Année 1980


REFLEXIONS POUR L'AVENIR


Evolution sociale et administration :
indifférence ou difficultés d'adaptation ?


L'Administration rencontre des difficultés pour assumer de manière satisfaisante ses responsabilités, le fait est aussi indéniable que son corollaire, à savoir que l'Administré ne trouve pas en elle l'allié compréhensive dont il a besoin.

Face à une situation qui les met l'une et l'autre constamment dans l'obligation de surmonter des obstacles juridiques dressés par les textes, il pourrait, en effet, exister une véritable coalition des intérêts. La question est de savoir si le dialogue est bien engagé pour parvenir à cette complicité ; le Médiateur est mieux placé que quiconque pour se la poser.

La masse des dossiers qui débouchent sur un refus de l'Administration ou sur un interminable chassé-croisé d'arguments témoigne que la confrontation féconde constitue l'exception et conduit à s'interroger sur les raisons de cette regrettable discordance.

Elles apparaissent multiples, parfois contradictoires. Les rapports du Médiateur les mettent régulièrement en valeur et si des progrès sont chaque année constatés, pour des causes nouvelles, des aggravations sont aussi enregistrées, de telle sorte que le bilan moyen reste étale.

Le Médiateur pourrait se contenter d'inviter l'Administration à modifier globalement ses comportements. Cette attitude, assez utopique au demeurant, constituerait une solution imparfaite tant il est vrai que ces comportements ne sont pas seuls en cause, le poids des textes et les réactions des administrés n'étant nullement étrangers à la médiocre qualité des relations entre les parties en présence. Il préfère convier chaque année les uns et les autres à réfléchir sur certains aspects particuliers du malaise, espérant que s'attaquer aux causes et non plus aux conséquences devrait, à moyen terme, déboucher sur de véritables transformations. C'est ainsi que, au cours des trois dernières années, des propositions furent formulées en matière de :

- réparation rapide et complète des préjudices subis par les administrés,
- rétablissement de l'égalité entre administrés et Administration dans les procédures juridictionnelles et préjuridictionnelles,
- légitimation des décisions administratives par la participation des administrés.

Les résultats encourageants précédemment commentés, prouvent qu'il est réaliste de poursuivre dans cette direction.

Cette année, le thème choisi entre d'autres, d'une moins brûlante actualité, est celui de l'inadaptation fréquente des solutions offertes par l'organisation et les méthodes de l'Administration aux problèmes qui se posent aux Français dans leur vie de tous les jours, notamment dans les domaines social et économique.

On adapte mal lois et règlements aux réalités multiformes d'une société complexe.

Qu'il s'agisse de maintenir des situations ou d'en faire évoluer d'autres, le but paraît toujours hors de portée. Les textes existent, mais, semble-t-il, plus ils entrent dans le détail et plus ils éloignent certains Français dignes d'intérêt de la satisfaction attendue.

Les progrès réalisés pour favoriser une répartition plus harmonieuse des ressources nationales entre les diverses parties de l'hexagone ne sont pas négligeables. Mais par des prescriptions dont l'objet même est d'aider ceux qui par leurs propres moyens ne sauraient se tirer d'affaire, on établit une discrimination excluant certains secteurs ; ou bien, à l'intérieur du même secteur, on exclut certains individus tout aussi industrieux ou impécunieux.

Les textes continuent à entrer dans le détail pour définir des situations, préciser des conditions, interdire des dépassements, contraindre à des déclarations... ligoter à la fois l'Administration et l'Administré.

A chaque nouveau progrès social (au sens large du terme), on se prend à frémir à la seule évocation du train de règlements, d'imprimés, d'heures perdues et de malentendus qui en seront issus.

Le Médiateur placé à mi-chemin sur cette voie que descendent les textes et que remontent les réclamations, ne saurait rester indifférent à un état de choses qui s'aggrave au fur et à mesure que l'arsenal juridique s'enrichit.

Il ne connaît certes pas de tous les problèmes, mais il en examine cependant d'assez convaincants pour ne pas avoir à abuser de l'imagination pour détecter les défauts de la cuirasse.

L'aspect kafkaïen de certaines situations devient d'autant plus choquant que, dans certains domaines, l'étreinte de la bureaucratie semble se relâcher grâce, d'une part, à l'ouverture vers les usagers, d'autre part, à la multiplication des délégations ministérielles aux préfets et préfectorales aux directeurs départementaux des services de l'Etat, complétée par l'allègement de la tutelle exercée sur les collectivités locales.

Ces deux notions ne sont qu'apparemment sans rapport l'une avec l'autre.

L'une tend à réduire la tension entre l'Administration et l'Administré et à instituer un certain climat de coopération.

La seconde, conséquence de la première, concerne les instruments mêmes de libéralisation qu'il faut mettre soigneusement au point, avant d'envisager l'ensemble de mesures conduisant à cette décrispation.

La multiplication des organismes consultatifs et leur ouverture aux administrés, simples particuliers ou groupements représentatifs, ressortit à ce mouvement qui s'est exprimé spectaculairement par la mise en place des " comités des usagers ".

Recenser les défauts de chaque secteur administratif et proposer des solutions en associant à ce travail ceux qui sont, en principe, les mieux placés pour connaître les uns et suggérer les autres : deux démarches partant d'une saine conception des rapports noués entre Administration et Administré.

Rapprocher les deux partenaires de ce couple - aux relations souvent orageuses - est aussi un objectif au plan des prises de décision ; les mesures qui ont jalonné les trois dernières décennies en matière de déconcentration et de décentralisation s'inscrivent dans sa poursuite.

Si l'on considère comme nécessaire une action de grande envergure tendant à rendre constamment plus adéquats les réflexes de l'Administration à l'égard des besoins des Français, c'est donc tout naturellement à ces procédés qu'on doit penser en se demandant d'ailleurs dans un premier temps pourquoi malgré l'usage qui en est fait, cette adaptation laisse toujours à désirer.

DES EXEMPLES REVELATEURS DE L'INADAPTATION ADMINISTRATIVE.


Fidèle à sa méthode de travail, le Médiateur se réfère d'abord aux dossiers dont l'Institution a été saisie et qui témoignent de certaines anomalies à réparer.

Les exemples seront choisis dans des domaines variés.

Carte scolaire

Les difficultés liées au fonctionnement des établissements d'enseignement sont très souvent portées à la connaissance du Médiateur à l'occasion de la mise en cause de la carte scolaire et du régime de mutation des instituteurs lorsque, d'une certaine manière, il affecte le bon fonctionnement du service public de l'éducation.

Sur le premier point, des parents déplorent la rigidité des circonscriptions déterminées pour l'affectation des élèves à telle ou telle école. Il en résulte des servitudes pour les enfants contraints à des déplacements longs et fatigants alors que, s'ils étaient autorisés à suivre les cours de l'établissement d'une autre circonscription, la distance à couvrir chaque jour serait moindre et souvent les conditions de transport facilitées.

La solution à laquelle chacun pense - la plus logique -, le maintien ou la création d'écoles dans les secteurs ruraux ou écartés, étant trop souvent refusée pour des motifs d'ordre financier, il s'agit de savoir si la rigidité de la règle n'est pas susceptible d'assouplissement.

Sur le second, il s'agit de la mise en cause d'un système de mutation des maîtres, qui protège les intéressés contre l'arbitraire en soumettant les demandes de changement de résidence à un examen parfaitement objectif lors de la libération de chaque poste et qui semble tirer sa vertu d'un automatisme parfois préjudiciable aux usagers du service public essentiel de l'éducation.

Le Médiateur n'a pas compétence pour s'ingérer dans cette procédure. Aussi bien le problème dont il est saisi concerne-t-il les conséquences que celle-ci entraîne sur l'éducation des enfants, du fait des perturbations inhérentes au changement fréquent de maître, notamment en milieu rural. Les conflits entre population et Administration prennent en l'espèce une acuité qui prouve l'importance que les Français attachent à bon droit, à l'éducation rationnelle de leurs enfants, quel que soit leur lieu de résidence.

Urbanisme

Un domaine sans rapport avec le précédent, mais où se trouve également mis en cause le rôle que l'Administration devrait jouer pour alléger la charge qui pèse sur notre vie quotidienne.

Qu'on veuille construire, embellir ou agrandir, la réglementation s'interpose inévitablement entre le projet et sa réalisation. Souvent mal comprise dans ses prescriptions, fréquemment contestée dans son application, elle donne lieu à de multiples réclamations.

Certaines, mettent en cause les procédures, d'autres, les modalités de leur exécution. Aux unes, on reprochera souvent leur flou ; aux autres, leur raideur.

Les unes et les autres visent l'établissement des plans d'occupation des sols, la délivrance des certificats d'urbanisme, des permis de construire et des certificats de conformité, ainsi que toutes les mesures tendant en droit ou en fait à des expropriations.

Le classement du territoire d'une commune en différentes zones, conformément au plan d'occupation des sols, rendu obligatoire dans toutes les agglomérations urbaines, pose d'importants problèmes aux propriétaires concernés. Lorsque leurs terrains se situent en zone inconstructible, ils ont le sentiment d'être lésé dans leurs intérêts, et, même si la procédure de classement s'est déroulée de la façon la plus régulière et la plus démocratique (groupe de travail, enquête publique, étude de Conseil Municipal, de l'Equipement) ils ont tendance à contester les décisions prises.

S'agissant du certificat d'urbanisme, la confusion se justifie dans la mesure où celui auquel il est délivré peut, de bonne foi, s'étonner que l'administration lui refuse dans un second temps le permis de construire.

Or, celui-ci ne se délivre qu'à la condition que le projet respecte des normes réglementaires et architecturales dont la complexité dépasse souvent l'entendement des demandeurs même avertis et crée un certain climat d'inquiétude. Nul ne se sent vraiment à l'abri d'une omission ou d'une erreur concernant l'implantation, la conception, les dimensions, les matériaux ou les éléments de confort de la construction.

Pour sa part, l'intervention de la notion de coefficient d'occupation des sols, parfaitement légitime au regard de la lutte contre la spéculation et contre les excès de concentration humaine en découlant, débouche parfois sur des absurdités dans la mesure, par exemple, où un foyer envisage de surélever un pavillon dans le seul dessein d'augmenter sa surface habitable aux limites d'une famille nombreuse. Le versement de la taxe de dépassement du plafond légal de densité, qui rétablit le propriétaire dans une situation régulière, ne répond vraiment pas alors à la finalité de la législation même si son bien-fondé juridique ne saurait se contester.

Qu'au cours des travaux, couverts par un permis de construire, il apparaisse au maître d'ouvrage et au maître d'oeuvre que des aménagements considérés par eux comme mineurs rendraient l'immeuble plus conforme à sa vocation et qu'ils les réalisent ; voici le certificat de conformité menacé. En pensant au nombre de cas admis par la loi où un architecte, donc un coordinateur des travaux, n'intervient pas et où, par conséquent, le propriétaire traite avec plusieurs entrepreneurs, parfois imaginatifs, on peut considérer de telles situations comme fréquentes. On se surprend alors à se réjouir de l'encombrement des services qui limite les contrôles effectifs, non sans déplorer que, dans ces conditions, il revienne souvent au hasard de désigner les victimes du strict respect des procédures.

La vie courante n'est donc pas à l'abri de contraintes abusives de la puissance publique qui sait - heureusement - se manifester sous des abords moins sévères.

Action Sociale

Cependant, même lorsque lois et règlements ne limitent pas les libertés et, au contraire, accordent des avantages, ils s'y prennent souvent maladroitement. A cet égard, l'action sociale présente de nombreux exemples d'une inadaptation génératrice d'effets négatifs qui viennent gommer les conséquences positives des mesures prises en faveur des déshérités ou des plus pauvres.

Quatre exemples illustreront ce constat.

L'allocation supplémentaire du Fonds National de Solidarité peut faire l'objet d'une récupération au décès du bénéficiaire. Le Médiateur a eu à connaître ce cas où la veuve ayant sollicité une remise de dette, se vit opposer un refus, prétexte pris que la créance constituait une " charge de la succession " et non une " dette des héritiers ". Ce formalisme surprend et, pour être prêt à admettre que la société ne doit pas systématiquement se substituer aux membres d'une famille liés par une obligation morale, on ne saurait pour autant considérer comme légitime l'automatisme de la récupération des prestations versées.

Que la requête soit repoussée avec des arguments convaincants ne choquerait pas ; il paraît, en revanche, inéquitable que soit repris sans examen à la succession, ce qui a été accordé à l'allocataire dans des conditions régulières.

Un étudiant handicapé quitte pour quelques mois la France en vue de compléter sa formation. Le bénéfice de l'allocation pour tierce personne lui est retiré pendant la période correspondante, par application de la réglementation qui impose le séjour sur le territoire national.

Le bon sens se révolte. Si la prescription juridique se justifie dans son principe, la prise en considération de la situation particulière de l'allocataire et de l'objectif général poursuivi par la législation sur les handicapés, à savoir leur insertion aussi complète que possible dans la vie active, aurait dû suffire à accorder une dérogation sans intervention du Médiateur.

Par mesure de redressement, l'administration des impôts décide de considérer comme revenu d'un contribuable handicapé, la moitié du salaire de la " tierce personne " à laquelle il a préféré recourir plutôt que de se résigner à l'hospitalisation. Cette décision s'appuie sur la reconnaissance, à cette moitié de salaire, du caractère de dépense liée à l'acquisition du revenu de l'activité professionnelle du " contribuable ", alors que la seconde était exonérée parce qu'elle correspondait à l'obligation pour le " handicapé " d'être assisté dans les actes de la vie courante.

N'aurait-il pas été naturel de dispenser, sans procédure exceptionnelle, la totalité du salaire de la tierce personne de toute imposition ?

Dans le même ordre d'idées, on citera ce contribuable qui avait recueilli une belle-soeur parce que ses beaux-parents ne pouvaient plus s'en occuper valablement en raison de son handicap et de leur âge. Du moment que les ascendants étaient encore vivants, ce parent dépassait le cadre de ses obligations et se voyait interdire de tenir compte de cette charge dans l'évaluation de ses revenus nets.

Action économique

L'un des terrains où l'Administration évolue avec assurance, celui de l'activité économique du Pays, ne reste pas en dehors du champ des interventions du Médiateur.

Qu'il s'agisse de moderniser des entreprises ou de provoquer la création d'emplois, le but reste en fait le même. Lutter contre le chômage en assurant le développement de secteurs productifs en retard ou de régions défavorisées par la géographie, a conduit évidemment à concevoir des procédures.

Leur adaptation laissant à désirer, il semble que le recours à l'imagination favoriserait la promotion d'initiatives accroissant l'efficacité des dispositions réglementaires.

Premier exemple. Le Crédit hôtelier se refuse à prendre en compte dans le calcul d'une prime spéciale d'équipement hôtelier, le cinquième des chambres prévues pour un hôtel - restaurant. Son argument est simple : les travaux de construction de ces chambres ont été réalisés avant le dépôt de la demande de prime.

Deuxième exemple. Un différend s'élève entre le Ministère de l'Agriculture et une Société Civile Agricole qui sollicite l'octroi d'un prêt spécial d'élevage. L'Administration (Ministères de l'Agriculture et de l'Economie) considère que les personnes morales sont exclues du bénéfice de ce prêt réservé aux personnes physiques. Pour trancher ce conflit, un aménagement des textes devra être envisagé si l'interprétation restrictive des Ministères résiste à l'analyse du Conseil d'Etat.

Un autre cas met en valeur le formalisme qui n'était pas seul en cause dans le précédent.

Des investissements engagés par un viticulteur pour améliorer la qualité de sa production consistent en l'acquisition de la cave mise en vente par un voisin. L'Administration refuse à l'intéressé la subvention qu'il sollicite sous prétexte que, pour en bénéficier, il aurait dû acquérir du matériel neuf, non sans avoir d'ailleurs attendu la notification de l'octroi de la subvention.

Des affaires plus importantes permettent de déplorer le manque de souplesse de notre système administratif.

On sait avec quelle conviction le dossier des travailleurs manuels disposés à s'installer à leur compte a été plaidé par les plus hautes Instances de l'Etat. Le livret d'épargne manuel constitue l'un des moyens de promouvoir cette politique.

Entre autres anomalies de la réglementation le concernant, on doit relever celle qui résulte de l'établissement d'une liste valable pour l'ensemble du territoire, des métiers ouvrant droit au prêt inscrit au livret, où peuvent être relevées des insuffisances ou des lacunes.

Dans le même ordre d'idées, le Conseil Economique et Social a pu déplorer que l'installation des jeunes agriculteurs ne fasse pas l'objet d'une assistance plus rationnelle tenant compte à la fois de la priorité des besoins et de la qualité des résultats atteints.

Que l'Administration reste de marbre à l'égard de mouvements spontanés de solidarité humaine choque, mais surprend toutefois moins que l'attitude qu'elle adopte parfois en complète contradiction avec les intérêts généraux. Un exemple :

La crise énergétique préoccupe les Français qui en ressentent les premiers effets dans la vie quotidienne. Les pouvoirs publics encouragent les initiatives destinées à réduire la consommation de carburant, et parmi les moyens dont ils usent figure la déduction du montant de certaines dépenses d'équipement des revenus imposables. Des difficultés sont survenues pour l'application de ces dispositions qui ont évolué dans le temps. C'est ainsi qu'un décret du 29 janvier 1975 a étendu l'avantage à des chaudières utilisant plusieurs combustibles et que la loi de finances de 1979 a permis de tenir compte des aménagements apportés au cours de plusieurs années successives. Le remplacement de chaudières usagées ou la substitution d'une chaudière à des radiateurs à gaz autonomes a aussi posé des problèmes particuliers.

On citera également ce cas d'un agriculteur qui, ayant installé dans sa ferme un chauffage à base de paille, n'a pu obtenir de prime parce que le fabriquant de l'appareil, un artisan voisin, n'avait pas reçu le " label ".

Emploi

Le dossier de l'emploi se présente aussi sous une forme plus classique, celle des mesures prises pour pallier les pertes de ressources des chômeurs et limiter au maximum la durée de leur inactivité.

Sans contester l'obligation à laquelle doit se soumettre l'Administration pour éviter des abus de la part des demandeurs d'allocations, le Médiateur a dû souvent prendre fait et cause pour des requérants.

Parmi les attitudes contestées, les plus choquantes ont trait à des refus de prendre en considération des dossiers présentés hors délai ou sans respecter strictement la procédure de transit par l'Agence Nationale pour l'Emploi.

Sur le premier point, par exemple, la prime de mobilité n'est accordée que si le dépôt de la demande se fait dans les quatre mois suivant le premier jour d'occupation du nouvel emploi ; aucune dérogation ne peut être accordée même si certaines circonstances expliquent le retard.

Sur le second, l'inscription comme demandeur d'emploi étant une condition sine qua non de l'octroi de la prime de mobilité, il en résulte qu'un jeune trouvant une activité grâce à ses recherches personnelles, ne saurait prétendre à cet avantage s'il n'a pas préalablement satisfait à cette formalité.

Certains assouplissements des prescriptions initiales de la réglementation n'ont pas eu pour effet de régler tous les cas susceptibles de se présenter.

Il en va de même pour le bénéfice de la prime de transfert lorsque le nouvel emploi n'a pas été proposé par l'Agence ou accepté avec son accord.

Ces dispositions restrictives se fondent le plus souvent sur des raisons valables. C'est ainsi, par exemple que, antérieurement à l'intervention du décret du 5 juillet 1977, les services de l'emploi du lieu de départ et du lieu d'arrivée donnaient leur accord pour éviter que le recrutement de travailleurs ne vienne compliquer la situation de l'emploi dans des régions où de nombreuses demandes restaient sans suite. Le fait que cette exigence ait été supprimée prouve qu'elle présentait plus de défauts que de vertus.

En tout état de cause, décourager des jeunes soucieux de s'engager au plus tôt dans la vie active ne saurait constituer une heureuse solution.

Complexité des répartitions de responsabilité

Une autre source de difficultés dans les rapports entre les administrés et l'Administration réside dans la complexité des règles de répartition des attributions entre diverses collectivités ou organismes publics. Il n'y a pas unicité de l'Administration et si le Médiateur désapprouve cet état de fait lorsque l'Etat est en cause, il ne peut, en revanche, que s'incliner devant l'état de droit qui ne permet pas de confondre l'Etat et les collectivités territoriales ni celles-ci entre elles.

Bien que le Médiateur ait assez rarement à connaître d'affaires mettant directement en cause les collectivités locales, il lui arrive de se trouver embarrassé par des conflits de compétence entre communes et syndicats intercommunaux ayant des incidences sur les particuliers.

Lorsque, par exemple, un syndicat agit au nom d'une commune, pour la réalisation de travaux, l'entrepreneur peut rencontrer des obstacles au moment du paiement lorsque l'objet du syndicat de communes n'a pas défini avec précision la part respective des responsabilités de cet établissement public et des collectivités membres.

La dissolution d'un syndicat alors que certaines opérations engagées par lui n'ont pas été menées à leur terme, pose aussi des problèmes dont des particuliers font les frais.

Problème de délais

Une autre preuve de cet état d'esprit réside dans l'usage de l'arme offerte à l'Administration par la réglementation concernant les délais.

Elle revêt de nombreux aspects. Un seul sera retenu parce qu'il est un remarquable exemple d'inadaptation.

La marge de temps octroyée au contribuable pour exercer son droit de réponse à des décisions de redressement de ces réclamations est strictement calculée.

Le Médiateur a proposé qu'il soit, à tout le moins, tenu compte de la quasi-interruption de l'activité en période estivale et des conséquences en résultant sur la disponibilité des conseillers auxquels il est naturel qu'un contribuable puisse, en l'occurrence, recourir.

LES COMPORTEMENTS CRITIQUABLES DES FONCTIONNAIRES
SONT LARGEMENT INDUITS DE L'ORGANISATION ACTUELLE.


Aux exemples cités, bien d'autres pourraient s'ajouter si ceux qui ont été retenus ne suffisaient pas amplement à dégager matière à réflexion sur l'inadaptation de nos mécanismes administratifs à répondre convenablement à l'attente des administrés.

Ce constat conduit naturellement à mettre en cause les comportements des fonctionnaires et cependant il faut se garder de céder à la tentation de facilité et écarter les apparences pour découvrir les véritables causes.

Certes les administrations sont souvent lentes à réagir, avares d'informations claires et complètes, hésitantes à communiquer des documents, respectueuses du précédent et peu enclines à prendre des initiatives.

Chacune de ces réactions peut néanmoins s'expliquer.

La lenteur provient souvent de la nécessité soit de procéder à des vérifications, de manière à éviter toute interprétation équivoque de la décision qui interviendra, soit de consulter plusieurs services également concernés par des procédures qu'alourdissent la multiplication des garanties et l'enchevêtrement des réglementations.

L'insuffisante information des administrés n'a pas pour source principale la mauvaise volonté des fonctionnaires ou leur incapacité à s'expliquer clairement mais plutôt l'étonnante instabilité de ces mêmes procédures qui rend difficile la réalisation, en temps utile, de documents actualisés.

Il serait certainement injuste de mettre la discrétion des services à communiquer des informations sur le compte exclusif de l'entêtement à ne pas partager avec l'administré toutes les données d'un problème. Avant l'intervention de la loi du 17 juillet 1978 sur la communication des documents administratifs, le fonctionnaire se savait soumis par des dispositions statutaires très sévères à l'obligation de discrétion professionnelle ; la prudence présidait donc à ses échanges avec les administrés quels qu'ils fussent. Le changement radical d'orientation intervenu en 1978 a posé et pose encore des problèmes d'application qui retardent la transformation des réflexes à la base après avoir rendu hésitante la décision au sommet de la hiérarchie.

La création d'une Commission d'accès aux documents administratifs témoigne de la réticence de l'Administration à se plier aux exigences de la loi. Cette réticence à communiquer les dossiers ou à faire connaître les motivations de certaines décisions se retrouve, à l'égard du Médiateur lui-même, à certains niveaux ministériels des plus élevés.

Procèdent de ce même réflexe légitime de soumission aux règles écrites ou non régissant l'exercice de la fonction administrative, ce qu'on appelle souvent le manque d'initiative et le légalisme.

L'Administration est non seulement fortement hiérarchisée mais encore étroitement contrôlée.

Comment s'étonner, dans ces conditions, que les fonctionnaires hésitent à dépasser un cadre qui résulte, pour l'essentiel, de textes législatifs ou réglementaires mais a fait, de surcroît, l'objet de minutieux agencements au long des décennies et au contact des expériences vécues ? Leur devoir est et doit demeurer d'agir en respectant le droit. Nul ne peut le leur reprocher. Et le droit, inévitablement en retard sur les faits, place entre eux et les évolutions de bon sens des obstacles qu'il ne leur appartient pas de bousculer.

Qu'ils se laissent aller à faire preuve d'initiative, au mépris de prescriptions juridiques, et leur administration (derrière elle, l'Etat) pourrait être mise en cause devant les tribunaux administratifs - ou éventuellement judiciaires -. Pour eux, l'affaire ne s'arrêtera pas toujours à une réaction platonique de leur hiérarchie inscrivant la " bévue " au compte des profits et pertes. L'opinion qu'on se fait d'eux en souffrira à peu près à coup sûr. S'ils sont justiciables de la Cour des Comptes ou de la Cour de Discipline Budgétaire, ces juridictions se saisiront de leur dossier. Enfin, ils ne seront pas exemptés d'une procédure disciplinaire susceptible de compromettre gravement leur carrière.

Il va sans dire qu'un tel climat n'est pas dynamisant et qu'il conduit inévitablement les individus à accepter, sans se faire violence, une concentration des pouvoirs les mettant à l'abri des audaces dangereuses.

Le problème étant ainsi posé en termes objectifs, la solution n'en devient pas pour autant inaccessible.

Il semble démontré qu'en bien des cas, les problèmes sont mal résolus parce que la loi et les règlements créant des droits ou des obligations, définissant des procédures ou promouvant des actions, n'atteindront leurs objectifs qu'à condition d'être adaptés aux circonstances, de lieu ou de temps. Dans ces conditions, il faut que ces lois et règlements prévoient eux-mêmes les mécanismes d'assouplissement en confiant les commandes à ceux qui assurent le contact direct avec l'administré.

La déconcentration

On ne saurait, c'est certain, attendre des décisions prises par des autorités déconcentrées dans le cadre de véritables pouvoirs délégués la même homogénéité, sur l'ensemble du territoire, que des décisions ministérielles. Mais si l'on admet que celles-ci, dans leur raideur, se préoccupent davantage de respecter l'égalité juridique que de tenir compte de situations spécifiques, n'est-il pas précisément souhaitable de rompre avec l'uniformité dans l'application des principes en optant résolument pour un accroissement de la déconcentration ? C'est en tout cas le devoir du Médiateur de poser la question.

Il est patent que la déconcentration efficace - et comment pourrait-il en aller différemment ? - en matière de gestion de services, ne porte que peu de fruits dès qu'il s'agit de prendre des décisions appropriées à des cas particuliers. Lorsqu'un Ministre délègue ses pouvoirs à un Préfet ou lorsqu'une loi ou un règlement accorde à ce représentant du Gouvernement des pouvoirs propres, la capacité d'appréciation accordée à ce haut fonctionnaire reste limitée dans la meilleure des hypothèses comme l'aurait été celle du Ministre, dans la moins bonne par un tissu de contraintes résultant de directives de l'administration centrale.

Le plus souvent, en effet, les textes ont, eux-mêmes, déterminé les modalités de leur application et laissé aux décideurs le seul soin de s'assurer que les conditions requises pour bénéficier d'un avantage ou pour mériter un refus sont réunies.

Ne pourrait-on pas aller plus loin et doter les fonctionnaires " déconcentrés " du pouvoir de se prononcer à l'égard de situations présentant un caractère exemplaire ou original dont ils sont finalement mieux placés que quiconque pour apprécier si elles entrent bien dans le cadre défini par la volonté du législateur ?

La Loi municipale ayant reconnu aux maires le droit de veiller à l'application des lois et règlements sur le territoire de la commune, sous la surveillance du préfet, la même question peut d'ailleurs être posée en se plaçant, pour certaines matières, dans la perspective de la décentralisation.

La partie est jouable, mais elle n'est pas gagnée d'avance puisqu'il faut modifier des comportements acquis par les Français quel que soit leur rôle dans le jeu social, responsables politiques, techniciens des administrations, organismes représentatifs et citoyens.

Une reconversion systématique s'imposerait qui donnerait le pas à l'efficacité sur la rigueur, à la rapidité sur la perfection et à l'équité sur l'égalité absolue devant la loi.

L'Etat dispose d'abord d'une armature solide constituée par des services centraux rompus à la préparation des projets de lois, des règlements et des instructions d'application. La qualité des textes élaborés, des procédures imaginées et des circuits mis en place est rarement contestable.

Tout cet édifice construit pour régler les détails de la vie en société en fonction d'options plus ou moins fondamentales ressortissant à la compétence du pouvoir politique, est confié " pour exploitation " à des services déconcentrés comportant des " points d'autorité " regroupés pour l'essentiel au plan départemental.

Les préfets, représentants de l'ensemble du Gouvernement et de chacun des Ministres, assurent la coordination et l'animation générale des directions spécialisées.

Celles-ci, sous l'autorité de fonctionnaires de haut niveau, appliquent les textes ou contrôlent leur application, et, pour certains, assurent aussi la gestion de services importants.

La masse des lois, règlements et directives ministérielles aboutit sur le bureau des préfets, mais il va sans dire que leur répartition entre les chefs de services et, à partir d'eux, entre les bureaux compétents constitue la seule solution rationnelle à un engorgement permanent.

Il faut alors choisir, au plan de l'exécution, entre la réflexion et l'application pure et simple, et ce, dans la meilleure des hypothèses, celle où le choix est possible.

L'administré imagine mal le temps qui sera consacré à l'assimilation des nouvelles prescriptions, à la mise en place des procédures qu'elles entraînent, à la formation des agents qui auront à accueillir le public, à instruire les dossiers, à établir les comptes rendus et, d'une manière générale, à transformer des règlements abstraits en mesures concrètes.

De cet état de choses résultent deux conséquences.

Tout d'abord, le maintien très étroit de liens entre les administrations centrales, armées pour répondre à toutes les questions, et les services déconcentrés, trop bousculés pour faire face à tous les problèmes d'application avec assurance. La déconcentration telle qu'elle se pratique renforce donc, paradoxalement, l'emprise des services centraux.

En second lieu, les réticences des fonctionnaires d'autorité et de leurs collaborateurs dans les départements, à s'évader du cadre sécurisant à grand mal restauré après chaque progression du droit.

Il ne saurait certainement pas suffire de déléguer plus de pouvoirs à des responsables débordés pour que, miraculeusement, les réponses de l'administration s'adaptent parfaitement aux situations particulières.

Si l'on écarte la pause, l'accroissement des effectifs ne constituant pas une solution particulièrement populaire et l'ampleur qu'il devrait atteindre pour présenter des avantages palpables étant hors de raison, on ne peut vraiment fonder d'espoir que sur deux voies étroites.

D'une part, le recours systématique à l'informatique qui, utilisée pour fournir dans un temps record les solutions indiscutables juridiquement ou déjà trouvées dans le cadre de l'opportunité, serait de nature à pallier les inconvénients de la concentration des décisions et de l'inadaptation des moyens humains au volume et à la nature des problèmes à régler.

D'autre part, la transformation des comportements de manière à faire céder la méfiance des hiérarchies et des juridictions à l'égard des novateurs simplement soucieux d'une plus grande efficacité.

C'est alors seulement que pourra être envisagé l'allègement de la loi, consacrée à la définition des principes, et des règlements, limités à la détermination des modalités d'application indispensables, notamment à celle des procédures.

Une liberté d'appréciation aussi large que possible serait laissée aux fonctionnaires, pour des décisions d'importance variable selon leur niveau, sous réserve de l'exercice intelligent mais sans faiblesse du pouvoir de contrôle pour éviter l'arbitraire auquel notre peuple est sensible.

Les conditions seront difficiles à remplir mais telle que se présente actuellement la situation, on ne peut guère entrevoir d'autres issues sauf à accepter de s'enfoncer irrémédiablement dans le labyrinthe en place.

La décentralisation

Si la déconcentration pose de tels problèmes, peut-on espérer que la décentralisation offre une possibilité de réformes plus grande.

Deux difficultés viennent à l'esprit.

En premier lieu, une nouvelle répartition rationnelle des missions entre l'Etat et les collectivités territoriales, essentiellement les communes - puisque pour les départements cela ne changerait rien - doit précéder toute action d'envergure dans ce domaine. Elle met en cause un problème d'ordre constitutionnel dans la mesure où le texte fondamental sur lequel s'appuyer est l'article 72 de la Constitution aux termes duquel " les collectivités territoriales s'administrent librement dans le cadre de la loi " dont le champ d'application est lui-même déterminé par l'article 34, qui précise qu'en l'espèce, elle détermine les principes fondamentaux de " la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources ".

Il ne peut donc être envisagé de déléguer des pouvoirs de décision aux élus locaux dans des domaines où l'administration des collectivités territoriales ne serait pas directement en cause, sauf à étendre les compétences actuelles des communes et des départements.

Sans remettre en cause l'égalité devant la loi à laquelle les Français sont profondément attachés, on peut parfaitement envisager une évolution raisonnable de la décentralisation qui " débureaucratiserait " certaines opérations administratives en allégeant les procédures par l'intervention en principe exclusive des maires, dans des matières comme celle de l'urbanisme et sous réserve d'un contrôle (a posteriori) par l'Etat sur certains aspects seulement des décisions municipales.

On sait que l'Assemblée Nationale est appelée à se prononcer sur le projet de loi portant développement de leurs responsabilités ; la question est donc d'actualité.

Ce serait aussi faire une application intelligente de l'article L.122.23 du Code des communes qui charge les maires de la publication et de l'exécution des lois et règlements... sous l'autorité des représentants de l'Etat, que de rechercher systématiquement les domaines dans lesquels les interventions des maires pourraient être étendues par extension des attributions qui leur sont déjà confiées pour le grand bien de tous, en vue de remplir les fonctions d'officier d'état civil, d'établir les listes d'électeurs, d'organiser les scrutins ou de procéder à divers recensements ...

Ce n'est nullement impossible, mais se pose alors la seconde question qui est celle des moyens.

Moyens financiers d'abord... Si les communes prennent en charge des attributions qui incombaient à l'Etat, il va sans dire que de deux choses l'une :

- ou les attributions reviennent aux communes parce qu'elles concernent la vie locale ; dans ce cas, il est normal que le contribuable communal soit davantage imposé mais, en contrepartie, le contribuable étatique le sera moins,

- ou les attributions restent à l'Etat mais le maire les exercera et dans ce cas, seul, le contribuable étatique sera concerné.

Le problème est vaste, et déborde le cadre de ces suggestions. Il met en cause, d'une part, la répartition des responsabilités et des charges entre Etat et Collectivités, d'autre part un système de subventions d'Etat qui trop souvent, tel qu'il est conçu, retarde l'exécution du projet, en accroît le coût et " vassalise " les collectivités locales.

Moyens humains ensuite... On sait que peu de communes sur les 36 600 existantes disposent de services structurés et qu'aucune n'est et ne sera d'ici longtemps en mesure de mettre en parallèle avec ceux de l'Etat, ses propres fonctionnaires.

Face à des procédures souvent très complexes, il est douteux que l'on puisse rapidement attendre de cette voie une sensible amélioration de la situation actuelle.

TRANSFERTS DE COMPETENCES ET ACCROISSEMENT DES RESPONSABILITES


Il n'est pas superflu de comparer cette vue théorique des choses aux diverses situations que nous avons retenues comme tests.

Premier cas, celui de la carte scolaire.

Les crédits disponibles pour la mission d'éducation des Français étant fixés, il importe de se rapprocher des solutions les plus efficaces en répartissant les moyens pour le mieux, ce qui entraîne inévitablement la concentration des enseignants dans un nombre limité d'établissements.

On discutera à perte de vue sur le bénéfice que tirent désormais les enfants d'une mesure qui exclut la classe unique avec ses avantages d'ordre psychologique et ses faiblesses de nature pédagogique.

Mais le milieu rural ne peut subir les conséquences de ces regroupements, certainement justifiés, et d'opérations consistant à perturber, dans les écoles maintenues, le cursus scolaire par des changements constants de personnel enseignant. Reconnaître au recteur d'Académie la possibilité de déroger pour des motifs de cette nature mettant en cause l'efficacité du service public prioritaire par rapport aux intérêts des fonctionnaires semble répondre à une préoccupation de simple bon sens. Certes faut-il porter atteinte à des coutumes respectables mais ont-elles vraiment plus de poids que le développement d'une communauté humaine rurale ?

Le recteur est déjà compétent en matière de carte scolaire par délégation ministérielle. A priori, aucun obstacle ne devrait donc s'interposer entre lui ou ses délégués, en l'occurrence, les inspecteurs d'Académie, et les réalités quotidiennes qui peuvent rendre insupportables l'affectation d'un élève dans un établissement plutôt que dans un autre. L'épithète est utilisée à dessein, car il ne saurait pas plus s'agir de tolérer des exceptions sans justification suffisante que d'interdire toute dérogation même parfaitement fondée.

On constatera que les aménagements à apporter pour mieux résoudre les difficultés ne sont pas de ceux qui exigent de mutations profondes.

L'urbanisme nous offre un terrain de réflexion très différent, celui où se trouve posé l'un des aspects de la décentralisation.

Est-il normal que les documents d'urbanisme soient essentiellement élaborés par les services de l'Etat alors que, dans le respect de règles qui gagneraient certainement à voir leur nombre réduit, il y aurait un intérêt évident à ce que les élus locaux en assument la complète responsabilité ?

Il y a là tout un secteur où, sans transfert de ressources, la commune devrait relayer l'Etat.

S'il est vrai que la qualification de nombreux services communaux ne permet pas de l'envisager, rien ne s'opposerait à ce que, progressivement, se réalise cette translation.

En tout état de cause, l'intérêt des habitants ne peut trouver son compte à des procédures basées sur la formulation de simples propositions par les maires. En guise de compromis, le recours à l'assistance technique des services de l'Equipement, d'ailleurs reconnue comme un procédé normal d'administration, devrait suffire à donner de suffisantes garanties techniques aux élus locaux que les modalités d'utilisation du territoire de leur collectivité concernent au premier chef.

Ne pouvant plus se réfugier derrière la décision des autorités étatiques, les élus locaux assumeraient leurs responsabilités en y associant davantage les habitants dont l'attention à l'égard des décisions concernant l'ensemble de la population serait aiguisée par la prévision du risque qu'elles leur feraient courir.

Pour les diverses mesures qui portent atteinte au droit de propriété, artificieusement, la responsabilité en revient bien souvent aux autorités déconcentrées ou décentralisées encouragées par un droit générateur de délais de réflexion offerts à l'administration.

L'évolution à préconiser doit être orientée résolument vers une meilleure prise de conscience de la gravité des solutions susceptibles d'utilisation. L'inadaptation n'est plus tellement le fait des textes ou d'un défaut de délégation que de comportements sans doute explicables par l'afflux des dossiers présentés et l'impréparation des responsables élus ou fonctionnaires à l'usage d'armes dangereuses.

Le domaine social constitue, en revanche, un terrain d'élection pour procéder à des transferts des responsabilités exigeant des aménagements mineurs de textes et de comportements.

C'est le cas sans doute pour la récupération des allocations du Fonds National de Solidarité, certainement pour la prise en considération, au titre des revenus d'un handicapé, du salaire d'une tierce personne.

Toute loi répond à une volonté politique exprimée sous une forme juridique généralement claire et dont les débats parlementaires permettent, le cas échéant, de préciser la portée. Les administrations centrales qui ont collaboré à son élaboration sont en mesure d'en définir la signification et de donner aux fonctionnaires des services extérieurs responsables la ligne de conduite à suivre pour que son esprit ne soit pas sacrifié à sa lettre.

Dans les deux exemples choisis, les services fiscaux doivent disposer de données suffisantes pour prendre, comme les textes leur en donnent le pouvoir, une juste décision.

Si toute fraude n'est pas à exclure concernant la première situation, ce qui implique une prudence toute particulière, s'agissant de la seconde, au contraire, le handicap comme le droit à l'assistance d'une tierce personne sont tout aussi indiscutablement reconnus que l'est, pour sa part, l'obligation de la société d'écarter le plus possible la notion d'assistance de ses rapports avec ses membres victimes de malformations naturelles ou accidentelles.

Les mêmes observations générales inspireront la réflexion ayant trait à l'adaptation de l'administration à la nécessité de régler avec bon sens et souci d'efficacité les affaires mettant en cause le développement économique du Pays et l'emploi des Français.

On conçoit fort bien que l'utilisation des fonds publics doive être soumise à des règles strictes. La portée de celles-ci ne peut néanmoins faire l'objet d'une interprétation extensive conduisant à dénaturer presque totalement la finalité des mesures.

Il importe que tout soit mis en oeuvre pour que le but soit atteint (par exemple, amélioration de l'équipement hôtelier, accroissement du nombre de têtes de bétails, perfectionnement des méthodes de vinification, encouragement à l'installation de jeunes artisans ou agriculteurs, incitations des chercheurs d'emploi au dépaysement).

Dans la limite des crédits, les candidats remplissant les conditions requises et les plus aptes à prendre les risques doivent être encouragés et non dégoûtés.

Que toutes les précautions soient prises en s'entourant de l'avis d'experts pour que les meilleurs soient retenus, est naturel. Mais au-delà, il s'agit de brimades que le fonctionnaire ne considère d'ailleurs pas comme telles mais comme des précautions indispensables pour ne pas être fustigé.

En fait on ne s'entoure sans doute pas des précautions utiles au moment où il faudrait ... mais on compense en se cramponnant au règlement.

C'est une manière de poser le problème des compétences qui joue, en l'espèce, un rôle considérable dans notre vie administrative. Nous avons évoqué les conflits de cette nature entre Etat et collectivités territoriales.

Il en existe au sein de l'Etat et entre collectivités territoriales. Les unes et les autres entraînent des retards ou des contrariétés de décisions. A certains égards, il y a là aussi inadaptation.

En revanche, comment rapidement dégager une vue commune, lorsque se trouvent en opposition deux collectivités locales que le droit ne peut départager et que séparent des intérêts moraux et matériels ? Doit-on s'en remettre à la bonne volonté des uns et des autres ou recourir au représentant de l'Etat ? La seconde méthode n'allant pas dans le sens de la décentralisation et la première risquant de mettre à l'épreuve la patience des usagers, on pourrait attendre du Médiateur que son intervention soit plus fréquemment sollicitée. On ne saurait donc écarter l'Institution comme instrument d'adaptation.

Pour tous les services qui ne sont pas exclus de la coordination préfectorale, c'est-à-dire les services de l'Etat à l'exception des services fiscaux, des services du trésor et de ceux de l'enseignement, il est possible de parvenir à un accord par une décision d'arbitrage.

En relevant le médiocre usage qui a été fait de certaines commissions dans lesquelles siègent des administrés, le Médiateur déplore qu'elles ne rendent pas tous les services qu'on serait en droit d'en attendre.

Si l'usager se croit complice ou otage, sa participation cesse très rapidement d'être positive. Sa " mission " étant remplie après enregistrement de ses doléances, il les multiplie à plaisir, moins préoccupé de suivre leur cheminement que de faire savoir qu'elles ont été présentées.

Si l'usager participe aux travaux d'une commission ou plus généralement d'un organisme collégial dont il sait que les délibérations débouchent sur la prise de décisions dans des délais raisonnables, il devient un facteur dynamique de progrès et on peut même compter sur lui pour aider à la transformation de la mentalité de l'administré, souvent en cause elle aussi dans les malentendus imputés à la seule administration.

Toutes les commissions mériteraient d'ailleurs d'être soumises à ce même régime.

A une époque où, pratiquement, aucune mesure ne relève de la responsabilité d'une seule autorité, il est fâcheux que ne se multiplie pas le recours à la " procédure orale " ; d'autant plus fâcheux que le nombre de commissions n'est certes pas en voie de diminution et que les occasions de se rencontrer entre fonctionnaires de plusieurs services ne manquent pas.

La " délégation de confiance " à des échelons variables de la hiérarchie constituerait la solution à ce problème, répandu, du " conflit de compétences " ou de la " multicompétence ". La confrontation des points de vue complémentaires ferait en tout cas avancer l'examen des problèmes.

Il n'est, en fin de compte, aucune des situations particulières auxquelles nous avons consacré notre attention qui ne mériterait d'être envisagée de cette manière sur le plan des principes et sur celui de leur application pratique, dans un ordre à déterminer et d'ailleurs variable sous la pression de l'événement.

Dans certaines circonstances, le fonctionnaire reste seul face à ses responsabilités. C'est, par exemple, le cas de l'inspecteur des impôts certainement choqué de n'avoir pu prendre en considération, comme personne à charge, la parente handicapée recueillie au foyer de contribuables.

Ce cas de conscience doit pouvoir être réglé par un texte lui accordant la confiance de son Administration pour trancher dans le droit fil du bon sens.

On est en droit de se demander si, dans d'autres circonstances, la solution n'est pas suggérée par ce même bon sens.

Dans la plupart des cas, par exemple, l'inspecteur qui a procédé à un redressement ne pourrait-il surseoir à l'envoi de la décision en période de vacances d'été, évitant ainsi des échanges d'arguments aigres-doux préjudiciables au renom de son service autant qu'au contribuable lui-même ?

Enfin, on a du mal à croire que des textes puissent totalement fermer la porte à une interprétation... simplement logique de réglementations telles que celle relative aux économies d'énergie.

L'ADMINISTRATION NE PEUT SE TRANSFORMER SEULE


A la lumière des remarques provoquées par ce cheminement à travers quelques dossiers, il apparaît évident qu'un plateau d'évolution assez vaste demeure disponible à une Administration soucieuse d'améliorer son efficacité et son image de marque.

Mais les solutions ne dépendent pas d'elle seulement.

Le législateur doit se préoccuper de choisir entre trois voies. Celle qu'il emprunte actuellement et depuis longtemps déjà, conduit à déborder largement du cadre de la définition des principes et à accepter que le règlement agisse dans le même sens.

La deuxième, très étroite, consiste à déterminer seulement les orientations, la limite des interventions réglementaires d'application ainsi que le niveau des prises de décisions que supposent les procédures.

La dernière, proche de la précédente, s'en démarque dans des cas très précis lorsque sont en cause les principes fondamentaux auxquels il ne saurait être dérogé ou lorsque la matière traitée ne tolère aucune divergence dans l'interprétation.

Choisir dans chaque domaine le niveau satisfaisant pour donner à la décision une adaptation satisfaisante à des réalités mouvantes d'une région, d'un individu ou d'une entreprise à d'autres, constitue certainement un objectif aussi important que difficilement accessible.

Assouplir, coordonner, fixer les champs d'initiatives, contrôler dans l'esprit les actes des décideurs, former à tous les niveaux des fonctionnaires responsables, établir entre eux et les administrés les bons contacts, autant de méthodes qui faciliteraient le changement de cap.

La souplesse dans l'application, sans mettre en cause des principes simplement et clairement exprimés, devrait résulter de ce choix. A certaines conditions bien sûr :

- que, revenant à une habitude perdue depuis une quinzaine d'années, le législateur fasse précéder le texte de la loi votée de son exposé des motifs, afin que le but recherché apparaisse toujours en pleine clarté,

- que les auteurs des règlements d'application s'astreignent à faire figurer dans ces textes toutes les dispositions nécessaires et à en exclure tout le superflu (l'administré ayant tout à gagner à ce que les détails d'une procédure, soient fixés à ce stade de l'intervention administrative),

- que le décideur direct ou délégataire soit désigné sans équivoque et les limites de ses prérogatives soient déterminées avec une parfaite précision,

- que la confiance et les moyens indispensables, soient accordés a priori à ce décideur déconcentré pour qu'il ne soit ni tenté de demander un aval avant de se prononcer, dans la crainte d'un désaveu systématique, ni de rechercher l'appui d'une compétence plus élaborée auprès de son administration centrale,

- que, dans les cas mettant en cause plusieurs décideurs ou un seul décideur mais plusieurs " donneurs d'avis ", la coordination indispensable soit réalisée dans le cadre de commissions ad hoc constituées de fonctionnaires ayant le pouvoir d'engager leur administration,

- que le service responsable unique ou principal, de la décision dépasse, chaque fois que le besoin s'en fait sentir, la méthode traditionnelle d'examen d'une affaire pour procéder à une analyse particulière permettant de dégager les caractères spécifiques du cas et de rechercher une solution adaptée,

- que, convaincu des efforts accomplis pour régler la situation en parfaite connaissance de cause, l'administré, pour sa part, accepte de se discipliner de manière à ne pas engorger les circuits administratifs ou juridictionnels par des réclamations intempestives.

Toutes ces propositions peuvent se résumer en une formule : donner à chacun sa responsabilité.

L'ADAPTATION NECESSAIRE N'EST PAS UTOPIQUE.


On constatera que les " propositions pour l'avenir " formulées par le Médiateur au titre des trois dernières années ne sont pas restées sans écho.

La dernière en date encourageait à la participation des administrés. De nombreux exemples de cette orientation franchement adoptée pourraient être cités ; certains l'ont été au début de ce rapport.

En 1978, signalant la situation d'infériorité de l'administré dans les procédures juridictionnelles et pré-juridictionnelles, le Médiateur condamnait notamment l'attitude de l'Administration qui préférait trop souvent un mauvais procès à un bon règlement.

Une amorce d'amélioration de cet état de choses peut être relevée dans une circulaire récente du Ministre de l'Intérieur qui incite les préfets à réduire le nombre des procès engagés contre l'Etat en prenant soin de faire respecter les dispositions législatives récentes telles que la loi du 11 juillet 1979 et les décisions de jurisprudence.

Quant à la proposition de 1977 qui préconisait " l'institution d'un système permettant une réparation plus rapide et plus complète des préjudices subis par les administrés ", un décret récent du 4 décembre 1980 reconnaît son bien fondé.

Ce texte est intéressant à un double titre.

En premier lieu parce qu'il devrait faciliter le règlement amiable des dommages engageant la responsabilité de l'Etat. Egalement, parce qu'il répond pour, une part, à l'attente exprimée dans la proposition de 1980.

La procédure mise en oeuvre adapte, en effet, incontestablement le dispositif administratif qu'elle crée à la réalité concernée. L'organisme compétent est un collège de quatre membres dans lequel figurent deux magistrats l'un de l'ordre administratif, l'autre, de l'ordre judiciaire (détenteurs de la jurisprudence), le trésorier-payeur général (qui devra assurer le paiement), un directeur de préfecture (au titre de la coordination) et un représentant de l'administration mise en cause.

Les traits essentiels de la réforme que préconise le Médiateur en aval de l'intervention des textes se retrouvent dans cette innovation : la collégialité de personnes compétentes entraînant l'impartialité et la rapidité des décisions.

On peut, dans ces conditions, bien augurer de la suite qui pourrait être réservée à ces nouvelles réflexions en considérant que les situations qui trouveront une solution grâce à l'intervention du décret du 4 décembre 1980 sont au nombre des plus irritantes mais aussi des plus malaisées à régler.

Comment ne pas espérer que les ministres et les fonctionnaires d'autorité ne feront pas triompher le bon sens en usant d'ores et déjà pour résoudre des problèmes, au demeurant plus simples, d'une méthode inspirée du même principe ? L'inventaire pourrait être immédiatement dressé des domaines dans lesquels une telle évolution produirait à brève échéance des effets bénéfiques.

Le Médiateur apporterait, en l'espèce, son entier appui à toute initiative prise en ce sens. Bien placé pour exprimer les insatisfactions des administrés et en apprécier le bien fondé grâce, notamment, à ses échanges avec les ministres et leurs administrations, il peut aussi user de ses relations directes et constantes avec les parlementaires pour infléchir l'attitude du législateur vers une meilleure adaptation du contenu de la loi à sa finalité.

Sans doute est-ce à partir de l'engagement au niveau le plus élevé de ce processus de reclassement des responsabilités juridiques que les relations entre l'Administration et les citoyens pourront être normalisées, dans le cadre de l'actuelle répartition des missions entre l'Etat et les collectivités territoriales.



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