Année 1985


INTRODUCTION


Un bilan


Nommé Médiateur en Conseil des Ministres, j'ai pris mes fonctions le 19 septembre 1980. Mon mandat de six ans, non renouvelable, expirant en 1986, ce Rapport annuel est donc le dernier que je remettrai au Président de la République et au Parlement.

Le temps s'écoule vite lorsque les journées sont bien remplies et la tâche captivante : j'éprouve quelque mal à réaliser que ma mission va s'achever.

Avec la nostalgie qui s'attache toujours aux prochains départs, mais avec la fierté d'avoir fait oeuvre utile, je tendrai donc à faire dans ces pages non seulement le bilan de l'année 1985, mais aussi celui de l'ensemble de la période qui couvre mon mandat.

Avec un souci constant d'objectivité qui m'amènera à évoquer tout autant les insuffisances que les réussites.

Dans les premiers mois de ma mission, ayant pris la mesure de ses larges possibilités mais aussi de ses limites, j'avais défini mes objectifs à la fois ambitieux et conformes à la loi qui a créé l'Institution.

J'avais exprimé le désir de valoriser l'action du Médiateur par un élargissement de son activité de promoteur de réformes.

Conscient de la relative fragilité d'une Institution qui, née en 1973, n'avait alors que sept ans d'existence, mon premier but était de la consolider, en faisant la démonstration de son caractère irremplaçable dans les rouages de notre Démocratie. Devenu Médiateur après une longue " carrière " politique, tenais à respecter le devoir de réserve en abandonnant toute activité partisane, sans remettre en cause l'idéal humaniste qui m'a toujours guidé.

La totale indépendance dont j'ai joui m'a permis de concilie la poursuite de cet idéal avec la défense, sans aucune discrimination des dossiers difficiles qui m'ont été confiés.

Le taux de 96 %, soit la presque unanimité, des députés qui ont sollicité mon intervention pendant la dernière législature prouve avec éclat que les parlementaires de tous bords m'ont manifesté leur confiance.

J'ai relu l'introduction du Rapport pour l'année 1980 que j'" rédigé quelques mois seulement après ma prise de fonction. J'y c relevé quelques déclarations que je crois devoir rappeler aujourd'hui pour préciser à la fois mon état d'esprit au départ de cette mission et la continuité d'action observée pendant tout son déroulement, la poursuite d'un objectif dont je me suis progressivement rapproché J'écrivais dès les premières pages:

Lorsque j'ai accepté d'assurer cette haute fonction, à fois charge et honneur, c'est en raison du service d'international que je pouvais rendre, mais aussi en raison d l'indépendance totale dont jouit l'Institution.

Cette indépendance me permettant de poursuivre, par de moyens différents, la lutte que j'ai toujours menée en faveur d'une société plus juste et plus humaine.

Sans renier mes convictions politiques profondes, mais en ayant le sentiment d'être plus utile au pays qu'en poursuivant de stériles querelles partisanes, je me suis engagé à fond dans ce nouveau combat pour le respect des Droits de l'homme adaptés à notre époque.

Combat guidé par trois objectifs:

-équité;

-responsabilité;

-solidarité;

un seul pourrait les symboliser tous, le Civisme.

D'emblée, je déclarais vouloir donner une dimension nouvelle à l'Institution, tout en restant dans le cadre de ses prérogatives.

D'abord, en ajoutant à la qualité de la vie, en réduisant les soucis quotidiens qui découlent de l'excessive rigidité administrative; ensuite, allant au-delà de la poursuite de l'iniquité, sous toutes ses formes, en s'attaquant aux causes d'erreurs ou d'abus, en proposant des réformes. Réformes législatives, réglementaires, mais surtout modification des comportements remettant en cause les mauvaises habitudes tant des administrés que des administrateurs, chacun assumant des responsabilités de citoyen.

J'avais mesuré, dès le début de ma mission, les difficultés que j'aurais à surmonter en raison de la faiblesse des moyens dont je disposais; j'avais mesuré, le Médiateur n'ayant pas le pouvoir de décision (qui relève de l'Exécutif), l'usage que j'aurais à faire, pour convaincre, de ma seule capacité de persuasion, basée sur l'Autorité morale émanant du prestige de l'Institution.

Mon intention était en effet, au lieu de creuser le fossé existant entre les citoyens et l'Etat, de rapprocher les administrés de l'Administration. " I1 ne faut pas tomber dans l'erreur, trop tentante, de charger cette dernière de toutes les fautes, en faisant un commode bouc émissaire ".

J'ai donc eu recours le moins possible aux " recommandations " et aux " injonctions ", préférant aux moyens " répressifs " le dialogue, la concertation, et les solutions de conciliation.

Parfaitement conscient de la peine que j'aurais à persuader à la fois le Pouvoir politique, le Pouvoir administratif et l'opinion, de la nécessité de changer les mentalités, les méthodes, les comportements, j'ai multiplié les efforts en vue de faire bouger les lourdes machines administratives, remettant en cause traditions et habitudes, apaisant les craintes, surmontant les réticences.

En 1980, ma conclusion était:

" Je fais un pari audacieux sur la capacité de redressement des Français.

Cinq ans après je dois répondre à cette interrogation:

- Ai-je gagné cet ambitieux pari ?

- Avais-je raison de faire confiance à mes compatriotes. l'Institution:

-Ai-je du moins atteint les objectifs que je m'étais fixés pour

- La consolider, en la mettant mieux au service des Français.

- Respecter et faire respecter son indépendance.

- Défendre les droits de la personne humaine.

- Amorcer par le civisme et la responsabilisation des citoyens un véritable changement de société.

A chacun de ceux qui ont à juger mon action, d'apporter à ces questions, après lecture de ce Rapport, leur propre réponse.

I. CONSOLIDER L'INSTITUTION


C'est d'abord la faire mieux connaître.

C'est la rendre plus efficace.

C'est développer la coopération avec les Pouvoirs publics, les Elus.

C'est étendre ses contacts internationaux.

La faire mieux connaître


En novembre 1983, un sondage réalisé à l'initiative de M. Anicet Le Pors, Ministre délégué de la Fonction Publique et des Réformes Administratives faisait apparaître que 36 % seulement des Français adultes connaissaient l'existence du Médiateur. Ce pourcentage m'avait semblé faible, encore qu'il représentait une quinzaine de millions de Français, ce qui n'était pas négligeable. Il restait que deux Français sur trois ignoraient cette possibilité de recours; ce qui constituait une inégalité entre ceux qui pourraient tenter de résoudre leurs difficultés par mon truchement, et ceux qui étaient condamnés, par ignorance, à s'en tenir aux refus réitérés de l'Administration, sans aucune possibilité de règlement amiable.

Cette inéquité devait être réduite, sinon supprimée. D'où la nécessité d'une meilleure information, et l'intérêt de l'Education civique - dont nous reparlerons.

Il n'est pas simple d'intéresser les Médias à l'action du Médiateur. D'abord en raison du a secret professionnel " qu'il doit observer. Les requêtes qui me sont soumises par les Parlementaires n'ont pas à être portées sur la place publique pour y faire l'objet d'une polémique. Même dans le Rapport annuel, les cas cités respectent l'anonymat des personnes et des lieux.

Les rares affaires dont l'opinion a été saisie avaient été communiquées à la Presse par les plaignants eux-mêmes et non par le Médiateur

Ce fut le cas lors de l'émission de Michel Polac " Droit de réponse " consacrée au Médiateur, au cours de laquelle les dossiers évoqués avaient été choisis par les organisateurs et non par mes services.

Cette nécessaire discrétion n'ayant pas à être observée par des chroniqueurs spécialisés n'exerçant pas de responsabilité officielle, ils peuvent sur les ondes ou à la télévision débattre ouvertement des sujets qui leur sont soumis.

Par ailleurs la Presse a une tendance naturelle - ce sont ses lecteurs ou auditeurs qui le veulent - à relater des faits divers violents, des agressions, des conflits, des rebondissements judiciaires, plutôt que des conciliations, réconciliations et autres solutions amiables des litiges, qui sont l'apanage du Médiateur. J'ai cependant, dans ce domaine, multiplié les contacts, les informations (en propositions de réformes) afin de révéler au grand public ce qu'est l'Institution du Médiateur

Chaque fois qu'une invitation m'a été adressée par une radio, une chaîne de télévision, un journal, j'ai répondu présent, et, au risque de gonfler considérablement le courrier des jours suivants, j'ai détaillé les possibilités d'intervention du Médiateur et les moyens de le saisir.

Les propositions de réforme - énumérées dans un chapitre spécial de ce Rapport - sont parfois techniques, administratives, mais souvent aussi " grand public ", tel le contrôle obligatoire des véhicules d'occasion, la mensualisation des pensions, l'adoption, l'éducation civique, etc.

Leur diffusion révèle à l'opinion un aspect moins connu de l'action du Médiateur.

Encore ignore-t-elle le plus souvent qu'il est à l'origine de propositions qui ont été ensuite reprises par le Gouvernement et annoncées en Conseil des Ministres ou à l'occasion d'une conférence de Presse.

C'est le côté ingrat de ma mission que de travailler dans une certaine pénombre.

Ne mettant aucune vanité personnelle dans la paternité de l'idée, je comprends que l'annonce d'une décision par le Ministre concerné ne fasse pas obligatoirement référence au Médiateur qui en est à l'origine. Mais peut être est-il dommage que cet aspect du rôle de l'Institution soit méconnu.

La rendre plus efficace


Ce que les requérants et les parlementaires attendent du Médiateur, c'est qu'il soit rapide dans ses réponses et, si possible, qu'il obtienne satisfaction.

Cette réussite est largement tributaire des moyens financiers et matériels dont il dispose.

Le budget très modeste attribué à l'Institution (7,2 millions en 1985) ne lui permet pas, les salaires représentant 80 % du montant de ce budget, d'accroître comme il conviendrait le nombre de ses collaborateurs.

J'ai déjà souligné que les dossiers reçus ayant doublé en 5 ans, pour atteindre cette année près de 7 000, le mérite de mes collaborateurs était grand de parvenir à les traiter mieux et plus vite, alors que leur propre nombre est resté pratiquement inchangé.

La rigueur budgétaire atteignant notre Institution comme les Ministères et l'ensemble des Administrations, nous n'avons pu étoffer nos effectifs, comme il l'eût fallu.

Mon successeur devra cependant demander au Gouvernement un effort financier accru, car mes collaborateurs ne pourront longtemps soutenir le rythme qui leur est actuellement imposé.

Que les parlementaires, et les requérants qui parfois me relancent, souhaitant une réponse presque par retour du courrier,

sachent les difficultés que nous éprouvons dans ce domaine, et qu'ils contribuent à accroître la " ligne budgétaire " réservée à l'Institution. Un effort a cependant été consenti à ce niveau pour que progresse notre capacité de traitement informatique.

C'est pour moi un sujet de satisfaction d'avoir pu amorcer une deuxième tranche de modernisation de notre système de gestion par la commande d'un ordinateur plus performant, à plus vaste capacité, répondant aux besoins de classement et de mise à jour permanente. Dans le même temps le " parc " de matériel de bureau a été rénové: machine à traitement de textes, photocopieuse, lecteur et reproducteur de micro- fiches, facilitent le travail de secrétariat et de gestion.

Là encore, gros effort d'adaptation du personnel qui a suivi des stages de formation et de perfectionnement, n'ayant pas été à l'origine formé à l'usage de l'informatique.

Je tiens aussi à souligner la part prise par l'Institution dans l'évolution du système des banques de données juridiques, avec la transformation du C.E.D.I.J. en Centre National d'Information Juridique (le C.N.I.J.) dont nous sommes à la fois clients et fournisseurs (texte intégral de nos propositions de réforme).

Ce n'est que grâce à cette adaptation aux moyens modernes de classement, de traitement, d'interrogation, que l'Institution a pu conserver - améliorer même - sa capacité d'intervention, en maintenant le caractère personnalisé et humanisé qui lui est propre.

Il m'apparaît essentiel que le " Médiateur " reste une personne physique, capable d'ajouter un " plus " de coeur à la recherche de l'équité, et non une entité mythique et lointaine ne raisonnant qu'en termes de lois, décrets et circulaires.

" Coopérer "



J'ai maintes fois souligné que ma conception du rôle de Médiateur m'inclinait non à dresser davantage encore les administrés contre leur administration, mais au contraire à les en rapprocher en incitant chacun à mieux comprendre l'autre.

Pour se comprendre, il faut d'abord dialoguer. S'il est inadmissible, de la part d'une Administration, d'opposer un silence méprisant à des réclamations (cela hélas, arrive parfois) s'il est inacceptable que les réponses soient dilatoires, légères, voire fausses, et si, en de pareils cas, le Médiateur doit intervenir avec fermeté pour mettre fin à de telles pratiques, ses contacts avec l'Administration - à tous les échelons - en vue d'instruire à fond un dossier litigieux, doivent revêtir le caractère de relations courtoises, confiantes, et souvent cordiales.

L'administration n'est pas pour moi un adversaire à combattre.

Coopérer avec elle dans la recherche de la vérité, dans la poursuite d'une solution amiable, telle est la méthode que j'ai choisie.

Elle exige une compréhension réciproque qui commence aux plus hauts niveaux: celui même du Président de la République, à qui je soumets pour accord de principe préalable des projets importants comme le renouveau de l'Esprit civique. Celui du Premier ministre et des membres du Gouvernement.

Parmi les Ministres, celui avec lequel mes rapports sont les plus fréquents est le Secrétaire d'Etat à la Fonction Publique et aux Simplifications Administratives, M. Jean Le Garrec.

Je lui communique les propositions de réforme que j'adresse aux différents Ministres concernés, et lui fait part plus particulièrement de celles qui entrent dans son champ d'activité propre. Grâce à ces contacts, et en multipliant, avec le concours du Secrétaire Général du Gouvernement M. Fournier, les tables rondes interministérielles et les réunions d'arbitrage, mes collaborateurs ont pu faire accélérer utilement l'étude des propositions élaborées, et en faire aboutir un nombre important (environ la moitié des 135 propositions émises au cours de ces 5 dernières années ont été acceptées et mises en oeuvre). Ces réunions d'arbitrage sont présidées par Mme Puybasset: y participent mon Directeur de Cabinet Pierre Bracque, les responsables du secteur Réformes du Médiateur, et des représentants des Ministères concernés.

Coopérer, c'est étendre ces rencontres aux cabinets ministériels, grâce au Correspondant du Médiateur désigné par chaque Ministre; aux grandes Directions des Administrations Nationales (Budget, Impôts, Trésor, Equipement, etc...) afin d'établir des liens personnalisés.

Coopérer, c'est enfin insuffler à l'Administration et aux services publics le désir de mieux tendre l'oreille aux plaintes et aux suggestions des administrés, non seulement à travers les propositions de réforme du Médiateur, mais directement, par le canal des agents qui sont en permanence au contact du public.

Cet esprit d'auto-réforme ne peut procéder que d'une responsabilisation accrue de tous les fonctionnaires, quel que soit leur niveau dans la hiérarchie. C'est pourquoi j'ai suggéré que cette responsabilisation commence par ce que l'on a appelé, assez improprement, la levée de l'anonymat. Je vois, pour ma part, dans la personnalisation de chaque agent, non une brimade, comme certains l'ont injustement ressenti, mais une promotion dans l'ordre des responsabilités.

Pourquoi les seuls Directeurs ou Cadres supérieurs auraient-ils le droit d'être connus par leur nom, les agents des catégories plus modestes étant voués à l'obscurité d'une responsabilité collective ?

Je note, dans ce domaine, une évolution favorable à l'instauration, entre fonctionnaire et public, d'un type nouveau de rapports effaçant peu à peu l'image du " pot de terre contre le pot de fer "

Le contact avec les élus ne pose aucun problème au niveau des élus nationaux que sont les parlementaires. `

Je ne peux faire état ici des nombreuses lettres de remerciements ou d'encouragement qui m'ont été adressées par des membres du Parlement. J'ai reçu nombre d'entre eux, désireux de connaître le siège de l'Institution, ou de débattre avec moi d'un dossier particulièrement délicat.

Sans doute le fait d'avoir été moi-même député pendant 18 ans a-t-il facilité mes rapports avec anciens collègues et nouveaux...

Avec les Maires, les contacts sont à double sens: tantôt ils me demandent d'intervenir dans un problème affectant leur commune et dont la solution dépend de l'Etat (déviation routière, environnement, aide à l'industrialisation, etc..

Tantôt, saisi par un administré mécontent d'une décision municipale (autorisation de construire, circulation, problème scolaire, etc.) je suis moi-même amené à demander au Maire des précisions, et parfois à lui rappeler le nécessaire respect des procédures légales.

Ce dernier type d'intervention n'est pas toujours compris d'un magistrat municipal attaché légitimement à ses prérogatives, et ne connaissant pas bien la loi permettant au Médiateur de traiter des litiges mettant en cause les collectivités publiques territoriales. C'est pour mieux expliquer ce mécanisme que j'ai souhaité m'exprimer devant le congrès des Maires réunis le 23 octobre 1985 par l'Association des Maires de France.

Développer les relations internationales


Ce thème est repris dans le chapitre " Vie de l'Institution ". Je ne m'y arrêterai donc que pour marquer la place prise en Europe et dans le Monde par les Institutions appelées Ombudsman, Protecteur du Citoyen, Défenseur du Peuple ou Médiateur. Et pour souligner la place honorable tenue par le Médiateur de la République française, désigné par ses pairs pour siéger au Comité International' Permanent des Ombudsmans, et au Bureau de l'Institut International du Médiateur. Ce qui m'a permis de participer à de multiples réunions et de représenter l'Institution française à Ottawa, à Jérusalem, à Copenhague, à Stockholm, à Madrid, à Fidji, etc…, et aussi d'exposer le fonctionnement du système français à Bruxelles, Genève, Rome, et à des représentants, venus en visite à Paris, de Gouvernements ou d'universités d'Argentine, de Grèce, du Nigéria de Costa Rica, de Colombie, d'Italie, du Japon...

L'établissement de relations suivies avec les Ombudsmans de pays démocratiques où existe cette Institution, et particulièrement, dans le cadre européen, ne peut que contribuer grandement à consolider dans notre propre pays.

Qui pourrait, demain, songer à supprimer l'Institution du Médiateur, ou même réduire ses pouvoirs ? La question ne se pose même plus. Elle fait désormais partie intégrante de notre système démocratique .

II-RESPECTER ET FAIRE RESPECTER L'INDEPENDANCE DU MEDIATEUR


Lors de la création de l'Institution, des craintes s'étaient exprimées : le domaine d'intervention du Médiateur ne pourrait, pour certains, qu'empiéter sur le domaine des autres Institutions, comme le Conseil d'Etat, les Tribunaux administratifs. Le risque de voir opposer l'équité au droit était aussi mis en avant par les adversaires de l'Institution. A l'usage, ces craintes se sont avérées vaines.

Je me suis efforcé d'établir avec toutes les juridictions des rapports clairs et confiants. En particulier avec le Conseil d'Etat et sa section du Rapport et des Etudes.

Depuis " l'arrêt Retail " qui a défini les rapports qui doivent s'établir entre l'Institution du Médiateur d'une part ; et la Justice, l'Administration, les Pouvoirs exécutif et législatif d'autre part, nos relations ont été sans nuages. Plusieurs études ont été demandées au Conseil d'Etat, dont les pouvoirs en matière d'exécution des décisions de Justice ont été également sollicités par le Médiateur.

Par ailleurs, j'ai fait parvenir à l'ensemble des Tribunaux administratifs des notices concernant les pouvoirs et le mode de saisine du Médiateur. Ces notices permettant à ceux qui souhaitent régler leur litige à l'amiable d'être informés du recours possible à cette Institution.

Cette collaboration heureuse pouvant contribuer à résorber le flot des dossiers qui engorgent les contentieux et condamnent les Tribunaux administratifs à des délais dont la durée est mal supportée par les justiciables. Et par les magistrats eux-mêmes.

J'ai d'ailleurs soumis au Garde des Sceaux diverses propositions visant à alléger la tâche des Tribunaux administratifs.

Respectueux de l'indépendance de la Justice, auprès de laquelle il n'intervient que pour demander éventuellement l'accélération d'une procédure, le Médiateur a tout naturellement préservé sa propre indépendance.

Par la réserve qu'il s'est imposée dans le discours politique, il a apporté la preuve de son objectivité. Le fait que la quasi totalité des députés, toutes opinions confondues, se soit adressée à lui pendant la législature qui s'achève, constitue la reconnaissance de cette objectivité.

Aucune autorité n'ayant tenté de lui imposer ses vues, il n'a pas eu à réclamer le respect de l'article premier de la Loi de 1973 qui proclame que le Médiateur ne reçoit d'instruction d'aucune autorité.

Pas davantage il n'a été soumis à quelque pression que ce soit pour orienter l'instruction de ses dossiers ou modifier ses propositions de réforme.

Dans un monde où l'interdépendance devient de plus en plus la règle, l'indépendance réelle dont jouit le Médiateur est un phénomène qui mérite d'être souligné.

A noter cependant une évolution dans le statut du personne de l'Institution qui doit retenir l'attention. Ce personnel était, dans sa majorité, lié par contrat pour la durée du mandat du Médiateur. Situation bien instable, à l'heure où chacun recherche la sécurité de l'emploi, et bien délicate pour ceux qui étaient en collaboration quotidienne avec les fonctionnaires détachés ou mis à disposition travaillant dans les services du Médiateur.

Cette dualité était difficile à prolonger alors que, dans tous les organismes d'Etat s'amorçait une titularisation progressive généralisée du personnel contractuel. Le Médiateur a donc proposé que son personnel bénéficie aussi de cet avantage. Dans un premier temps, le personnel de catégories et D a été titularisé. On pourrait craindre que cette " fonctionnarisation " du personnel soit préjudiciable à l'indépendance de l'Institution. Son caractère spécifique sera d'autant plus sûrement préservé que sa personnalisation est évidente.

J'ai souvent rappelé que le législateur n'avait pas choisi par hasard le terme de " Médiateur " plutôt que celui de Médiation. Il a voulu donner à celui qui incarne l'Institution une responsabilité personnelle. C'est bien ainsi que je l'ai interprété. Tant que le Médiateur de la République ne transigera pas sur les principes qui régissent sa mission, tant qu'il s'imposera à tous par la haute idée qu'il se fait des devoirs de sa charge, il forcera au respect de son indépendance.

III -DEFENDRE LES DROITS DE LA PERSONNE HUMAINE


Parlant des pouvoirs du Médiateur, et méconnaissant sans doute l'arsenal varié de ses moyens d'interventions, certains ont parfois regretté qu'il ne soit pas un " vrai Ombudsman ".

Ce regret, qui procède d'une sympathie à l'égard de l'Institution, n'a pas lieu d'exister. Des comparaisons que j'ai été amené à faire avec les pouvoirs dont disposent les Ombudsmans européens et même mondiaux, il ressort que l'Institution française n'a rien à leur envier sur ce plan.

Sans revenir sur l'indépendance dont elle jouit, je constate que le champ ouvert à son intervention est des plus larges, et au surplus qu'elle dispose, au lieu d'être confinée dans l'étude répétitive des dossiers, du pouvoir de propositions de réformes dont ne bénéficient pas tous les Ombudsmans. Le système français, très personnalisé, n'est pas limité à l'examen des " pétitions " comme le sont certains " Commissaires " parlementaires.

Sans doute les moyens matériels dont il dispose sont-ils en deçà de ceux dont bénéficient d'autres Ombudsmans... Et, par ailleurs, l'appellation " Médiateur " à la fois trop banalisée, et trop synonyme de " conciliation ", est-elle moins expressive que celles de " Protecteur du Citoyen " ou " Défenseur du Peuple ", qui reflètent bien l'ambition- légitime- de ceux à qui est confiée une Mission allant bien au-delà de la lutte contre la " paperasserie ".

Le Médiateur de la République Française, par le moyen des propositions de réformes, accède à ce rôle. Il considère que l'autorité morale qui s'attache à son Institution lui permet d'être l'un des défenseurs des Droits de la Personne humaine.

Parallèlement à son action réformatrice touchant aux problèmes de la vie de tous les jours (simplifications, harmonisations, concertations...), il a engagé un processus de réformes visant à mieux défendre les Droits de l'Homme et du Citoyen, les libertés, la Démocratie.

Cette préoccupation se trouve dans le traitement des dossiers où sont en cause expulsions, saisies, naturalisations, licenciements, jugements non appliqués, etc.; et dans des propositions de réformer abordant les problèmes familiaux (enfance malheureuse, disparitions, adoptions, etc.), l'humanisation de l'administration, l'amélioration des procédures judiciaires et administratives, et surtout la responsabilisation des citoyens par une juste appréciation de ses devoirs autant que de ses droits.

Ces réformes ont été largement traitées dans le rapport annuel de l'année 1984, et certaines sont développées dans le chapitre qui leur est consacré dans ce rapport. Je me contente donc de les évoquer brièvement.

IV -AMORCER UN CHANGEMENT DE SOCIETE


Peut-être mon ambition déborde-t-elle ici le cadre strict des pouvoirs accordés au Médiateur. J'en prends le risque, l'enjeu é tant d'importance.

Je n'ai jamais su, en effet, me satisfaire de demi-mesures, et des tâches imparfaitement accomplies.

Je sais qu'il ne m'appartient pas de décider à la place de l'exécutif, ni de me substituer à des formations politiques pour proposer des changements affectant les structures de notre Nation.

Mais j'ai la conviction, que je n'ai cessé d'exprimer dans chacun de mes Rapports annuels, que le redressement de notre Pays face à la crise qui secoue le monde entier, passe par une autre conception des rapports, au sein de notre société que ceux de l'égoïsme forcené, ou de l'indifférence.

Vouloir remettre à l'honneur des valeurs traditionnelles comme la responsabilité, la solidarité, la fraternité peut sembler une entreprise utopique; un peu " passéiste " aux yeux de certains.

C'est pourtant l'objectif que je poursuis, malgré les difficultés accumulées.

En croyant pouvoir l'atteindre car il répond à un courant d'opinion encore sous-jacent, mal exprimé, qui est lassé de l'agressivité, de la violence, du chacun pour soi, qui nous mènent à une forme rampante de décadence.

Courant qui ne doit pas être canalisé par des mouvements extrémistes faisant appel à ces sentiments plus bas, toujours prêts à resurgir, eux, qui ont nom intolérance, racisme, nationalisme exacerbé, fanatisme.

Retrouver les valeurs fondamentales qui ont permis d'instaurer la démocratie et la République, voilà le pari. Pour le gagner, il convient d'adapter ces valeurs aux exigences de la vie moderne.

De chercher à combler le fossé qui sépare les générations d'avant et d'après l'informatique, d'avant et d'après l'espace. De faire en sorte que l'évolution technologique ne rejette pas dans les oubliettes l'humanisme qui doit être plus présent encore dans notre mode de vie.

C'est bien mettre en cause la société fermée, formelle, bien campée sur ses certitudes et sur ses avantages acquis, qu'ont tendance à vouloir maintenir en l'état non seulement ceux qui jouissent de privilèges, mais aussi ceux qui ont peur de perdre les modestes avantages qui leur ont été concédés.

Ranimer la flamme civique c'est rendre sa dignité à la personne humaine, c'est responsabiliser le citoyen, c'est aussi ouvrir les portes d'un avenir différent, où pourront se conjuguer valeurs anciennes et libertés nouvelles au sein d'une société plus conviviale.

Commencer par le dialogue, poursuivre par la concertation, achever dans la solidarité, tel est le processus, dont le mode d'emploi est le civisme, pour construire la société harmonieuse de notre temps.

Dans le rapport 1984, je rappelais ce que j'écrivais déjà sur ce thème en 1978, témoignant ainsi de la continuité de ma pensée et de mon action.

J'en rapporte une fois encore l'essentiel:

" J'ai souvent rappelé à nos compatriotes, si enclins à se référer aux Droits de l'Homme, qu'à côté de ces Droits existent des Devoirs, bien souvent oubliés"

" Le retour au civisme reste à mes yeux la condition indispensable au redressement de notre pays."

" Les responsables politiques doivent prendre en compte cette aspiration encore mal formulée, et ne pas la considérer comme utopique."

" Est-il impensable qu'ils parviennent à allier l'action quotidienne à la réflexion sur l'avenir de notre société ?"

" Et, pour cela, donnant, les premiers, l'exemple du sens civique, qu'ils renoncent à l'affrontement permanent qui transforme notre pays en champ clos des combats idéologiques." Le bilan de cinq ans d'efforts que constitue ce dernier rapport permettra de porter un jugement sur la part que le Médiateur et son Institution ont assumée dans la prise de conscience de cette nécessaire orientation, au-delà des péripéties politiques que traverse notre pays. Travail d'équipe, mais aussi engagement personnel; tout effort collectif laisse entière la responsabilité de chacun.

Je revendique la mienne.

Robert FABRE,

Médiateur de la République.



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