul homme ne concentre en ses mains le pouvoir de décision.
Bien que ces solutions n'existent pas en droits français et espagnol, il est possible de s'en rapprocher, en droit français, par le biais de la formule dualiste, ainsi qu'en droit espagnol, lorsque l'organe d'administration de la société a recours à la technique juridique de délégation de compétences 58 .
Voilà le débat entre la structure dualiste et moniste relancé, bien que l'on puisse déjà présager de son issue, en raison de l'échec de la formule dualiste en France, et de son inexistence dans la législation espagnole.
La solution doit donc emprunter un autre chemin, peut-être celui des comités spécialisés, dont la création est recommandée par le rapport CADBURY 59 .
2. - La création de comités spécialisés
Il est recommandé la création de comités de sélection des administrateurs, de rémunérations et d'un comité des comptes.
La solution paraît cette fois-ci plus satisfaisante, car elle est envisageable en France et en Espagne.
D'ailleurs, deux organisations patronales: l'association française des entreprises privées et le conseil national du patronat français, demandaient en 1995 à Monsieur Marc VIENOT, président directeur général de la Société Générale, de mettre sur pied un groupe de travail qui devait étudier la pratique française du "gouvernement des entreprises".
Le rapport VIENOT se déclara favorable à l'existence des comités.
Notons toutefois que l'intrusion des comités manque à l'heure actuelle d'une certaine efficacité. En effet, ils ne peuvent être que des organes consultatifs, il faudrait donc améliorer le système en augmentant les pouvoirs de ces comités 60 .
En outre, l'accent est mis sur un autre problème que l'on rencontre en France et en Espagne.
3 - L'administrateur indépendant
Ainsi il est fréquent dans ces pays de constater que c'est souvent le président qui nomme les administrateurs et non l'inverse, ce qui présente l'inconvénient de les placer dans une situation de dépendance.
Pour remédier à ce manque d'indépendance, nécessaire aux administrateurs pour qu'ils accomplissent au mieux leur tâche, il est proposé la création d'un administrateur indépendant, dont la fonction consisterait à contrôler l'action du président.