III Les différentes catégories de médicaments
Première partie L'utilisation des médicaments
Titre I L'obtention du médicament
Chapitre I La prescription médicamenteuse
Section I La liberté de prescription
Section II Modalité de la prescription
Chapitre II La responsabilité du médecin, prescripteur du médicament
Section I La responsabilité dans l'exercice libéral
Section II La responsabilité hospitalière
Titre II La délivrance du médicament
Chapitre I La responsabilité du pharmacien d'officine
Chapitre II Les obligations du pharmacien d'officine
Section I Les obligations spécifiques du pharmacien
Section II : Les obligations du vendeur
L'humanité a toujours cherché à soigner, soulager les différents maux des êtres humains. Cette prérogative appartenait dans la Grèce Antique aux Dieux et plus spécialement à Esculape et à Hygie. Puis, peu à peu, l'art de guérir est devenu la compétence des Hommes. Ainsi Andromaque, médecin de Néron inventa la thériaque qui comprenait près de cent ingrédients et qui était destinée à soigner de nombreux maux. Cette composition se trouvait encore inscrite à la Pharmacopée en 1908. A la suite du démembrement de l'Empire Romain, on assista à une déchéance de l'art pharmaceutique qui fut concurrencé par les sorciers.
Jusqu'au X Siècle, l'art de guérir était confié à une seule personne appelée apothecarius. Elle exerçait l'acte médical et récoltait les plantes et les traitait afin de les rendre utilisables pour les malades. Au XII Siècle, on assiste à la dissociation de fait des médecins et des apothicaires. Mais c'est à partir du XIII Siècle que la préparation et la vente des drogues sont laissées au soin des apothicaires, auxiliaires des médecins. Saint Louis leur a donné un statut en 1258 modifié par Philippe le Bel en 1312, puis par Jean le Bon en 1339. La profession pharmaceutique organisa peu à peu sa réglementation. Ce n'est qu'au XVIII Siècle que l'on assista à une renaissance de cet art et grâce aux progrès de la chimie de nombreux principes actifs furent isolés. Au XX Siècle se développa la pharmacie industrielle. Depuis, la recherche scientifique n'a cessé de créer de nouveaux médicaments de plus en plus performants, complexes et dangereux s'ils ne sont pas fabriqués, vendus et utilisés dans des conditions normales. L'Etat joue un rôle important dans l'introduction d'un médicament sur le marché. En effet, il délivre une autorisation de mise sur le marché. Il exerce également une surveillance a posteriori du produit et peut décider de le retirer de la vente. Malgré cette intervention étatique, des accidents dont le médicament est à l'origine peuvent survenir. La question qui se pose alors face à ces différents auteurs possibles du dommage est de savoir quel est le véritable responsable et comment il va engager sa responsabilité. Le dommage peut être dû à un fait du médecin prescripteur, du pharmacien qui délivre le médicament c'est à dire une faute commise lors de l'utilisation du médicament. Mais la faute peut avoir été commise par le fabricant ou par l'Etat. Face à ces différents responsables potentiels, il conviendra de rechercher précisément en fonction de l'origine du dommage comment ils vont engager leur responsabilité.
Cependant,
il convient au préalable de présenter le monopole
pharmaceutique et de définir le médicament. Cet
encadrement juridique spécifique est destiné à
protéger le consommateur.
Le monopole pharmaceutique est défini par l'article L 512 CSP. Ce monopole reconnu en matière de santé repose sur l'idée de sauvegarde du malade. L'utilisateur de médicament ne possédant pas toutes les connaissances nécessaires pour apprécier la qualité de celui-ci, leur fabrication et leur distribution doivent être réglementées et confiées à des personnes possédant le diplôme de pharmacien. Ces personnes sont soumises au contrôle de l'ordre des pharmaciens.
Le fait d'inclure un objet ou un produit dans le monopole pharmaceutique a pour conséquence:
-l'exclusivité de la fabrication et de la vente par des entreprises pharmaceutiques
-l'application de la réglementation pharmaceutique notamment l'obligation d'un contrôle systématique lot par lot pour les matières premières et les produits finis.(obligation plus sévère que l'obligation de sécurité à laquelle sont soumis les fabricants non pharmaceutique)
-mise
en jeu de la responsabilité disciplinaire en cas de non
respect de l'observation de la réglementation pharmaceutique.
Il est
composé par les produits et objets définis par l'art
L 512 CSP et par les opérations portant sur ces produits.
A
Les produits et objets
Il s'agit premièrement des médicaments destinés à l'usage de la médecine humaine : article L 512 1° CSP. Tout produit qui répond à la définition du médicament entre de ce fait dans le monopole pharmaceutique. Il existe cependant une restriction. Ce médicament doit être destiné à la médecine humaine. Sont concernés par cette restriction, les produits à usage vétérinaire qui font l'objet d'un monopole partagé entre pharmaciens et docteurs vétérinaires selon la Loi du 29 Mai 1975. De plus le terme médecine a posé le problème de l'inclusion ou non dans le monopole pharmaceutique des produits hygiéniques lorsqu'ils sont des médicaments par le seul fait qu'ils contiennent des substances vénéneuses sans être destinés à proprement parler à la médecine. Les juridictions civiles et le Conseil d'Etat se sont prononcés pour l'inclusion de ces médicaments dans le monopole pharmaceutique en raison de leur usage humain.(TGI Paris 21/04/70 et CE 09/07/1971).
Il y
a ensuite les objets de pansements, tous articles présentés
comme conforme à la Pharmacopée( 1)
de la fabrication jusqu'à la vente au détail. On
trouve également les insecticides et acaricides destinés
à être appliqués sur l'homme, les préparations
des produits destinés à l'entretien ou l'application
des lentilles oculaires de contact, les produits réactifs
conditionnés en vue de la vente au public destinés
au diagnostic médical ou à celui de la grossesse,
les plantes médicinales inscrites à la Pharmacopée
(sont exclues les plantes utilisées comme condiments même
si celle-ci sont inscrites à la Pharmacopée), les
huiles essentielles dont la liste est fixée par décret
et les aliments lactés diététiques pour nourrissons
et aliments de régime pour les enfants de moins de quatre
mois.
B
Les opérations sur ces produits
Il s'agit de la préparation, de la vente en gros et au détail ainsi que toute dispensation au public. La préparation peut être effectuée par un établissement pharmaceutique ou par l'officine. La vente en gros est effectuée soit directement par une entreprise pharmaceutique industrielle à un pharmacien d'officine, soit par l'intermédiaire d'un répartiteur pharmaceutique. La fabrication et la vente en gros des drogues simples et des substances chimiques destinées à la pharmacie sont libres à condition de ne jamais être délivrées directement aux consommateurs pour l'usage pharmaceutique. Il s'agit des matières premières comme l'aspirine ou la pénicilline. La vente au détail ne peut être effectuée que par une officine ou une pharmacie mutualiste ou à usage interne(pharmacie d'un hôpital civil ou militaire).
A ces
opérations s'ajoute la dispensation au public. Cette notion
a remplacé la notion de délivrance lors de l'intervention
législative du 8 Décembre 1992. La loi du 08/12/92
n'a donné aucune définition de ce terme. Cette notion
a été antérieurement définie par l'art
6 de l'arrêté du 9/08/91 pris en application de la
réglementation des substances vénéneuses
dans les établissements de santé. S'agissant des
médicaments prescrits, elle est définie comme "
l'acte pharmaceutique associant la délivrance des médicaments
à l'analyse pharmaceutique de l'ordonnance médicale,
la préparation éventuelle des doses à administrer,
la mise à disposition d'informations nécessaires
au bon usage des médicaments ". Un problème
se pose quant à la signification de la dispensation lorsque
l'on se place par exemple dans le cadre d'un organisme de bienfaisance
dépourvu de pharmacie. Faut-il transposer à la loi
la jurisprudence antérieure applicable à la notion
de délivrance qui considérait que le terme "
délivrance au public " ne s'appliquait pas à
des actes isolés accomplis dans un but charitable et donc
excluait ces actes du monopole pharmaceutique ?
Selon
l'article L 511 alinéa 1 CSP, " on entend par médicament
toute substance ou composition présentée comme possédant
des propriétés curatives ou préventives à
l'égard des maladies humaines ou animales, ainsi que tout
produit pouvant être administré à l'homme
ou à l'animal en vue d'établir un diagnostic médical
ou de restaurer, ou modifier leurs fonctions organiques ".
Cet alinéa 1 pose deux critères de détermination
du médicament: sa présentation et sa fonction. Les
alinéas suivants énoncent un troisième critère
: la composition du médicament. Il apparaît donc
trois catégories de médicaments : médicaments
par présentation, par fonction et par composition. Il faudra
ensuite examiner l'application de cette définition par
la jurisprudence.
Section
I La définition des médicaments
§1
Médicament par présentation
Deux
conditions sont nécessaires pour qu'un produit soit considéré
comme tel. Il doit s'agir d'une substance ou d'une composition
et celle-ci doit être présentée comme possédant
des propriétés curatives ou préventives à
l'égard des maladies humaines ou animales.
A
Substance ou composition
L'ordonnance
du 23 Septembre 1967 a supprimé la référence
à la drogue.
1)
La substance
Aucune définition légale de cette notion n'existe en Droit français. Le doyen Poplawski dans son traité de Droit pharmaceutique l'a défini comme " toute matière vivante ou inerte présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines et conditionnée au poids médicinal ". Cette définition reprend la seconde condition nécessaire pour faire d'un produit un médicament par présentation. Cette précision apparaît inutile dans le cadre de la définition de la substance. Elle peut donc se définir comme toute matière vivante et inerte.
La définition qui nous est fournie par la directive du 26 Janvier 1965 du conseil de la CEE se limite à la présentation de la substance. Selon l'article 1, c'est "toute matière, quelle qu'en soit l'origine, celle-ci pouvant être :
-humaine telle que : le sang humain et les produits dérivés du sang humain ;
-animale, telle que : les micro-organismes animaux entiers, parties d'organes, sécrétions animales, toxines, substances obtenues par extraction, produits dérivés du sang etc. ;
-végétale, telle que : les micro-organismes, plantes, partie de plantes, sécrétions végétales, substances obtenues par extraction etc. ;
-chimique, telle que : les éléments, matières chimiques naturelles et les produits chimiques de transformation et de synthèse ".
Il faut
remarquer qu'en Droit français, les produits d'origine
humaine font l'objet d'un régime spécial (art L
666 et suivants CSP).
2)
La composition
La Cour
de Cassation, Chambres réunies le 29 Novembre 1943 a considéré
comme des compositions les produits " dans lesquels des éléments
divers ont été réunis en vue d'un effet curatif
et préventif à obtenir grâce à l'association
de principes actifs de ces éléments ", sans
qu'il y ait lieu de distinguer selon la nature des procédés
chimiques ou autres employés pour la confection de ces
produits. Cette définition n'a pas été remise
en cause par les différentes rédactions de l'article
L 511 al 1 CSP.
B
Propriétés curatives ou préventives
à l'égard des maladies
1)
Les propriétés curatives ou
préventives
Selon l'arrêt de la Cour de Cassation, Chambres réunies du 4 Mars 1858( 2), " un produit est un médicament lorsqu'il est décrit ou recommandé expressément comme possédant des propriétés curatives et préventives ". En ce qui concerne la présentation peu importe les modalités de celle-ci. En effet la jurisprudence dans ce domaine est très souple. Les indications peuvent figurer sur le conditionnement mais elles peuvent également figurer sur une publicité distincte du produit. De plus, peu importe que le produit soit efficace ou non. Selon la chambre criminelle( 3) " le produit sera considéré comme médicament si toutes les autres conditions sont remplies malgré ses propriétés illusoires ".
Il convient cependant d'observer que les tribunaux ont tendance à étendre considérablement le champ d'application de l'article L 511 CSP en ne recherchant que de simples indices. Ils créent en procédant ainsi une nouvelle notion : les médicament par impression.
A l'inverse,
les tribunaux hésitent à reconnaître l'existence
du médicament par nature c'est à dire qui possède
des vertus curatives ou préventives mais qui n'est pas
présenté comme tel.
2)
La notion de maladie
La jurisprudence
a fait une interprétation extensive de cette notion. A
des maladies stricto sensu comme le cancer( 4),
la leucémie, la migraine( 5),
les rhumatismes, elle assimile la couperose, la cellulite, le
phénomène de vieillissement du visage, l'insuffisance
mammaire, l'intempérance. Peu importe le caractère
très vague des maladies susceptibles d'être soignées
et la multiplicité des indications thérapeutiques
prévues par la notice accompagnant le médicament.
§2
Médicament par fonction
Cette catégorie est apparue lors de la modification de l'article L 511 CSP par l'ordonnance du 23 Septembre 1967. Le médicament par fonction correspond à " tout produit pouvant être administré à l'homme ou à l'animal en vue d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions organiques ". Deux types de produits entrent dans cette catégorie. Ce sont premièrement, les produits destinés à établir un diagnostic, c'est à dire les produits de contraste utilisés en radiologie, le glucose, les préparations radio pharmaceutiques. D'après l'interprétation de la directive de 1965 par la Cour de justice des communautés européenne, doivent être qualifiés de médicaments les substances entrant comme simples composants ou vecteurs dans des produits pour diagnostic sans être par eux même actifs. Deuxièmement, ce sont les produits destinés à agir sur les fonctions organiques. Ces produits sont pour l'essentiel des produits à visées aphrodisiaques, des pilules à bronzer, des substances abortives, les gaz médicaux...Il n'est pas exigé par la jurisprudence que les effets du produit administré soient démontrés, il suffit qu'ils soient " seulement supposés "( 6).
Le médicament
par fonction est-il un médicament par présentation
? Il apparaît au regard de la deuxième condition
nécessaire pour faire d'un produit un médicament
par présentation c'est à dire des propriétés
curatives ou préventives à l'égard des maladies
que ce n'est pas le cas. Le médicament par fonction ne
répond pas à cette condition. Il n'est pas destiné
à prévenir ou à guérir des maladies
mais à les découvrir ou à modifier le fonctionnement
de l'organisme humain. Le rôle des médicaments varie
d'une catégorie à l'autre et de ce fait ces deux
catégories sont distinctes l'une de l'autre.
§3
Médicament par composition
Se rattachent
à cette catégorie les produits d'hygiène
et les produits diététiques et de régime.
A
Les produits diététiques
Les produits diététiques sont des médicaments lorsque les conditions prévues par l'article L 511 al 2 CSP sont remplies. Y-a-t-il un lien avec les catégories précédentes ?
Il faut remarquer que dans les décisions rendues à propos des produits diététiques, il y a le plus souvent cumul des conditions qui font d'un produit un médicament par présentation et des conditions qui font du produit diététique un médicament. Si un produit diététique n'est pas un médicament selon la définition du médicament par composition, il peut en être un selon la définition du médicament par présentation.
Ainsi, s'agissant d'un produit diététique (miel assorti de gelée royale et de pollen dit miel complet) présenté comme possédant des propriétés d'ordre thérapeutique, le tribunal correctionnel de la Seine le 23 Décembre 1956( 7) l'a considéré comme n'étant pas un médicament car il ne remplissait pas les conditions de l'article L 511 al. 2 CSP. Cette décision a été infirmée par la Cour d'appel de Paris le 25 Mars 1957( 8) qui a considéré que la " présentation du produit dosé au poids médicinal et vanté comme possédant des propriétés spéciales recherchées en thérapeutique " était une préparation conforme à la définition de l'article L 511 al. 1 CSP.
Par contre, il n'existe aucun lien avec les médicaments
par composition.
B
Les produits hygiéniques
Ce ne sont pas des médicaments selon l'article L 511 CSP s'ils ne contiennent pas les substances prévues par l'article L 658-5.
Selon la Cour de cassation( 9)pour qu'un produit soit considéré comme un médicament, il suffit qu'il contienne une substance vénéneuse soumise à la réglementation prévue à l'art L 658-5 CSP.
Les
tribunaux appliquent régulièrement cette définition.
Section
II L'application jurisprudentielle de la définition du
médicament
Le monopole du pharmacien a été critiqué par les directeurs de supermarchés qui entendaient vendre dans leur magasin des produits comme la vitamine C, l'éosine 2%, l'alcool à 70% et l'eau oxygénée. Face à cette atteinte, les pharmaciens ont réagi et porté plainte pour exercice illégal de la pharmacie. Pour pouvoir statuer, les tribunaux ont dû rechercher si les produits mis en cause étaient ou non des médicaments en application de l'article L 511 CSP et de l'article 1§2 de la directive du 26 Janvier 1965. Les juges du fond n'ont pas adopté des solutions uniformes. Ainsi Le TGI d'Arras( 10), le 7 Octobre 1986 a décidé que la vitamine C n'avait pas la qualité de médicament alors que le TGI d'Anger( 11) lui a reconnu la qualité de médicament. De même la cour d'appel de Colmar a attribué à l'eau oxygénée la qualité de médicament le 21 Septembre 1987( 12) alors que le 23 Mars 1988( 13) elle a décidé que ce produit ne constituait pas un médicament. En revanche la Cour de cassation( 14) a, pour chaque produit, posé la même solution : sont des médicaments l'eau oxygénée, éosine aqueuse, la vitamine C. En effet, elle relève pour l'eau oxygénée que la Cour d'appel a retenu la qualification de médicament par présentation et elle approuve cette solution. En ce qui concerne la vitamine C, l'Assemblée plénière est intervenue le 6 Mars 1992( 15). Elle casse l'arrêt de la Cour d'appel d'Anger du 30 Janvier 1989 qui a énoncé que la vitamine C n'était pas un médicament par fonction.
Face
à cette jurisprudence incertaine, des critiques sont apparues
et un gérant de supermarché a déposé
une requête devant la Commission Européenne des Droits
de l'Homme. Celui-ci avait été condamné par
le tribunal correctionnel de Sens le 30 Septembre 1988 pour avoir
vendu en Février 1988 divers produits : vitamine C, eau
oxygénée, oligo éléments, alcool à
70%. Le tribunal correctionnel avait qualifié les produits
de médicaments par présentation et par fonction.
La cour d'appel ne retient que la qualification de médicament
par présentation. Il forma un pourvoi en cassation qui
fut rejeté le 29 Mai 1990. Le recours devant les instances
européennes était fondé sur l'article 7 de
la CESDH qui établit le principe de la légalité
des infractions et des peines. Le but était de faire reconnaître
par la Cour que la définition française du médicament
n'est pas claire et donc que l'incrimination de vente de médicaments
par des non pharmacien viole l'article 7. La Commission Européenne
des Droits de l'Homme a admis la requête( 16).
Elle relève que la définition française du
médicament est " peu détaillée
" et qu'elle confère aux tribunaux un large pouvoir
d'appréciation. Elle critique également la position
de la Cour de Justice qui permet au juge d'apprécier au
cas par cas si un " produit constitue un médicament
eu égard à ses propriétés pharmacologiques
reconnues en l'état actuel des connaissances scientifiques
". Elle conclut que la Cour de Cassation a violé l'article
7 de la CESDH. La Cour Européenne des droits de l'Homme( 17),
le 15 Novembre 1996, a considéré que l'article 7
n'avait pas été violé. Elle relève
que la Cour de Cassation malgré les divergences de solutions
des juges du fond a toujours adopté la même solution.
Elle affirme également que la définition française
légale et jurisprudentielle du médicament ainsi
que la définition communautaire sont claires. La Cour de
justice a défini le médicament par présentation
et par fonction dans l'arrêt Leendert Van Bennekom( 18).
La définition du médicament par fonction a été
modifiée par l'arrêt Upjohn. La CJCE décide
que le médicament par présentation est le produit
présenté comme possédant des propriétés
curatives ou préventives au moyen d'étiquettes,
de notices, de présentations orales mais également
de manière implicite et certaine qui aux yeux d'un consommateur
moyennement avisé apparaît comme un produit devant
être efficace. En ce qui concerne le médicament par
fonction, la CJCE a décidé que la " définition
donnée par la directive doit être entendue de manière
suffisamment large afin d'inclure non seulement les produits qui
ont un effet réel sur les fonctions organiques, mais aussi
ceux qui n'ont pas l'effet annoncé ". Cette interprétation
large est destinée à protéger le consommateur.
III Les différentes
catégories de médicaments
Il existe
quatre catégories de médicaments : les médicaments
magistraux, les médicaments officinaux, les produits officinaux
divisés, et les médicaments spécialisés.
Cette liste est exhaustive et tous les médicaments n'entrant
pas dans ces catégories sont " hors la loi ".
Il faut cependant distinguer le remède secret, du médicament
non autorisé c'est à dire fabriqué et vendu
sans autorisation de mise sur le marché. Le remède
secret est défini par les articles R 5094, R 5095 et R
5096 CSP. La sanction de la vente du médicament non autorisé
et du remède secret est prévue par l'article L 518
CSP.
Section
I Les médicaments magistraux
Le médicament
magistral est celui qui est préparé extemporanément
à l'officine selon une formule établie spécialement
pour un malade déterminé par un prescripteur qui
en indique la formule détaillée sur une ordonnance.
La formule est en principe originale mais elle peut être
recopiée sur un formulaire officieux ou reprendre la prescription
d'une école médicale. Ils sont régis par
les articles R 5092 et 5093 CSP. L'exécution d'une préparation
magistrale donne lieu à une inscription sur un livre registre
d'ordonnances ou ordonnancier coté et paraphé par
le maire ou le commissaire de police. Cette inscription comporte
un numéro d'ordre, le nom du médecin, du client,
son adresse et la date à laquelle le médicament
a été délivré. Le numéro d'ordre
est reporté sur le contenant du médicament ainsi
que le nom, adresse du pharmacien et la désignation du
produit. Cette catégorie ne constitue plus aujourd'hui
que 1 à 2% du chiffre d'affaire des officines.
Section
II Les médicaments officinaux
Les médicaments officinaux sont les médicaments inscrits à la Pharmacopée française ou au Formulaire national (pour les préparations officinales). Le médicament officinal doit être conforme aux spécifications décrites à la Pharmacopée. L'article L 569 al. 3 CSP fait obligation aux pharmaciens d'officine de détenir les drogues simples, produits chimiques et préparations stables décrites par la Pharmacopée afin de pouvoir préparer les médicaments officinaux instables en cas de besoin. Les médicaments officinaux sont en principe fabriqués à l'officine mais le pharmacien peut les acheter dans l'industrie en vrac et les conditionner à l'officine. L'étiquetage comporte l'appellation, nom et adresse du pharmacien qui a délivré le médicament (art R 5093 CSP). On peut citer comme médicament officinal le sirop de codéine.
Mais
peu à peu les pharmaciens ont demandé aux fabricants
industriels de fabriquer, diviser et de conditionner les produits
officinaux demandés le plus fréquemment (exemple
: la teinture d'iode). Ces " produits conditionnés
" n'ont été réglementés qu'à
partir du décret du 13 Avril 1962 sous la dénomination
de produits officinaux divisés (POD).
Section
III Les produits officinaux divisés
Les produits officinaux divisés sont régis par les articles R 5098-1 et R 5098-2 CSP. Les POD sont inscrits à la Pharmacopée française ou au Formulaire national mais tous les médicaments ne sont pas des POD. Seuls ceux figurant sur la liste établie par arrêté du ministre de la santé publique peuvent être des POD. En tant que médicament officinal, le nom du pharmacien qui le délivre doit figurer sur le médicament. L'étiquetage ne doit pas comporter le nom du fabricant. Cependant l'établissement industriel doit pouvoir être identifié à tout moment pour des raisons de sécurité. Par exemple si un lot est défectueux, il est important de pouvoir le retirer rapidement du marché des médicaments.
C'est pourquoi, l'étiquetage doit comporter le numéro
de l'autorisation ministérielle d'ouverture de l'établissement
fabricant et le numéro de contrôle effectué
par l'établissement. L'étiquetage fait apparaître
le caractère hybride des POD et en cas d'accident, responsabilité
du fabricant et celle du pharmacien seront engagées.
Section
IV Les médicaments spécialisés
Les
médicaments spécialisés sont constitués
de deux catégories : les spécialités pharmaceutiques
et les produits spécialisés de l'officine.
§1
Les spécialités pharmaceutiques
Les spécialités pharmaceutiques sont définies par l'article L 511-1 5° CSP comme " tout médicament préparé à l'avance, présenté sous un conditionnement particulier et caractérisé par une dénomination spéciale ".
Deux conditions sont issues de cette définition : le conditionnement particulier et la dénomination spéciale. Le conditionnement particulier doit être le même pour toutes les unités de vente de la même spécialité. Il ne peut pas être modifié par le pharmacien détaillant.
La dénomination peut consister soit en un nom fantaisie, soit en une dénomination commune ou scientifique suivie du nom du fabricant ou de marque. Cette dénomination commune doit toujours figurer au dessus du nom fantaisie.
Toute spécialité pharmaceutique est soumise à la procédure d'autorisation de mise sur le marché prévue par l'article L 601 CSP. La présentation et la dénomination des spécialités pharmaceutiques sont régies par les articles R 5143, R 5143-1 et article R 5144 CSP.
Les spécialités pharmaceutiques constituent aujourd'hui
la majeure partie des médicaments.
§2
Les produits spécialisés de l'officine
Selon l'article R 5097 CSP les produits spécialisés de l'officine sont " tout médicament préparé à l'avance, dosé au poids médicinal, présenté sous un conditionnement particulier et destiné à être vendu dans une seule officine". Le conditionnement doit respecter les conditions de l'art R 5098 1° CSP. Le médicament doit correspondre à une formule permettant la délivrance du médicament sans ordonnance médicale. Il doit respecter les tableau de posologie de la Pharmacopée et avoir obtenu un visa de l'inspecteur de la pharmacie.
L'existence
des médicaments spécialisés de l'officine
n'a pas été reprise à l'article L 511-1 CSP
lors de sa modification par l'ordonnance du 23/09/1967. La section
sociale du Conseil d'Etat dans un avis du 23/09/1967 a considéré
que la modification apportée à l'article L 601 CSP
avait pour conséquence de placer tous les médicaments
spécialisés sous le régime de l'autorisation
de mise sur le marché. Les médicaments spécialisés
de l'officine ne peuvent donc être vendus que s'ils font
l'objet d'une autorisation de mise sur le marché. Cette
catégorie de médicament tend à disparaître.
Cependant, on peut cité la pommade TYROTRICINE OESTRADIOL
qui est fabriquée par la pharmacie Meyer de Tomblaine.
Toute
la vie du médicament est encadrée juridiquement.
Malgré cet encadrement juridique, des problèmes
surviennent. En effet, l'état des connaissances ne permet
pas toujours aux scientifiques de prévoir tous les effets
des médicaments. Ainsi, des produits destinés à
soigner une maladie peuvent engendrer d'autres maladies. C'est
le cas par exemple de l'hormone de croissance qui était
destiné à permettre à des enfants de grandir
normalement mais qui était pour certaines contaminées
par le prion, responsable de la démence de Creutzfeldt
Jacob. Les médicaments sont, en général,
prescrits par un médecin et délivrés par
le pharmacien. Si un dommage survient, celui-ci peut être
imputable à une faute du médecin ou du pharmacien.
Cependant la cause du dommage peut être le médicament
lui même. En effet, celui-ci peut être vicié
et le fabricant peut ne pas avoir informé correctement
le médecin ou le pharmacien. Il convient d'examiner dans
la première partie, la responsabilité du fait du
médicament à l'occasion de son utilisation et dans
une deuxième partie, la responsabilité à
l'occasion de la fabrication du médicament.
AJDA | Actualité Juridique de Droit Administratif |
al | Alinéa |
art. | Article |
ass. | Assemblée |
Bull. CE | Bulletin des communautés européennes |
Bull. civ. | Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (chambres civiles) |
Bull. crim. | Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (chambre criminelle) |
Bull. pharm. | Bulletin de l'ordre des pharmaciens |
ch. | chambre |
ch. corr. | chambre correctionnelle |
Circ. | Circulaire |
C. civ. | Code civil |
C. déont. méd. | Code de déontologie des médecins |
C. pén. | Code pénal |
CSP | Code de la santé publique, de la famille et de l'aide sociale |
CSS | Code de la sécurité sociale |
CE | Conseil d'Etat |
CA | Cour d'Appel |
CAA | Cour Administrative d'Appel |
Cass. 1ère civ. | Cour de cassation, première chambre civile |
Cass. 2ème civ. | Cour de cassation, deuxième chambre civile |
Cass. 3ème civ. | Cour de cassation, troisième chambre civile |
Cass. ass. plén. | Cour de cassation, assemblée plénière |
Cass. ch. mixte | Cour de cassation, chambre mixte |
Cass. ch. réunies | Cour de cassation, chambre réunies |
Cass. com | Cour de cassation, chambre commerciale |
Cass. crim. | Cour de cassation, chambre criminelle |
Cass. req. | Cour de cassation, chambre des requêtes |
CJCE | Cour de justice des Communautés européennes |
D. | Dalloz-Sirey (Recueil) |
éd. | édition |
Gaz. Pal. | Gazette du Palais |
Inf. pharm. | Informations pharmaceutiques |
infra | infra |
JCP (éd. G, éd. E, éd. N) | Juris-Classeur Périodique |
JO | Journal officiel Lois et Décrets) |
JOCE | Journal Offficiel des Communautés européennes |
Juris-Data | Juris-Data (Banque de données juridiques) |
Labo. pharm. | Labo pharma problèmes et techniques |
p. | page |
RD publ. | Revue de droit public et de la science politique en France et à l'étranger |
RDSS | Revue de droit sanitaire et social |
Rec. CE | Recueil des décisions du Conseil d'Etat (Lebon) |
Rec. CJCE | Recueil de la Cour de justice des Communautés européennes |
req. | requête |
Rev. adm. | Revue administrative |
s. | suivant |
somm. | sommaire |
supra | supra |
T. civ. | Tribunal civil |
T. comm. | Tribunal de commerce |
T. corr. | Tribunal correctionnel |
TA | Tribunal administratif |
TGI | Tribunal de grande instance |
TI | Tribunal d'instance |
Titre I
L'obtention du médicament
Une personne peut obtenir un médicament grâce à la prescription faite par un médecin. Il faut alors distinguer trois situations.
La première est celle de la prescription faite par un médecin dans le cadre de l'exercice de sa profession libérale et qui conduit la personne malade à s'adresser à une officine de pharmacie.
La seconde est le cas de la prescription faite par un médecin dans le cadre de son travail dans un hôpital. Le plus souvent le médicament sera délivré par la pharmacie interne existante au sein de cet établissement qui doit respecter les règles spéciales d'approvisionnement. Ces pharmacies sont visées par les articles L 595-1 et suivants du CSP depuis la loi du 8 Décembre 1992 ( 19). Leur activité est limitée à l'usage particulier des malades traités dans les établissements où elles se situent. Le rôle du pharmacien est d'assurer le fonctionnement technique de la pharmacie c'est à dire se procurer les médicaments soit en les préparant à la pharmacie, soit en s'approvisionnant à l'extérieur puis à distribuer ces médicaments aux différents services de l'établissement.
La personne
peut, enfin, obtenir un médicament sans ordonnance en s'adressant
directement au pharmacien d'officine. Cette personne pratique
l'automédicamentation et ne peut obtenir que des médicaments
dits en vente libre. Cette situation sera traitée dans
le titre II de cette partie. A l'occasion de cette prescription
(Chapitre I), le médecin peut engager sa responsabilité
(Chapitre II).
A la
suite de son diagnostic, le médecin va proposer au malade
une prescription médicamenteuse. Celle-ci est un acte médical
" visant à une action sur le corps humain dans une
intention curative"( 20).
La prescription est libre (section I) et doit répondre
à des modalités précises (section II).
Section
I La liberté de prescription
Elle est affirmée par l'article L 162-2 CSS : " Dans l'intérêt des assurés sociaux et de la santé publique, le respect de la liberté d'exercice et de l'indépendance professionnelle et morale des médecins est assuré conformément aux principes déontologiques fondamentaux que sont le libre choix du médecin par le malade, la liberté de prescription du médecin, le secret professionnel, le paiement direct des honoraires par le malade, la liberté d'installation du médecin ". Elle est affirmée également par l'article 9 du code de déontologie médicale( 21) et par l'article L 625 bis CSP. Le médecin peut donc choisir l'objet de sa prescription. Ce choix se fait parmi les différentes catégories de médicaments existantes. En principe, il peut choisir n'importe quel produit.
Cependant,
il existe des limites à cette liberté de prescription.
Premièrement, il y a des limites directes. Certaines professions
médicales sont limitées dans leurs prescriptions.
C'est le cas des sages femmes qui ne peuvent prescrire "
que les médicaments nécessaires à l'exercice
de leur profession " (art L 370 CSP) et des chirurgiens-dentistes
qui peuvent prescrire " tous les médicaments nécessaires
à l'exercice de leur art dentaire " (art L 368 CSP).
Ensuite, les articles L 618 et suivants CSP prévoient la
limitation des médicaments utilisés par les collectivités
publiques c'est à dire les établissements hospitaliers,
civils et militaires. En effet, une liste de produits agrées
est établie par l'Agence du médicament. Selon l'article
L 622 1° CSP, seuls les produits spécialisés
agréés peuvent être utilisés par les
établissements hospitaliers, civils et militaires. Cependant
en cas d'urgence, le médecin peut prescrire n'importe quelle
autre spécialité dans l'intérêt du
malade. Deuxièmement,
il existe des limites indirectes. D'une part, l'article R 163-2
CSS prévoit que les spécialités pharmaceutiques
ou tout autre médicament fabriqué industriellement
ne peuvent être remboursés ou pris en charge par
les organismes de sécurité sociale que s'ils figurent
sur la liste des médicaments remboursables établie
par arrêté conjoint du ministre chargé de
la santé et du ministre chargé de la sécurité
sociale. Selon l'article R 163-3 CSS, seuls peuvent figurer sur
cette liste les médicaments pour lesquels il est démontré
qu'ils apportent soit une amélioration dans la thérapeutique,
soit une économie dans le coût du traitement. Ces
dispositions mettent en évidence un souci d'économie
de la part des autorités. Il n'existe aucune disposition
exigeant du médecin la prescription de ces médicaments
remboursables. Cependant, les difficultés financières
du patient pourront inciter le médecin à prescrire
un médicament de cette liste. Malgré tout la liberté
du médecin subsiste en raison du nombre élevé
des médicaments remboursables. D'autre part, le médicament
générique dont l'introduction dans le code de la
santé publique date de l'ordonnance du 24 Avril 1996( 22)
peut apparaître comme une limite à la liberté
de prescription. Cette introduction sur le marché français
des médicaments génériques correspond à
une volonté d'économie. Ils constituent 2 à
3% du marché et peu de médecins les utilisent( 23).
Actuellement, la prescription des médicaments génériques
est une simple obligation morale pour les médecins français.
Cependant au mois de Juillet 1996, le ministre des Affaires sociales,
M. J. BARROT a déclaré que les médecins avaient
" un effort très important à consentir "
et d'après le vice-président et coordinateur des
activités santé au sein du Boston Consulting Group,
M.TARDY, sans une réglementation spécifique, sans
politique d'incitation financière, il n'y aura pas de marché
pour le médicament générique( 24)
Dès l'instant où la prescription du médicament
générique sera réglementée, la liberté
de prescription du médecin ne sera plus totale.
La jurisprudence
reconnaît le droit du médecin de choisir le traitement
qui lui apparaît le plus opportun d'après son diagnostic.
Elle refuse en général de s'immiscer dans des controverses
scientifiques sur tel ou tel procédé. Par contre
les juges reconnaissent la faute lorsque l'adoption d'une thérapeutique
est manifestement incompatible avec la situation d'un malade déterminé
et ce après avoir recueilli tous les avis scientifiques
susceptibles de les éclairer. Ainsi le tribunal civil de
Lille( 25) a décidé
qu'un médecin ne commettait en principe aucune faute en
appliquant à des verrues plantaires un traitement radiothérapique
considéré comme classique en l'état de la
pratique médicale et qu'" il en est autrement lorsqu'il
applique un tel traitement, dont il ne pouvait ignorer les dangers,
à une affection aussi bénigne que de simples cors,
qu'il procède à, des applications répétées
et trop rapprochées, alors que les auteurs semblent s'orienter
vers une seule application par lésion ". Cette solution
applicable a une thérapeutique non médicamenteuse
est transposable à un traitement par médicament.
De même, la cour d'Appel de Paris( 26)
a engagé la responsabilité professionnelle
de deux médecins qui ont commis successivement la même
faute résultant de soins non conformes aux données
actuelles de la science. Ils ont prescrit un médicament
contre indiqué en présence d'une perforation du
tympan sans respecter la limite de durée d'utilisation
de ce traitement alors qu'ils ont observé la perforation
du tympan de la victime.
Section
II Modalités de la prescription
La prescription
doit être prudente. Elle doit être conforme à
l'intérêt du malade (§1) et formellement claire
(§2).
§1
L'intérêt du malade
Les soins doivent être conforme aux données actuelles de la science. L'ignorance de données devenues élémentaires constitue une faute pour le médecin ainsi que l'emploi d'une technique périmée et dangereuse( 27) . Cela relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. La chambre criminelle de la Cour de cassation( 28) a engagé la responsabilité d'un médecin qui avait pratiqué une rachianesthésie lors d'une césarienne sans surélever la partie inférieure du corps de la victime dans lequel n'avait pas été injecté suffisamment de sérum après avoir relevé que les juges du fond avaient considéré que le médecin n'avait pas " donné au malade des soins conformes aux données acquises de la science ". Ainsi, il ne peut pas décider d'augmenter la posologie au-delà des doses maximum prévues pour tel ou tel médicaments, d'administrer un médicament réservé à l'adulte à l'enfant.
Pour apprécier le risque médicamenteux, le médecin doit aussi tenir compte des antécédents de son patient. Ainsi engage " sa responsabilité professionnelle un anesthésiste qui n'a pas pris toutes les précautions dans le choix d'un anesthésique s'agissant d'un patient présentant un tempérament allergique ".( 29) Cette erreur a entraîné le décès du patient. De plus le médecin doit assurer un suivi de son patient afin de surveiller les effets et la tolérance du traitement. A l'inverse, un médecin qui ne prend pas en compte les effets secondaires présentés par son patient verra sa responsabilité engagée.
L'article 40 du code de déontologie médicale dispose que " le médecin doit s'interdire dans les investigations et interventions qu'il pratique comme dans les thérapeutiques qu'il prescrit de faire courir au patient un risque injustifié ". Cependant, la plupart des médicaments comportent des effets secondaires. Le médecin a normalement connaissance du risque médicamenteux. Il ne peut pas négliger les effets secondaires du produit prescrit et doit les comparer avec le profit attendu. Le risque est permis mais il doit être justifié, proportionné aux chances mesurées par rapport à la gravité de l'état de l'intéressé. C'est la règle de la raison proportionnée. Elle permet l'intervention du juge à qui il appartient d'apprécier si l'administration d'un médicament ne comporte pas de risques supérieurs à ceux que la maladie fait courir à la personne.
Les tribunaux ont à de nombreuses occasions rappeler ce principe en condamnant des praticiens pour avoir fait courir à leur client des risques thérapeutiques insuffisamment justifiés. La première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 20 Février 1979( 30) a considéré qu'un chirurgien a fait " courir à sa patiente un risque non justifié et commis une faute ". Elle affirme le pouvoir souverain des juges du fond dans l'appréciation du risque : " Et les mêmes juges qui, après avoir relevé que le méthiodal pouvait causer des lésions parfois irréversibles ne devait être administré que si les thérapeutiques appliquées et les moyens d'investigation employés s'étaient révélés inefficaces, ont retenu que la patiente n'était atteinte d'une sciatique que depuis un mois, que l'inefficacité des thérapeutiques possibles était rien moins que certaine et que d'autres modes d'exploration inoffensifs auraient pu être employés, ont pu considérer que le chirurgien qui avait assumé la responsabilité de l'administration du méthiodal avait, en ne vérifiant pas les antécédents de la patiente et en ne se souciant pas des autres possibilités d'investigation fait courir à celle-ci un risque non justifié et commis une faute ".
L'article
21 alinéa 2 du Code de déontologie médicale
interdit la délivrance de médicaments non autorisés.
Un médecin ne peut pas se livrer à des expérimentations
de médicaments sur ses patients. Cependant, l'utilisation
de médicaments nouveaux est possible. Dans ce cas eu égard
aux risques médicamenteux élevés, le médecin
doit informer largement son patient. Face à ces risques,
les pouvoirs publics ont mis en place une surveillance des médicaments
: la Pharmacovigilance. Elle est réglementée par
les articles R 5144-1 à R 5144-11 du CSP. L' Organisation
Mondiale de la Santé l'a défini comme étant
" la notification, l'enregistrement et l'évaluation
systématique des réactions adverses des médicaments
délivrés avec ou sans ordonnance "( 31)
. L'article R 51144-8 CSP dispose que " tout médecin
(...) ayant constaté un effet inattendu ou toxique susceptible
d'être dû à un médicament qu'il a prescrit,
doit en faire la déclaration immédiate au centre
régional de pharmacovigilance ". Ainsi chaque médecin
aura connaissance des différents effets secondaires des
médicaments.
§2
La clarté de la prescription
L'article 34 du Code de déontologie médicale dispose que " le médecin doit formuler ses prescriptions avec toute la clarté indispensable, veiller à leur compréhension par le patient et son entourage et s'efforcer d'en obtenir la bonne exécution ". La prescription se fait dans tous les cas par écrit. Elle prend la forme d'une ordonnance qui est la conclusion habituelle de l'acte médical. Elle constate l'accord des parties et reflète la pensée du praticien. L'ordonnance doit indiquer le nom du produit sans abréviation afin d'éviter les confusions avec des appellations voisines, la quantité, les fréquences d'utilisation, la durée du traitement et le cas échéant le nombre de renouvellement nécessaires( 32). Il existe un exception : la délivrance de médicaments contraceptifs peut être effectuée pour une durée de trois mois. Une indication imprécise peut entraîner des dommages pour le malade.
Si l'écriture
du médecin est mal lisible, la dactylographie s'imposera
pour éviter les erreurs de lecture. L'article 5 de la Convention
nationale des médecins du 29/05/1980 interdit aux médecins
d'utiliser des ordonnances préétablies et pré-imprimées.
Le texte pré-rédigé ou pré-imprimé
offre un schéma thérapeutique sans doute classique
a priori approprié au traitement des situations banales.
Le risque est de privilégier une solution théorique
pas forcement compatible avec la situation concrète d'un
malade particulier. L'informatisation des cabinets médicaux
va permettre d'éviter le risque des ordonnances mal écrites.
Mais on peut craindre que les praticiens préétablissent
des ordonnances dans leur fichier. Il faut souligner malgré
tout que la personnalisation des ordonnances sera aisée
eu égard à l'outil informatique.
Deux
situations sont à distinguer : la responsabilité
dans le cadre de l'exercice libéral de la profession de
médecin (section I) et celle dans le milieu hospitalier
(section II)
Section
1 La responsabilité dans l'exercice libéral
Il convient
d'examiner la nature de cette responsabilité (§1)
et sa mise en oeuvre (§2).
§1
La nature de la responsabilité
Jusqu'en
1936, la responsabilité du médecin était
engagée sur le fondement de la responsabilité délictuelle
(articles 1382 et suivant du Code civil). Dans l'arrêt du
20 Mai 1936 dit arrêt Mercier( 33),
la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence.
La cour énonce " qu'il se forme entre le médecin
et son client un véritable contrat " et " que
la violation, même involontaire, de cette obligation contractuelle
est sanctionnée par une responsabilité de même
nature, également contractuelle ". La Cour consacre
donc la responsabilité contractuelle du médecin
lors de l'acte médical qui est un contrat de soins établi
entre le médecin et le malade. Le contrat médical
impose au médecin l'obligation de " donner des soins
(...) consciencieux, attentifs, et (...) conformes aux données
acquises de la science ". L'obligation à la charge
du médecin est une obligation de moyens. La responsabilité
de celui-ci sera engagée en cas d'inexécution ou
de mauvaise exécution de son obligation sur le fondement
des articles 1146 et suivants du Code Civil.
§2
La mise en oeuvre de la responsabilité
Pour
que la responsabilité du médecin soit engagée,
trois conditions sont à réunir : la faute, le préjudice,
le lien de causalité.
A
La faute
La responsabilité médicale naît de la violation de son obligation de moyens par le médecin. La faute doit nécessairement être prouvée par le malade. Les fautes retenues pour engager la responsabilité civile du médecin vont permettre au Conseil de l'Ordre d'engager la responsabilité professionnelle de celui-ci lorsqu'il ne respecte pas le Code de Déontologie médicale et parfois entraîner une responsabilité pénale. Lors de l'utilisation des médicaments par le médecin, la faute peut prendre trois formes différentes.
La faute
peut se produire lors de l'indication thérapeutique. Le
médecin a fait un diagnostic exact mais il se trompe dans
le choix du médicament ou a recours à une thérapeutique
tombée en désuétude. Dans le deuxième
cas, le choix de la thérapeutique est laissée à
la prudence du médecin à condition qu'elle ne soit
pas " contraire aux données généralement
admises de la science médicale, telle qu'elle est habituellement
pratiquée "( 34).
La cour d'appel de Paris( 35)
a condamné un médecin qui " au cours d'un traitement
d'une hernie par injection sclérosante, thérapeutique
tombée en désuétude " avait blessé
l'artère spermatique du patient " en raison de l'injection
du liquide dans la lumière du vaisseau c'est à dire
à un endroit contre indiqué ". De même
le médecin va engager sa responsabilité s'il choisit
une technique nouvelle ou controversée et que celle-ci
cause un dommage au patient. Elle comporte des risques plus importants
pour le malade et nécessite des précautions particulières
de la part du médecin. La cour d'appel de Montpellier( 36)
a retenu la responsabilité d'un médecin homéopathe
qui pour traiter une brûlure provoquée par du potassium
ingéré accidentellement par la patiente a prescrit
un traitement homéopathique alors que " des lésions
de cette nature évoluent vers un rétrécissement
cicatriciel progressif qui (...) risque d'aboutir à l'obstruction
quasi totale de l'oesophage " sont traitées de manière
classique " par des dilatations mécaniques réalisées
par le passage de sondes ". La cour énonce que le
médecin "a fait preuve d'une imprudence caractérisée
", " que le traitement qu'il a appliqué ne saurait
être considéré comme conforme aux données
actuellement acquises de la science " et qu'il a "méconnu
les devoirs particuliers de sauvegarde et de conseil ".
Le médecin peut commettre une faute dans la prescription du traitement. Il va engager sa responsabilité s'il prescrit un médicament avec une posologie élevée. La Cour de cassation( 37) a approuvé la Cour d'appel de Lyon qui a retenu la responsabilité d'un médecin ayant prescrit deux boites de FANASIL à dose de deux comprimés par jour a une patiente qui après avoir suivi le traitement présenta un syndrome de Lyell. La posologie était trop élevée. De même, il engagera sa responsabilité s'il prescrit une posologie d'adulte à un enfant. La solution retenue par la Cour d'appel de Bordeaux( 38) à propos de soins vétérinaires est applicable sans aucun doute aux médicaments destinés à la médecine humaine. Elle a engagé la responsabilité d'un vétérinaire qui avait prescrit un produit antibiotique contre la toux destiné à de jeunes bovins et à des chèvres. La cour a retenu, à la suite du décès des chèvres, que " le vétérinaire avait commis une faute en faisant une extrapolation hasardeuse fondée sur l'absence de contre indications aux bovins adultes". Ce type d'accident est peu fréquent. En effet, le pharmacien qui a un devoir de contrôle de l'ordonnance doit dans un tel cas avertir le médecin qui en toute logique rectifiera la posologie. Dans l'arrêt précité, le pharmacien avait prévenu le médecin qui n'a pas tenu compte de ses observations. L'erreur de posologie peut être une confusion entre la forme adulte et la forme enfant d'un médicament. Par contre le médecin qui prescrit un médicament en respectant la posologie indiquée par le laboratoire ne peut pas voir sa responsabilité engagée s'il s'avère que la posologie était trop élevée et que le laboratoire ne l'a pas avertit( 39). La faute du médecin peut résider dans la prescription de plusieurs médicaments. Il faut que les données de la science actuelle permettent au médecin de connaître l'interaction. Ainsi dans l'affaire Thorens( 40), la responsabilité du médecin ne fut pas engagée car l'interaction était inconnue.
L'indication
thérapeutique peut être mal comprise par le pharmacien
lorsque la prescription n'est pas claire. Ainsi, la cour d'appel
d'Angers( 41) a engagé
la responsabilité pénale d'un médecin qui
avait mal rédigé son ordonnance. En l'espèce,
l'ordonnance médicale comportait la prescription suivante
: " Laudanum de Sydenham 25 gt - Antipyrine I g - Eau
bouillie 60 g - pour un lavement n°2. En prendre un le soir
(la moitié du flacon)". Le préparateur
a introduit 25 grammes de LAUDANUM au lieu de 25 gouttes et la
victime, après avoir absorbé par voie rectale la
moitié du flacon décéda. La cour retient
la responsabilité du médecin car celui ci a contrevenu
à l'article 19 du décret du 14 Septembre 1916 en
écrivant le nombre 25 en chiffre arabes et parce qu'il
a commis une faute en inscrivant " le mot gouttes
en abrégé à l'aide de deux ou peut être
trois lettres pressées sur un millimètre contre
le bord du papier, et parmi lesquelles le g seul est perceptible
; que cette faute caractérisée est à l'origine
de l'erreur de lecture du préparateur et de la malfaçon
" qui a entraîné la mort de la patiente. Cette
solution fut confirmée par un arrêt de la chambre
civile du 4 Juin 1946( 42).
Plus récemment, la cour d'appel de Paris( 43)
a décidé qu'un " médecin prescripteur
ayant ajouté en bas d'une ordonnance, les mots 15 jours
décalés dans la marge par rapport au texte de l'ordonnance
" avait " commis une maladresse ou une négligence
qui a contribué au dommage et engage sa responsabilité
contractuelle ".
Une
autre faute du médecin réside dans une mauvaise
surveillance du traitement. Le médecin doit être
attentif à toutes les remarques de son patient notamment
en ce qui concerne les effets secondaires et doit lui indiquer
ce qu'il peut ou ne peut pas faire pendant le traitement (exemple
: garder la chambre, ne pas s'exposer au soleil ...) Ainsi engage
sa responsabilité le médecin qui pratique une piqûre
d'HYDROCORTANCYL à une patiente sans lui prescrire le repos
et l'immobilisation indispensable et qui a pour conséquence
l'amputation de la jambe droite de cette patiente( 44).
Par contre n'engage pas sa responsabilité, le médecin
qui interrompt le traitement lorsque le patient présente
une réaction allergique. A la suite d'un traitement combiné
de TRANCOPAL et de SALIPRAN, une patiente a présenté
un syndrome de Lyell. Le médecin décida l'hospitalisation
de sa patiente dès l'apparition des premiers symptômes.
La cour d'appel de Paris( 45)
a décidé qu'en " interrompant la prescription
d'un médicament pouvant avoir des effets indésirables
et en poursuivant le traitement basé sur un autre ne comportant
apparemment pas de contre indications, le médecin s'acquitte
de son obligation de soins sans manquer à la prudence et
à la diligence auxquelles il est tenu ".
B
Les autres conditions
Pour que l'action en responsabilité soit possible, il faut que la faute ait provoqué un dommage. Ce préjudice doit être direct et certain. Ce préjudice peut être corporel. Il va consister en une invalidité comme par exemple une amputation, à la douleur subie, en un préjudice esthétique. A ces causes classiques s'ajoutent des catégories plus récentes comme l'impossibilité pour la victime d'entretenir des relations sexuelles normales avec son conjoint, la nécessité de porter en permanence des prothèses. La perte de chance constitue également un préjudice. Si cette chance était sérieuse, le fait d'en avoir été privée constitue un préjudice réparable. Le préjudice consistera alors en une perte de chance de survie ou de guérison. Le préjudice peut aussi être matériel. Le plus souvent, il est la conséquence du préjudice corporel car le patient ne peut plus travailler ou parce qu'il va dépenser des sommes considérables en frais de cure, d'appareillage. Enfin le préjudice peut être moral.
Pour que la responsabilité soit engagée, il faut un lien de causalité entre la faute et le dommage. Le plus souvent ce lien va être démontré par une expertise( 46). Parfois le lien est clairement établi. Cependant, dans la plupart des cas on peut prouver qu'il y a faute, mais on ne trouve pas de lien de causalité entre celle-ci et le préjudice. L'appréciation de l'existence du lien de causalité relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. Leurs décisions ne sont pas uniformes. Ainsi dans un arrêt du 26 Janvier 1966( 47), la chambre civile de la Cour de cassation approuve les juges du fond qui précisent que " dès lors qu'il n'est pas démontré de façon certaine que cette injection soit la cause directe de la mort, la responsabilité civile du médecin ne saurait être retenue ". En l'espèce, le patient avait reçu le 20 Août 1956 six injections de NAIODINE vitamine B1, le 30 Août, les 1er et 9 Septembre une injection de THIODOCAINE, le 5 Septembre une injection de THIODOCAINE puis de vitamine B 12 et B 1 et il décéda. Il fut impossible aux experts de déterminer si la dernière injection fut la cause du décès. Dans d'autres arrêts, elle approuve des juges du fond qui se basent sur des " présomptions suffisamment graves, précises et concordantes "( 48) pour retenir que le préjudice subi par le patient est la conséquence directe de la faute du médecin ou qui se réfère à " la très grande probabilité( 49) " dont les experts " faisaient état en ce qui concerne l'existence d'un lien de causalité entre l'absorption du médicament prescrit et l'apparition des lésions ".
Le médecin
peut être exonéré de sa responsabilité
totalement ou partiellement s'il y a faute du pharmacien d'officine
ou du pharmacien fabricant. Dans ce cas, on peut attribuer le
dommage à plusieurs auteurs. L'obligation de chaque coauteur
de payer l'indemnisation complète est provisoire. En effet,
elle ne joue que dans les rapports coauteur victime. Ensuite,
les responsables vont se partager la charge de l'indemnisation
entre eux. Le coauteur qui paie le tout va se retourner contre
les autres en divisant ses recours. Le partage va se faire en
fonction de la gravité des fautes de chacun. L'insolvabilité
de l'un des auteurs sera supportée par les autres responsables
à proportion de leur responsabilité dans le dommage
et non pas par la victime. Le médecin peut être également
exonéré totalement ou partiellement en cas de faute
de la victime. Lorsque celle-ci va lui demander réparation,
il lui opposera sa faute.
Section
2 La responsabilité hospitalière
L'hôpital
peut être un établissement privé ou public.
Dans le premier cas, ce sont les tribunaux de l'ordre judiciaire
qui sont compétents et dans le deuxième, les tribunaux
de l'ordre administratif.
§1
La responsabilité hospitalière dans un établissement
privé
Le médecin
exerçant dans une clinique peut avoir soit un statut libéral
soit être salarié. Traditionnellement, il était
admis que le malade soigné dans une clinique privée
avait deux cocontractants, l'un fournissant les prestations hospitalières,
l'autre les prestations médicales. Le médecin effectue
les actes de soins et l'établissement fournit un hébergement
et les soins annexes à l'acte médical pratiqué
: mise à disposition des médicaments, changements
des pansements etc.
Le médecins sera déclaré
seul contractuellement responsable s'il commet une faute dans
l'acte de soin. La jurisprudence adoptait cette position : la
Cour de Cassation( 50)
a refusé de condamner concurremment un médecin et
la clinique où il opérait " au seul motif que
médecin et clinique sont contractuellement responsable
in solidum de la faute médicale dont la clinique
assure la garantie à l'égard du malade, sans relever
l'existence d'une faute à la charge de la clinique ".
La Cour de cassation semble être revenue sur sa position
en ce qui concerne le médecin salarié. La première
chambre civile énonce dans un arrêt du 4 Juin 1991( 51)
que le " contrat de soin avait été conclu entre
Monsieur Y (le patient) et la Fondation Rotchild ". L'établissement
hospitalier est responsable civilement du préjudice causé
au malade par les actes médicaux. La chambre criminelle
a également statué dans ce sens dans un arrêt
du 5 Mars 1992( 52).
L'arrêt de 1991 se fonde sur l'article 1147 du Code Civil
c'est à dire sur une mauvaise exécution du contrat
médical. L'arrêt de 1992 quant à lui se fonde
sur l'article 1384 alinéa 5 du code civil et reconnaît
la qualité de préposé au médecin.
Dans le premier arrêt, le médecin qui avait été
déclaré contractuellement responsable demande à
la Cour de mettre en cause la clinique. Cette demande est accueillie
et l'on peut s'interroger sur le fait de savoir si elle ne consacre
pas une immunité du médecin. Cette solution n'est
pas acceptable. La chambre criminelle reconnaît au médecin
la qualité de préposé et à la clinique
celle de commettant. Cette solution est favorable pour la victime
qui ne risque plus de se heurter à l'insolvabilité
du médecin. Certains auteurs comme Monsieur J.Savatier( 53)
sont favorables à l'extension de cette solution au médecin
ayant un statut libéral. Il faudrait alors assimiler le
médecin à statut libéral à un préposé.
Cette extension est elle concevable ? On peut penser que si le
médecin a un statut libéral, il sera choisi par
les malades. Alors que s'il est salarié d'un établissement,
les malades sont souvent répartis entre les différents
médecins salariés au hasard, sans que le patient
puisse exprimer sa volonté d'être soigné par
tel ou tel médecin. Dans ce dernier cas, on se rapproche
de la situation existante dans un hôpital public. Donc lorsque
le médecin a un statut libéral, un contrat de soin
existe réellement entre lui et le patient. L'extension
de la solution de la chambre criminelle ne parait pas opportune.
§2
La responsabilité dans un établissement public
A
Le droit commun
L'hôpital
est un établissement public et c'est à l'État
et aux collectivités de réparer un dommage causé
par le mauvais fonctionnement d'un service public. Le médecin
est un agent du " service public de la santé( 54)
". Il n'existe pas de contrat entre le médecin et
le malade ni entre le malade et l'hôpital. L'établissement
hospitalier assumera la responsabilité des fautes commises
par ses agents. Les autorités compétentes sont les
juridictions administratives. Le conflit les opposant aux tribunaux
civils a été tranché par le tribunal des
conflits en 1957( 55)
et la Cour de cassation a rappelé que seuls les tribunaux
de l'ordre administratif sont compétents pour statuer sur
une action en responsabilité dirigée à l'encontre
d'un centre hospitalier établissement public (Civ 1ère
13 Novembre 1996). La responsabilité de l'hôpital
ne sera engagée que s'il existe une faute de service. Avant
le 10 Avril 1992, existait une distinction entre les actes de
soins et les actes médicaux (c'est à dire qui nécessitent
l'intervention d'un médecin). En effet, pour engager la
responsabilité à l'occasion d'actes médicaux,
il fallait prouver une faute lourde alors que pour les actes de
soins seule une faute simple devait être prouvée.
Par un arrêt du 10 Avril 1992, le Conseil d'État( 56)
a abandonné l'exigence de la faute lourde. Le Conseil d'État
relève le lien de causalité existant entre les erreurs
commises et le dommage causé à la victime et considère
que ces erreurs "constituent une faute médicale de
nature à engager la responsabilité de l'hôpital..."
B
Aléa et risque thérapeutique
Parfois
la faute ne peut pas être prouvée. C'est le cas notamment
lorsque tel ou tel médicament n'était pas connu.
C'est ce que l'on nomme risque thérapeutique ou risque
médicamenteux. Les juridictions civiles considèrent
que le médecin ne commet pas de faute lorsqu'il n'y a pas
de manquement à l'obligation de donner des soins consciencieux,
attentifs et conformes aux données acquises de la science.
Jusqu'en 1990, les tribunaux administratifs( 57)
considéraient que l'aléa thérapeutique ou
le risque thérapeutique ne constituait pas une faute lourde
et l'indemnisation était refusée. Mais la Cour administrative
d'appel de Lyon, le 21 Décembre 1990, a admis la responsabilité
sans faute. Le chirurgien avait décidé de pratiquer
sur Monsieur Gomez présentant une cyphose une intervention
dite de Luqué. A la suite de celle-ci, le jeune Gomez présenta
des troubles neurologiques qui provoquèrent une paraplégie.
Il demande réparation avec ses parents aux Hospices Civils
de Lyon du préjudice subi. La Cour administrative d'appel
de Lyon retient la responsabilité des Hospices Civils de
Lyon : " considérant (...) que lorsque le recours
à une nouvelle thérapeutique ne s'impose pas pour
des raisons vitales, les complications exceptionnelles et anormalement
graves qui en sont la conséquence directe engagent, même
en l'absence de faute la responsabilité du service public
hospitalier ". La Cour administrative d'appel pose néanmoins
trois conditions à cette responsabilité sans faute
: l'utilisation d'une thérapeutique nouvelle dont les conséquences
ne sont pas entièrement connues, le recours à cette
technique nouvelle s'impose pour des raisons vitales, et des complications
exceptionnelles et anormalement graves. Le Conseil d'État
rendit également une décision( 58)
admettant la responsabilité sans faute d'un service hospitalier.
A la suite d'une artériographie vertébrale, Monsieur
Bianchi est resté tétraplégique. Les experts
n'ont relevé aucune faute dans l'exécution de l'examen.
Le Conseil d'État retient une responsabilité sans
faute des services hospitaliers. Pour cela, il relève "
un risque dont l'existence est connue mais dont la réalisation
est exceptionnelle ", un dommage présentant une extrême
gravité et l'absence de lien entre l'évolution de
l'état initial du patient avec le préjudice subi
par celui-ci. Il faut remarquer, premièrement, que si le
Conseil d'État retient la responsabilité sans faute
des services hospitaliers ce n'est qu'à certaine conditions.
Ensuite, le Conseil d'État n'a pas statué dans l'arrêt
Bianchi sur le même problème que la Cour administrative
d'appel de Lyon. En effet celle ci a dû statuer sur un aléa
thérapeutique et le Conseil d'État sur un risque
thérapeutique.
L'aléa
thérapeutique correspond au risque de développement
c'est à dire une conséquence inconnue du traitement.
Le risque thérapeutique est une conséquence connue
du traitement et nous avons vu précédemment qu'il
fallait lui appliquer, en principe, la règle de la raison
proportionnée. Dans l'arrêt Bianchi, il ne semble
pas que le Conseil d'État applique cette règle.
En effet, il relève que le traitement " présente
un risque dont l'existence est connue mais dont la réalisation
est exceptionnelle " et " aucune raison ne permet de
penser que le patient y soit particulièrement exposé
". En application de la règle de la raison proportionnée,
on peut déduire de ces éléments que l'examen
ne présentait pas de risque supérieur à ceux
que la maladie faisait courir à la personne et donc qu'il
n'y a pas lieu d'engager la responsabilité de l'établissement
hospitalier. Or le Conseil d'État retient la responsabilité
sans faute, donc exclut la règle de la raison proportionnée.
En l'espèce, le préjudice était lié
à un examen destiné à établir un diagnostic
mais cette solution est transposable au préjudice lié
à un traitement médicamenteux. C'est ce que nous
précise le Conseil d'État dans son considérant( 59).
Il semble que les juridictions administratives soient plus sévères
à l'encontre des médecins que les juridictions judiciaires.
Cette différence de régime peut s'expliquer par
le fait que le Conseil d'Etat utilise la règle d'égalité
devant les services publics. L'existence de ce principe général
du droit découle du souci du Conseil d'Etat d'assurer une
égalité de traitement entre les usagers d'un même
service public ( 60).
Toutes les personnes se trouvant placées dans une situation
identique à l'égard du service public doivent être
régies par les mêmes règles. Les charges qui
résultent du fonctionnement du service et qui sont considérées
comme la contre partie des avantages que procure ce fonctionnement
doivent être les mêmes pour tous. Si le fonctionnement
du service impose à une ou plusieurs administrés
une charge particulière qui les place par rapport aux autres
dans une situation d'inégalité, l'égalité
sera rétablie par l'attribution d'une indemnité.
Il existe un risque lors de l'utilisation de la méthode
mais ce risque ne se réalise pas toujours. Lorsqu'il est
imposé à une personne, il apparaît une inégalité
entre celle-ci et les autres personnes auxquelles la méthode
a été appliquée sans dommage. Le Conseil
d'Etat a de nouveau admis la responsabilité sans faute
d'un établissement public hospitalier en 1995( 61)
à l'occasion du problème de l'indemnisation des
personne ayant contractées le virus du Sida à l'occasion
d'une transfusion sanguine. Il faut remarquer qu'il distingue
entre l'hôpital disposant d'un centre de transfusion (responsabilité
sans faute) et l'hôpital n'en possédant pas et s'approvisionnant
à l'extérieur ( pas de responsabilité). Il
rejoint ainsi la position de la Cour de cassation. Cependant,
on ne peut pas déduire de ces arrêts un principe
de responsabilité sans faute vis à vis du risque
thérapeutique.
Titre II
La délivrance du médicament
Cette
délivrance ne peut être faite que par un pharmacien
d'officine ou un pharmacien tenant la pharmacie d'un établissement
hospitalier. Dans ce dernier cas, s'il commet une faute, c'est
la responsabilité de l'établissement hospitalier
qui va être engagée. En dehors des hôpitaux
(privé, public), seul le pharmacien d'officine peut vendre
des médicaments au public. En effet, l'article R 5115 -1
CSP interdit au fabricant de médicaments de dispenser ses
produits sans l'intermédiaire d'une officine de pharmacie.
Parfois le pharmacien d'officine devient fabricant lorsqu'il doit
exécuter une préparation : médicaments
magistraux, produits officinaux. Cependant le plus souvent, il
dispense des spécialités pharmaceutiques. Cette
dispensation peut être l'exécution d'une ordonnance
du médecin ou être la satisfaction d'une demande
faite par le consommateur du médicament. Certains ne peuvent
être obtenus que sur ordonnance. Ils sont classés
en " liste " depuis un décret du 29 Décembre
1988( 62). Il en existe
trois : les stupéfiants, la liste I, et la liste II. Le
régime des stupéfiants est prévu aux articles
R 5209 et s. CSP. La prescription de ces substances se fait sur
des feuilles extraites d'un carnet à souches d'un modèle
déterminé par le ministre chargé de la santé.
Les produits inscrits sur la liste I sont reconnaissables par
le filet coloré rouge qui figure sur l'emballage. Elle
comprend les substances ou préparations, les médicaments
et produits présentant les risques les plus élevés
pour la santé. Ces médicaments ne peuvent être
obtenus que sur la présentation d'une ordonnance. Pour
ceux inscrits sur liste II, le filet est vert. Ils sont normalement
obtenus sur présentation d'une ordonnance mais le malade
peut obtenir ces médicaments sur présentation d'une
ordonnance déjà exécutée par un pharmacien
et datant de moins d'un an. Un mode de stockage spécifique
est prévu pour ces différents produits. Les médicaments
ne figurant pas sur ces trois listes sont accessibles sans ordonnance.
C'est le cas notamment des médicaments dits en vente libre
qui peuvent faire l'objet de publicité et qui ne sont pas
remboursés. On dit qu'ils sont délistés.
Il faut remarquer qu'il y a des médicaments non remboursés
relevant de la liste I, ou de la liste II et il existe des médicaments
remboursables s'ils font l'objet d'une ordonnance mais qui peuvent
être obtenus sans. A l'occasion de la délivrance
des médicaments, le pharmacien d'officine peut engager
sa responsabilité (Chapitre I) s'il ne respecte pas ses
différentes obligations (Chapitre II).
Pendant de nombreuses années, la doctrine et les juges ont considéré que la responsabilité du pharmacien d'officine était de nature délictuelle. Ainsi, le CODEX de 1937 se référait aux articles 1382 et suivant du code civil dans sa partie consacrée aux lois et règlements intéressant la pharmacie. De même, la loi du 8 Juillet 1948 sur les sociétés à responsabilité limitée pour l'exploitation d'une officine insérée dans l'article L 575 alinéa 3 CSP n'envisageait que la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle des gérants. Certains auteurs n'envisageaient également que la responsabilité délictuelle des pharmaciens. C'est le cas de Planiol et Ripert dans leur traité de droit civil( 63) qui assimilaient les pharmaciens aux officiers ministériels et qui considéraient dans tous les cas leur responsabilité quasi délictuelle même en présence d'un contrat.
Ils considéraient, en effet, que le monopole et les diverses
obligations légales qui pesaient sur le pharmacien faisaient
" sortir le contrat de son rôle normal " car le
client ne peut s'adresser qu'à une catégorie de
personnes en particulier et que celle-ci ne peut refuser de dispenser
les médicaments.
Cependant, n'existe-t-il pas un contrat entre le pharmacien qui délivre le médicament et le malade, acheteur du produit ? En effet, en se rendant dans une pharmacie et en demandant l'exécution d'une ordonnance ou un médicament en particulier, le malade exprime sa volonté de conclure un contrat de vente. Lorsque le pharmacien décide d'exécuter l'ordonnance ou de satisfaire la demande de son client, il y a acceptation de l'offre de celui-ci. Ainsi, il y a une rencontre des volontés de chaque partie. De plus, le pharmacien est un commerçant. Il effectue des actes de commerce et en fait sa profession, agissant en son nom et pour son compte. Elles sont donc liées par un contrat qui est un contrat de vente. Le non respect des obligations nées de ce contrat entraînera une responsabilité contractuelle en application des articles 1641 et s. et des articles 1147 et s. du Code Civil. En revanche, le pharmacien peut voir sa responsabilité engagée s'il exécute mal ses obligations et ce sera sur le fondement contractuel. Depuis quelques années certains auteurs reconnaissent que la responsabilité du pharmacien d'officine a un caractère contractuel. C'est le cas de Monsieur Métadier : " la responsabilité contractuelle : c'est celle encourue par le pharmacien vis à vis du client, c'est à dire de celui qui a acheté un médicament "( 64). La jurisprudence admet également la nature contractuelle de la responsabilité du pharmacien : " attendu que la responsabilité civile des pharmaciens laquelle est d'ordre contractuel, est engagée (...)"( 65).
Un problème apparaît, cependant, lorsque la personne qui achète les médicaments n'est pas celle qui les utilise. Peut on considérer néanmoins qu'il existe un contrat entre l'utilisateur et le pharmacien? Il semble que oui. En effet, on peut facilement admettre que la personne qui achète les médicaments le fait pour le compte de l'utilisateur qui n'est pas en mesure de se déplacer. Ces personnes sont donc liées par un contrat de mandat. L'utilisateur des produits est le mandant et l'acheteur le mandataire. L'achat des médicaments est fait au nom et pour le compte de l'utilisateur. Dans la plupart des cas le mandat est tacite. Le pharmacien et le malade sont liés par un contrat de vente de médicaments et en cas de dommage pour l'utilisateur, c'est la responsabilité contractuelle du pharmacien qui sera engagée.
De même, on peut invoquer la stipulation pour autrui prévue
par l'article 1121 Code Civil. C'est un contrat par lequel une
personne (le stipulant) obtient d'une autre personne (le promettant)
qu'elle exécute une prestation au profit d'une troisième
appelée tiers bénéficiaire. C'est le cas
du père de famille qui achète des médicaments
destinés à son enfant malade. Le stipulant est le
père de famille, le promettant le pharmacien et le tiers
bénéficiaire l'enfant. Les conditions de la stipulation
pour autrui sont au nombre de trois. Le stipulant doit avoir un
intérêt. La jurisprudence a interprété
de façon large cette notion d'intérêt et un
intérêt moral suffit. En l'espèce c'est la
guérison de l'enfant. Le tiers bénéficiaire
doit être déterminé ou déterminable
au plus tard au moment de l'exécution du contrat. Ici,
le bénéficiaire de la stipulation est l'enfant malade.
Enfin, le contrat conclu entre le promettant et le stipulant doit
être valable. Dans le cas présent, ce contrat est
un contrat de vente qui est a priori valable. La relation existante
entre le promettant et le bénéficiaire est une relation
contractuelle. Donc si les médicaments causent un dommage
à l'enfant, l'action contre le pharmacien sera une action
en responsabilité contractuelle. La nature de la responsabilité
du pharmacien étant déterminée, il convient
d'examiner sa mise en oeuvre.
Trois conditions sont à réunir pour mettre en oeuvre la responsabilité du pharmacien d'officine : la faute, le préjudice, et le lien de causalité. La faute du pharmacien consiste en une mauvaise exécution de ses obligations. Il faut connaître cependant quelle est l'intensité de ces obligations afin de déterminer sur qui pèse la charge de la preuve et la gravité de la faute du pharmacien. Le pharmacien sera tenu selon le cas d'une obligations de moyen ou de résultat. S'il est soumis à une obligation de résultat, il devra atteindre le résultat prévu au contrat et si celui n'est pas atteint il devra prouver qu'il n'a commis aucune faute. Par contre, s'il est tenu d'une obligation de moyens, c'est à la victime de faire la preuve de la faute du pharmacien et celui ci doit faire tout son possible pour obtenir le résultat recherché.
Une des obligations principales de celui-ci est de fournir un médicament conforme à la formule indiquée c'est à dire fournir le produit prescrit par le médecin figurant sur l'ordonnance à exécuter. Il ne fait aucun doute que cette obligation est une obligation de résultat. La seule preuve apportée par l'utilisateur que le préjudice résulte du fait que le médicament délivré par le pharmacien d'officine est différent de celui prescrit fait présumer la faute de celui-ci.
A coté de cette obligation de résultat, il existe à la charge du pharmacien d'officine des obligations de moyen. En effet, il est soumis à des obligations de prudence et de diligence. Il doit par exemple vérifier l'authenticité de l'ordonnance, la régularité technique de celle-ci et conseiller l'utilisateur des médicaments.
La faute du pharmacien doit causer un préjudice à l'utilisateur du médicament. A défaut de préjudice, la responsabilité ne pourra pas être engagée. Les caractères de ce préjudice sont les mêmes que pour le préjudice causé par une faute du médecin vis à vis de son patient. La faute et le préjudice doivent être liés par un lien de causalité. Toutefois, le pharmacien peut être exonéré partiellement ou totalement s'il prouve une force majeure, un cas fortuit ou la faute de la victime, du médecin ou du fabricant. Le plus souvent, on aboutira à un partage de responsabilité. Ils sont responsables in solidum par rapport à la victime. Ainsi la cour d'appel de Paris( 66) a partagé la responsabilité entre une pharmacienne (70%), un médecin (20%), et une infirmière (10%). En l'espèce, le médecin avait commis une erreur quant à la durée du traitement et la pharmacienne qui doit vérifier techniquement les ordonnances et en cas de doute prévenir le médecin s'était fiée aux indications de la cliente et avait délivré le médicament malgré l'erreur. La responsabilité du pharmacien est engagée lorsqu'il exécute pas ou mal ses obligations.
A coté
de ses obligations spécifiques issues de sa profession
(section I), le pharmacien est soumis également aux obligations
du vendeur (section II).
Section
I Les obligations spécifiques du pharmacien
Pour
disposer de médicaments, le pharmacien peut les acheter
soit au fabricant directement ou à son dépositaire,
soit à l'établissement de répartition pharmaceutique.
Le stock du pharmacien est composé essentiellement de spécialités
pharmaceutiques mais aussi de produits dont il pourrait avoir
besoin pour exécuter une préparation magistrale
ou officinale. La conservation de ces produits obéit à
des règles particulières (§1). Le pharmacien
par la suite va délivrer ces produits en exécution
d'une ordonnance qu'il doit vérifier (§2). Le pharmacien
participe à la pharmacovigilance(§3).
§1
La conservation des médicaments
Le pharmacien
est responsable de la bonne conservation des médicaments.
En ce qui concerne les spécialités, il doit respecter
les consignes précisées par le fabricant. Par exemple,
il doit maintenir un vaccin contre la poliomyélite à
la température indiquée par le fabricant. Le pharmacien
doit également s'assurer que les produits qu'il délivre
ne sont pas périmés. L'article R 5143 1° e)
indique que la date limite d'utilisation doit être indiquée
clairement et le cas échéant accompagnée
d'une mention " précisant que cette date n'est valable
que pour les médicaments dont le conditionnement n'a pas
été ouvert et qui sont conservés dans des
conditions convenables ". Le pharmacien doit donc assurer
une rotation de son stock et surveiller les dates de péremption
des produits. Il faut rappeler que la perte commerciale résultant
de l'arrivée d'un produit à péremption est
supporté par celui qui détient le produit à
cette date. Il faut indiquer cependant que le temps qui s'écoule
entre la date de fabrication et la date maximum d'utilisation
est assez important. S'il ne respecte pas les indications données
par le fabricant quant aux conditions de conservation du produit
ou qu'il délivre un produit périmé, il verra
sa responsabilité engagée. En ce qui concerne les
substances qu'il utilise pour fabriquer à la demande des
préparations magistrales ou officinales, en plus des règles
énoncées ci dessus, d'autres sont à respecter.
En effet, le code de la santé publique prévoit des
modalités spécifiques de stockage pour les substances
vénéneuses( 67).
La responsabilité du pharmacien sera le plus souvent engagée
à l'occasion du contrôle de l'ordonnance.
§2
La vérification de l'ordonnance
Nous avons vu qu'une ordonnance devait comporter différentes mentions : le nom du produit, la quantité, la posologie ... Avant de délivrer les médicaments, le pharmacien doit effectuer un certain nombre de vérifications. En premier lieu, il doit vérifier l'authenticité de l'ordonnance. Celle-ci doit être datée et signée par un praticien qualifié et il doit s'agir de l'original. Un pharmacien ne peut pas délivrer des médicaments sur la présentation d'une photocopie d'ordonnance. On entend par praticien qualifié, celui qui peut exercer parce qu'il a obtenu le diplôme nécessaire, qui ne fait pas l'objet d'une suspension par l'Ordre des médecins et qui n'est pas à la retraite. Pour s'assurer de la qualité du médecin, le pharmacien pourra essayer de le joindre ou se renseigner à l'Ordre des médecins s'il a des doutes. De plus, l'Ordre des médecins détient une liste des carnets de bons toxiques perdus ou volés. Le pharmacien qui relève ces anomalies sera responsable professionnellement et civilement si sa négligence entraîne un préjudice pour la personne qui lui a présenté l'ordonnance. Ainsi, le Conseil d'Etat( 68) a rejeté la requête d'une pharmacienne contre une décision de l'Ordre des Pharmaciens qui l'avait interdit de servir des prestations aux assurés sociaux pendant huit jours. En l'espèce, elle avait exécuté soixante trois ordonnances non revêtues de la signature d'un médecin. Il ne fait aucun doute que cette négligence constitue une faute sur le plan civil et sa responsabilité contractuelle aurait été engagée si les utilisateurs des médicaments avaient subis un dommage.
En deuxième lieu, le pharmacien doit s'assurer que le prescripteur était habilité à établir la prescription. S'il n'opère pas cette vérification sa responsabilité disciplinaire pourra être engagée. Les médecins et les vétérinaires connaissent une liberté de prescription complète. Cependant, il existe des produits dont l'usage est réservé aux professionnels ou est interdit comme certains stupéfiants. C'est le cas par exemple du khat dont la production, la mise sur le marché, l'emploi, l'usage et les préparations le contenant sont interdites (Art R 5180 CSP) ou du cannabis (Art R 5181 CSP). De plus, l'article L 626 alinéa 2 et 3 CSP issu de la loi du 7 Juillet 1980 dite loi Talon autorise le pouvoir réglementaire à interdire l'utilisation de substances vénéneuses. Dans ces derniers cas, le plus souvent, il y a cession illicite de stupéfiants qui constitue une infraction pénale et le pharmacien verra sa responsabilité pénale engagée. Ainsi ont été condamné pénalement des pharmaciens et des préparateurs ayant fourni des substances du tableau B (c'est à dire stupéfiants) à des coureurs cyclistes qui les ont utilisés aux fins de dopage( 69).La loi du 28 Juin 1989 dans son article 1 met en garde les sportifs contre l'usage de produits susceptibles de modifier artificiellement les capacités lors des compétitions et les médecins contre les prescriptions de tels produits. Cet article 1 ne met pas en cause le pharmacien. Cependant un avis aux fabricants de spécialités( 70) leur conseille de mettre en garde les sportifs sur l'utilisation de produits pouvant réagir aux tests de dopage. L'article 14 de cette loi permet d'engager la responsabilité pénale du pharmacien. En effet, il dispose dans son premier alinéa que " sera puni d'un emprisonnement de dix ans et d'une amende de 500 000 F, ou de l'une de ces deux peines seulement quiconque aura facilité l'usage ou incité à l'utilisation de substances visées à l'article L 627 CSP ou administré de telles substances ". Le pharmacien qui fournit de telles substances en facilite l'usage. On peut regretter qu'il n'existe pas de dispositions spécifiques pour le pharmacien comme pour le médecin. Il faut rappeler que la sage femme et le chirurgien dentiste sont limités dans leur droit de prescription.
En troisième lieu, le pharmacien doit vérifier la régularité technique de la prescription et notamment de la posologie afin de déceler le cas échéant des erreurs du médecin comme une contre indication ou des posologies inadéquates. Ceci pour éviter de tragiques conséquences comme celles provoquées par la confusion entre deux abréviations( 71). Le pharmacien doit demander si le médicament est destiné à un enfant ou à adulte. Dans le premier cas, il doit également demander l'âge de l'enfant pour vérifier si le médecin n'a pas dépassé la posologie usuelle. En cas de doute ou d'erreur, le pharmacien doit avertir le médecin. Celui-ci peut alors soit modifier sa prescription s'il y a eu erreur, soit la maintenir. Dans ce dernier cas, le pharmacien peut refuser d'exécuter l'ordonnance s'il l'estime nécessaire. Il assume alors la responsabilité de ce refus. Les tribunaux sont très exigeants à l'égard du pharmacien. Ils lui demandent en effet de déceler une éventuelle confusion entre deux médicaments différents c'est à dire de vérifier l'opportunité de la prescription( 72) . Le contrôle du pharmacien ne se limite donc pas à la simple consultation des tableaux de posologie notamment s'il s'agit d'un médicament jamais utilisé pour un jeune enfant et qui est susceptible d'être dangereux pour l'enfant. Ainsi le TGI de Blois( 73) a retenu la responsabilité d'un pharmacien qui face à une prescription inhabituelle ne s'est pas adressé au médecin pour avoir confirmation. En l'espèce, un médecin avait prescrit une capsule d'Indocid (anti-inflammatoire) matin et soir dans les biberons. Il voulait en fait prescrire un anabolisant : Indusil. Le nourrisson est mort après avoir absorber le médicament. La contre indication pour les nourrissons ne figurait ni sur les tableaux de posologie, ni sur le prospectus, ni sur le dictionnaire Vidal. Les juges ont estimé que le pharmacien aurait dû s'étonner de cette prescription et demander confirmation au prescripteur.
Cependant, le pharmacien doit faire une exécution fidèle de la prescription. L'article R 5015-45 CSP dispose que " les pharmacien ne peuvent modifier une prescription qu'avec l'accord exprès et préalable de son auteur ". Cette modification intervient lorsque le pharmacien remarque une anomalie dans la prescription. Dans un arrêt du 29 Juillet 1994( 74), le Conseil d'Etat énonce que " cette règle ne saurait dispenser un pharmacien de rechercher un tel accord lorsque la prescription qui lui est demandée d'exécuter présente manifestement un caractère dangereux, ni l'exonérer de sa responsabilité ". Donc, si le médecin refuse de modifier son ordonnance ou ne répond pas au pharmacien, celui-ci devra refuser de délivrer le médicament. Il ne peut pas se fier aux dires de la personne bénéficiaire de l'ordonnance. La Cour d'appel de Paris( 75) a condamné une pharmacienne qui face à une ordonnance mal rédigée, s'est fiée aux déclarations de la patiente et n'a pas averti le médecin. Si l'ordonnance ne comporte pas toutes les indications nécessaires, le pharmacien ne peut l'exécuter.
Le
refus de vente du pharmacien est-il condamnable au regard du Droit
de la concurrence ? Un pharmacien a été poursuivi
pour refus de vente de contraceptifs prescrits sur des ordonnances
qui n'étaient pas correctement rédigées( 76).
Il a été condamné en première instance.
La Cour d'appel de Besançon a maintenu la condamnation.
Il forme un pourvoi en cassation en invoquant l'irrégularité
des ordonnances. La chambre criminelle de la Cour de Cassation
a accueilli son pourvoi et le dossier fut renvoyé devant
la cour d'appel de Dijon. Celle-ci condamna à son tour
le pharmacien. Un nouveau pourvoi fut formé devant la chambre
criminelle. Elle cassa le 16 Octobre 1979 la décision de
la cour d'appel : " les énonciations de l'arrêt
attaqué ne permettaient pas de dire si les prescriptions
de l'article R 5185 CSP (aujourd'hui Art R 5194 CSP) relatives
à la rédaction des ordonnances de produits relevant
du tableau A (liste I) avaient, ou non, été respectées
". L'affaire fut renvoyé devant la cour d'appel de
Lyon qui par un arrêt du 8 Mai 1980 donna raison au pharmacien.
La cour relève qu'une ordonnance est rédigée
sur un papier à l'entête de trois médecins
sans que l'on puisse déterminer quel était le prescripteur.
De plus la prescription " Minidril, 1 cpé du 5ème
au 25ème j 3 mois " n'est pas conforme à
l'article R 5185 CSP. La prescription de l'autre ordonnance était
encore plus sommaire : " Boîte de 3 plaquettes de
Minidril, qs 6 mois " et donc pas conforme à
l'article R 5185 CSP. En effet, la posologie fait défaut
et le nombre d'unités thérapeutiques n'est pas mentionnées
en toutes lettres. La cour de Lyon a prononcé la relaxe
du pharmacien : " en ne pas satisfaisant dans de telles conditions
à des demandes de vente de produits soumis à une
réglementation légale spéciale non respectée
en l'espèce (...) n'a pas contrevenu aux dispositions de
l'article 37-1 de l'ordonnance du 30 Juin 1945 ". Donc, le
pharmacien qui refuse d'exécuter une ordonnance parce qu'elle
présente un caractère dangereux ou parce qu'elle
ne respecte pas l'article R 5194 CSP ne peut être condamné
sur le fondement de l'article 36 de l'ordonnance de 1986 (avant
art 37-1 ord. 1945) pour refus de vente. Le pharmacien est un
acteur privilégié de la pharmacovigilance.
§3 La pharmacovigilance
Un
décret du 24 Mai 1984 a introduit dans le code de la santé
publique aux articles R 5144-1 à R 5144-11 la pharmacovigilance.
Une commission nationale de la pharmacovigilance est mise en place
et sa mission est de surveiller les médicaments mis sur
le marché afin de détecter des effets inattendus,
de donner un avis au ministre chargé de la santé
sur des mesures à prendre lorsqu'un incident s'est produit
et de lui proposer des enquêtes et travaux. Cette commission
fait partie avec l'Agence du médicament, les centres régionaux
de pharmacovigilance ainsi que les membres des professions de
santé du système de pharmacovigilance (Art R 5144-5
CSP)( 77). Avant, seuls
les médecins, chirurgiens dentistes ou sages femmes et
le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché devaient
déclarer obligatoirement tout effet inattendu ou toxique
susceptible d'être dû à un médicament.
Le pharmacien qui avant le décret du 13 Mars 1995 n'avait
pas d'obligation légale de déclarer de telles informations
doit maintenant s'il a connaissance d'un effet indésirable
grave ou inattendu susceptible d'être dû à
un médicament ou produit mentionné à l'article
R 5144-1 CSP qu'il a délivré le déclarer
aussitôt au centre régional de pharmacovigilance.
L'obligation morale du pharmacien s'est transformée en
une obligation légale qui sera sanctionnée par l'Ordre
des pharmaciens. Ces informations vont le plus souvent concerner
des produits accessibles sans ordonnance. Il faut remarquer que
le pharmacien d'officine a bien souvent plus de contact avec les
malades qui vont lui demander conseil s'ils ont un problème.
Il nous semble que le pharmacien soit un acteur important de la
pharmacovigilance. A coté de ces obligations spécifiques
découlant de sa profession, le pharmacien est soumis aux
différentes obligations du vendeur.
Section
II Les obligations du vendeur
L'article
1603 c. civ. met à la charge du vendeur deux obligations
principales : délivrer et garantir la chose qu'il vend.
La jurisprudence ajoute à ces obligations légales
une obligation de renseignement et de conseil et une obligation
de sécurité.
§1
L'obligation de conseil, de renseignement
L'obligation de renseignement impose au vendeur d'informer son acheteur et l'obligation de conseil impose au vendeur de prendre en compte les intérêts de l'acheteur pour le guider dans son choix. En ce qui concerne le pharmacien celui-ci va être tenu de la première dans tous les cas et de la seconde en cas de vente sans ordonnance. Ces obligations ont une source légale et jurisprudentielle. En effet, ces obligations sont destinées à protéger le consommateur comme l'indique l'article L 111-1 du code de la consommation issu de la loi du 18 Janvier 1992. Ce texte impose au vendeur professionnel d'informer l'acheteur sur les caractéristiques du bien acheté avant la conclusion de la vente. La jurisprudence impose également ces obligations dans le droit de la vente.
Pour le pharmacien, l'obligation de renseignement se retrouve à la fois dans la vente avec ordonnance et dans la vente sans ordonnance. En effet, il doit accompagner la délivrance des médicaments de tous les renseignements nécessaires à l'utilisation de ceux ci. Il doit par exemple attirer leur attention sur le fait que le produit doit être pris avant les repas, la nécessité de le diluer...Cependant, il existe une limite à cette obligation de renseignement. L'article R 5015-46 dispose que les pharmaciens " doivent répondre avec circonspection aux demandes faites par les malades (...) pour connaître la nature de la maladie traitée ou la valeur des moyens curatifs prescrits ou appliqués ". Le pharmacien engagera sa responsabilité s'il omet d'expliquer au consommateur les conditions d'utilisation du médicament.
L'obligation
de conseil apparaît lors de la vente sans ordonnance. Dans
ce cas, il va soit délivrer un produit ou un objet désigné
expressément par le client, soit choisir lui même
le produit qu'il va vendre au consommateur en réponse à
sa demande. Parfois, il sera amené à corriger le
choix du client. Le problème se pose de savoir si le pharmacien
dans le cas où il choisit ou corrige le choix du consommateur
n'exerce pas illégalement la médecine ? En premier
lieu, l'article R 5015-47 CSP interdit au pharmacien de formuler
un diagnostic. Le pharmacien ne peut pas conseiller son client
sans lui poser un minimum de questions sur son affection. Cet
article ne semble pas s'appliquer à la vente sans ordonnance.
En effet, il dispose " ils doivent s'abstenir de formuler
un diagnostic ou un pronostic sur la maladie au traitement de
laquelle ils sont appelés à collaborer ". Le
fait d'être appelé à collaborer implique la
présence d'un autre professionnel : le médecin qui
a rédigé l'ordonnance. Cet article ne limite pas
l'obligation de conseil du pharmacien mais son obligation de renseignement.
En deuxième lieu, l'article L 372 CSP définit le
délit d'exercice illégal de la médecine :
" exerce illégalement la médecine : 1°
toute personne qui prend part habituellement ou par direction
suivie, même en présence d'un médecin ; à
l'établissement d'un diagnostic ou au traitement de maladie
... ". Il semble d'après ce texte que le pharmacien
en conseillant un traitement à une personne, exerce illégalement
la médecine. Cependant, la doctrine et la jurisprudence
considèrent que l'activité de conseil du pharmacien
d'officine ne constitue pas un exercice illégal de la médecine,
à condition qu'il conseille au client la consultation d'un
médecin dès que son affection dépasse les
limites d'une automédicamentation courante et qu'il évite
de suivre l'évolution de la maladie. Cette obligation de
conseil du pharmacien va prendre de plus en plus d'ampleur avec
les nombreux délistages (rendre accessible sans ordonnance
des molécules nécessitant jusqu'alors une prescription
médicale) en cours de spécialités efficaces.
Les médecins ont protesté en rappelant les différent
effets secondaires des médicaments delistés. Mais
l'Agence du médicaments répond à ces critiques
en affirmant qu'elle ne déliste que " si le traitement
est court, le maniement simple, la situation traitée bénigne
et si le système de pharmacovigilance n'a pas identifié
de problèmes majeurs ". Dans cette situation le rôle
du pharmacien devient primordial pour rappeler à son client
que la consultation d'un médecin est peut être nécessaire
et que le traitement doit être court et pour avertir le
Centre régional de pharmacovigilance s'il remarque des
effets anormaux de médicaments.
§2
L'obligation de délivrance
Selon l'article 1604 c. civ. " la délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et la possession de l'acheteur ". Le pharmacien va délivrer les médicaments à son client soit en fonction de l'ordonnance, soit en fonction de la demande de la personne. La chose livrée, en l'espèce le médicament, doit être conforme à celle convenue entre les parties. Il y a défaut de conformité lorsque la chose livrée n'est pas exactement la même que celle commandée. En matière pharmaceutique, il y a défaut de conformité lorsque le pharmacien remet à son client un produit qui n'est pas conforme à celui demandé. Ne respecte pas son contrat le pharmacien qui délivre du Cetavlon solution concentrée à la place du Cetavlon en solution alcoolique( 78). De même engage sa responsabilité contractuelle le pharmacien qui délivre du sérum hypertonique à la place d'un sérum physiologique( 79).
Doit on exiger du client la vérification des produits délivrés par le pharmacien ? Lorsqu'il achète des médicaments sans ordonnance en suivant le conseil du pharmacien, il accepte la proposition de celui ci et il semble difficile pour le client d'opérer un contrôle. Par contre lorsque la délivrance a lieu lors de l'exécution d'une ordonnance, on peut exiger de la part de l'acheteur un contrôle qui ne sera pas un contrôle approfondi. En effet, le médecin doit expliquer le traitement à son patient et notamment les conditions d'usage (voie orale, rectale, à diluer...). Le premier contrôle à effectuer par le patient est celui de la dénomination du produit. Il suffit de comparer cette dernière avec la prescription. Il faut remarquer que lorsque les pharmaciens auront la possibilité de remplacer le médicament prescrit par un générique( 80), le client ne pourra plus vérifier la dénomination de celui-ci. Ainsi, si le pharmacien commet une erreur, il ne pourra pas invoquer le manque de contrôle du client et verra sa responsabilité engagée pour défaut de conformité du produit délivré avec celui demandé. Ensuite, le client va vérifier la forme du médicament et le mode d'administration. Ce contrôle doit il être plus approfondi ? On peut exiger de la personne qu'elle lise la notice et notamment les différents avertissements figurant sur les emballages comme par exemple " réserver aux adultes, à diluer ". Si l'utilisateur s'aperçoit que le médicament est destiné aux adultes et qu'il a été prescrit pour un enfant, il est probable qu'une erreur se soit produite dans l'exécution de l'ordonnance et que le produit ne soit pas conforme. Dans l'affaire du 20 Juin 1963, une fillette avait une éruption de varicelle et l'ordonnance du médecin portait la mention suivante : " si des éléments sont écorchés, mettre Cetavlon liquide (solution alcoolique) " La pharmacienne a délivré un flacon de Cetavlon solution concentré et les parents ont appliqué directement et sur tout le corps ce produit qui a provoqué une brûlure chimique sur tout le corps de l'enfant. Le tribunal a reproché aux parents de ne pas s'être conformés aux indications impératives portées sur les étiquettes des médicaments : "à diluer avant usage, ne s'utilise jamais pur, pour la désinfection des plaies se servir de la solution à 1% préparée à partir du concentré ". Il semble donc que le consommateur du médicament doit opérer un contrôle de celui ci lorsqu'il le reçoit. Cependant, il faut que les indications sur le produit ne prêtent pas à confusion. Ainsi dans l'affaire jugée par le tribunal de Clermont Ferrand, le contrôle n'était pas possible car les indications figurant sur la boite étaient confuses. Le médecin avait prescrit un sérum physiologique qui est constitué par une solution chlorurée à huit pour mille. Le pharmacien délivra du sérum hypertonique d'une teneur en chlorure de sodium de 20%. L'indication du contenu inscrite directement sur l'emballage du produit prêtait à confusion car il était inscrit simultanément sérum physiologique et sérum hypertonique. Donc l'erreur ne pouvait pas être décelée par l'acheteur. Pour que le contrôle soit possible, il faut également que le produit se prête à celui ci. Ainsi une préparation magistrale ne pourra pas être vérifiée par l'utilisateur. Il y a aussi défaut de conformité lorsque le pharmacien délivre un produit périmé. La première Chambre civile dans deux arrêts du 3 Mai et du 27 Octobre 1993 énonce que l'on entend par conformité, conformité de la chose aux spécifications convenues par les parties. C'est le cas pour le médicament périmé qui ne correspond absolument pas au bien auquel le consommateur pensait recevoir c'est un médicament dont le principe actif n'est pas altéré. Cette solution s'applique lorsque le médicament délivré est périmé au jour de la délivrance. Qu'en est-il du médicament non périmé le jour de la délivrance mais qui le devient quelque jour après l'achat en cours de traitement. La date de péremption figure obligatoirement sur la boite. Le consommateur peut la vérifier et cela doit faire partie de l'examen sommaire qu'il fait du médicament avant de l'utiliser. Si la date de péremption expire quelques jours après le début de l'utilisation, il doit le signaler au pharmacien afin d'obtenir un produit conforme à celui prescrit c'est à dire dont l'efficacité n'est pas altérée.
L'article
1610 c. civ. prévoit comme sanction du vendeur la résolution
de la vente ou l'exécution forcée et l'article 1611
c. civ. prévoit l'attribution de dommage et intérêt.
Dans le cas du pharmacien, seuls des dommages et intérêts
sont concevables. Le défaut de conformité du médicament
est constaté le plus souvent lors du début du traitement
et la prise de médicaments non conforme à la prescription
du médecin a pour conséquences dans la plus part
des cas l'aggravation de l'état du patient et peut parfois
entraîner son décès. Si le client s'est aperçu
de l'erreur du pharmacien avant la prise du médicament,
il pourra lui demander l'échange du produit. Le code civil
met à la charge du vendeur une autre obligation légale
: la garantie de la chose vendue.
§3
La garantie de la chose vendue
L'article 1625 c. civ. prévoit que " la garantie que le vendeur doit à l'acquéreur a deux objets: le premier est la possession paisible de la chose vendue ; le second, les défauts cachés de cette chose ou les vices rédhibitoires ". En l'espèce, nous envisagerons seulement la garantie des vices cachés car il est peu probable que l'acheteur de médicament subisse des troubles de possession par un tiers ou par le pharmacien. Quatre conditions doivent être réunies pour que la garantie soit retenue. Premièrement, il est nécessaire qu'il y ait un défaut. Le plus souvent, ce défaut sera démontré par une expertise. Deuxièmement, le défaut doit atteindre un certain degré de gravité c'est à dire compromettre gravement l'utilité de la chose. En matière de médicament, c'est le cas lorsque l'utilisation du médicament aggrave l'état du patient par exemple. Troisièmement, le vice doit être occulte c'est à dire que l'acheteur ne doit pas en avoir connaissance lors de l'achat et que le contrôle qu'il a opéré ne lui ait pas permis de le découvrir. La jurisprudence a posé une condition supplémentaire qui est l'antériorité du vice( 81). Celui-ci doit exister au moins en germe au moment de la vente. C'est à l'acheteur de faire cette preuve. Le plus souvent elle sera faite grâce à l'expertise. Le pharmacien pourra toujours invoquer la faute de l'acheteur en essayant de démontrer que ce dernier a mal conservé le médicament, ou qu'il n'a pas respecté les conditions de mise en service du produit. Dans ce cas, seule une expertise va permettre de déterminer si le vice était antérieur à la vente. L'interaction entre deux médicaments constitue-t-elle un vice caché? La Cour de cassation, le 8 Avril 1986 dans l'affaire Thorens a énoncé que " le vice caché étant nécessairement inhérent à la chose elle même, ne peut résulter de l'association de deux médicaments ". Ainsi, seule la spécialité viciée individuellement peut justifier l'action en garantie des vices. Il faut exclure de cette garantie tous les effets secondaires provoqués par la réceptivité du patient et la structure du médicament. La garantie des vices peut être utilisée lorsque les spécialités en cause ont été présentées comme pouvant être associées par le fabricant. Le vice caché disparaît lorsque le fabricant a averti les prescripteurs des effets indésirables du produit grâce par exemple au dictionnaire Vidal ou à la notice de la spécialité.
Lorsque ces conditions sont réunies l'acheteur peut mettre en oeuvre la garantie. L'article 1644 c. civ. reconnaît à l'acheteur une option entre l'action rédhibitoire c'est à dire la résolution de la vente et l'action estimatoire c'est à dire action en réduction du prix. Les articles 1645 et 1646 c. civ. font la différence entre le vendeur de bonne foi et celui de mauvaise foi. Ce dernier devra des dommages et intérêts à l'acheteur. La jurisprudence présume le vendeur professionnel de mauvaise foi( 82). En raison de sa compétence, il est censé connaître les vices de la chose qu'il vend. Le pharmacien est-il un vendeur professionnel ? Plusieurs constatations permettent d'établir que le pharmacien est un vendeur professionnel. Les professionnels sont " des personnes physiques ou morales, publiques ou privées, qui offrent des biens et des services dans l'exercice d'une activité habituelle "( 83). Le pharmacien vend des médicaments à titre habituel. De plus pour exercer la profession de pharmacien, il faut remplir les conditions prévues à l'article L 514 CSP. Le pharmacien d'officine et le pharmacien fabricant possèdent le même diplôme. Cependant, le pharmacien fabricant doit justifier d'une expérience d'un an en matière d'analyse qualitative (Art R 5107-1 CSP). Malgré cette condition supplémentaire, il semble que le pharmacien d'officine soit un vendeur professionnel de médicaments. Cette solution est corroborer par le fait qu'il dispose d'un monopole qui interdit à toute autre personne de vendre des médicaments. Ce monopole traduit la nécessité d'être en présence d'un vendeur professionnel : le pharmacien. Donc, il est présumé connaître les vices des médicaments qu'il vend. Il est donc responsable du contenu des spécialités qu'il vend. Si celui-ci ne correspond pas à la formule déposée à l'Agence du médicament ou à la pharmacopée, la spécialité est viciée et le pharmacien est responsable de ce vice. Aucune disposition du code de la santé publique n'oblige le pharmacien à vérifier le contenu de la spécialité qu'il vend contrairement au système belge où les pharmaciens d'officine ont créé un laboratoire corporatif qui réalise le contrôle du contenu de la spécialité pour le compte de tous.
Le
délai de l'action en garantie est prévu par l'article
1648 c civ. Elle doit être intentée dans un bref
délai. Le pharmacien condamné pourra se retourner
contre le fabricant du médicament. Rappelons que le consommateur
peut agir directement contre le fabricant( 84)
(voir deuxième partie). De même le pharmacien d'officine
sera responsable des vices des matières premières
dont il se sert pour préparer les produits officinaux et
les préparations magistrales. L'article L 569 alinéa
3 CSP dispose que " les pharmaciens doivent dispenser dans
leur officine les drogues simples, les produits chimiques et les
préparations décrites par la pharmacopée.
Les substances ainsi dispensées doivent répondre
aux spécifications de ladite pharmacopée "( 85).
Ainsi, le pharmacien est responsable du contenu de ses matières
premières et des produits officinaux et cette responsabilité
est spécifiquement prévue par le code de la santé
publique. Il existe une différence de régime de
responsabilité entre les spécialités et les
matières premières permettant la fabrication des
produits officinaux. Cette différence peut s'expliquer
par le fait que les spécialités sont soumises à
un contrôle par le fabricant. Cependant étendre le
régime de responsabilité des matières premières
aux spécialités permettrait de renforcer la sécurité
du consommateur. Le vendeur est tenu également d'une obligation
de sécurité.
§4
L'obligation de sécurité
L'obligation de sécurité est destinée à protéger la vie et l'intégrité corporelle d'un contractant. Elle est apparue en 1911 à propos des contrats de transport puis elle s'est étendue à de nombreux contrats. On la trouve dans tous les contrats où la sécurité de la personne doit être assurée par le cocontractant et notamment dans le contrat de vente. La Cour de cassation a conféré à l'obligation de sécurité dans les contrats de vente une autonomie par rapport à la garantie des vices cachés. Dès le 20 Mars 1989( 86), la Cour de cassation se référait à l'obligation du vendeur " de livrer des produits exempts de tout vice ou de tout défaut de fabrication de nature à créer des dangers pour les personnes ou pour les biens ". Le champ d'application de l'obligation de sécurité fut étendue par un arrêt du 17 Janvier 1995( 87). En effet, la première Chambre civile énonce que " le vendeur professionnel est tenu de livrer des produits exempts de tout vice ou de tout défaut de fabrication de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens ; il en est responsable tant à l'égard des tiers que de son acquéreur ". Ainsi les tiers peuvent invoquer l'obligation de sécurité du vendeur mais dans ce cas la responsabilité de celui-ci sera délictuelle. L'action en responsabilité contractuelle exercée contre le vendeur en cas de manquement à son obligation de sécurité échappe au bref délai de l'action en garantie des vices prévu par l'article 1648 du code civil. Elle se transmet avec la chose comme un de ses accessoires. L'obligation de sécurité du vendeur est une obligation de moyen voire une obligation de moyen renforcée.
L'obligation
de sécurité a également une origine légale.
En effet, l'article L 221-1 du code de la consommation impose
une obligation légale et générale de sécurité.
Cet article est issu de la loi du 21 Juillet 1983. Il n'est cependant
pas applicable au pharmacien car l'article 8 de cette même
loi exclut de son champ d'application les produits soumis à
des textes spécifiques . Ce qui est le cas pour le médicament.
L'obligation de sécurité du pharmacien reste donc
une obligation jurisprudentielle et elle ne deviendra une obligation
légale que lorsque la directive du 25 Juillet 1985 sur
la responsabilité du fait des produits défectueux
sera transposée en droit français.
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