Année 1986


LES POUVOIRS DU MEDIATEUR




Les pouvoirs du Médiateur sont organisés en fonction de sa compétence particulière et de l'objectif spécifique qui lui est assigné.

I - La compétence du Médiateur



Elle est à la fois originale et restreinte.

a) Originalité

Il a été écrit plus haut que le Médiateur avait été créé à la fois pour sécuriser le citoyen face au pouvoir des administrations et pour contribuer à aider les administrations à mieux adapter leurs décisions aux exigences nouvelles de la vie sociale.

C'est pour répondre à cette finalité que le législateur a voulu introduire dans les institutions de l'Etat un Médiateur qui disposât d'une partie des pouvoirs confiés aux ombudsmen des pays nordiques et anglo-saxons, c'est-à-dire une personnalité qui fût extérieure au Parlement et à l'administration sans être un juge.

Cependant le Médiateur doit avoir les réflexes d'un juge, comprendre l'administration et répondre à l'attente des parlementaires. Sa compétence en découle.

Le Médiateur n'est ni un juge ni un arbitre

On ne répétera jamais assez que, si le Médiateur doit avoir les réflexes d'un juge lorsqu'il examine une réclamation, il ne dit pas le droit. Ce pouvoir appartient au juge compétent.

La tentation est cependant grande de se comporter en juge ou en arbitre devant une contestation juridique dont la solution apparaît évidente, de prendre parti dans le débat avant que le juge ne se soit prononcé. D'autant plus que, dans bien des cas, une affirmation nette du droit rendrait service au citoyen en lui évitant d'avoir à engager ou à poursuivre un procès.

Mais ce n'est pas le rôle du Médiateur.

Aussi, ma première préoccupation est-elle de ne pas empiéter sur la compétence du juge qualifié. Cela ne m'interdit pas, dans le souci d'aider celui qui s'adresse à moi, de lui faire connaître d'une manière nuancée, ma position de juriste, en lui laissant, évidemment, la responsabilité du parti à tirer de l'information que je lui communique.

Le Médiateur n'est pas non plus un arbitre qui, choisi par les parties en cause, leur dicterait la solution à adopter. Le Médiateur peut seulement suggérer l'attitude qu'il conviendrait d'adopter pour que l'administration fonctionne mieux et que ses décisions soient équitables.

Le Médiateur apprécie les réclamations selon des critères nouveaux

La loi du 3 janvier 1973 avait chargé le Médiateur de recevoir " les réclamations concernant, dans leurs relations avec les administrés, le fonctionnement des administrations... ". Elle avait ainsi défini ses pouvoirs :

" Lorsqu'une réclamation lui paraît justifiée, le Médiateur fait toutes les recommandations qui lui paraissent de nature à régler les difficultés dont il est saisi et, le cas échéant, toutes propositions tendant à améliorer le fonctionnement de l'organisme concerné ".

La notion de bon fonctionnement

C'était donc la notion du bon fonctionnement de l'administration qui, dans l'esprit du législateur de 1973 définissait la mission du Médiateur.

En visant uniquement le fonctionnement des administrations la loi excluait, a contrario, leur organisation. Autrement dit, le Médiateur devait prendre les administrations " en l'état " avec leur organisation et leurs moyens d'action. Il était simplement invité à apprécier si elles avaient bien ou mal fonctionné dans ce contexte.

La loi de 1973 limitait donc la compétence du Médiateur à l'appréciation de la qualité du fonctionnement du service public. Le Médiateur devrait donc uniquement répondre à la question de savoir si le fonctionnement du service critiqué avait été bon ou mauvais.

C'est seulement s'il avait été mauvais que le Médiateur pouvait intervenir auprès de l'organisme concerné. Mais uniquement dans le cas où cette intervention lui paraissait de nature à régler les difficultés. Ce champ d'intervention ne dépassait guère celui du juge administratif.

Aussi le Médiateur n'était-il en droit d'intervenir auprès d'une administration que s'il estimait que le fonctionnement de celle-ci avait été probablement mauvais et qu'il avait le sentiment qu'il existait une solution pour régler la difficulté signalée.

Or la qualité du fonctionnement de l'administration n'est pas toujours facile à apprécier. Il y a toujours un bilan à établir entre ce que devait faire théoriquement l'administration et ce qu'elle pouvait faire en pratique.

Sans doute, existe-t-il des cas simples où la légitimité de l'intervention s'impose: ce sont tous ceux qui révèlent une inertie évidente, une incapacité certaine, une mauvaise volonté flagrante, une erreur intellectuelle ou matérielle incontestable. Mais il est des faits plus délicats à analyser et des situations difficiles à apprécier.

L'appréciation que le Médiateur portera alors sera, évidemment, pour partie subjective : elle peut fort bien différer de celles des organismes administratifs de contrôle ou des chefs des administrations.

C'est ainsi que s'expliquaient les situations de blocage lorsque le Médiateur ne parvenait pas à faire changer d'avis les chefs des administrations concernées. Dans ces cas, le Médiateur ne pouvait faire de suggestion dans le cadre de la loi de 1973, puisqu'il n'existait pas de solution de nature à régler la difficulté.

Toutefois, même si un blocage de l'administration empêchait, en fait, une solution du litige, la loi de 1973 permettait au Médiateur de signaler le cas, dans son rapport annuel, et l'autorisait à saisir le ministre concerné d'une proposition tendant à améliorer le fonctionnement de l'organisme mis en cause.

Ainsi, dans cette traque des mauvais fonctionnements des administrations, on peut dire que la loi de 1973 invitait seulement le Médiateur à se comporter comme un conseiller extérieur à l'administration.

Il est vite apparu que fonder l'intervention du Médiateur, comme le faisait la loi de 1973, sur la qualité du fonctionnement de l'administration, était trop restrictif. La loi du 24 décembre1976 a élargi de façon originale son champ d'action en y introduisant la recherche de l'équité.

La notion d'équité

Intervenue sous le Gouvernement de M. Raymond Barre et la présidence de M. Valéry Giscard d'Estaing, la loi du 24 décembre 1976 précise en effet :

" Lorsqu'il apparaît au Médiateur, à l'occasion d'une réclamation dont il a été saisi, que l'application de dispositions législatives ou réglementaires aboutit à une iniquité, il peut recommander à l'organisme mis en cause toute solution permettant de régler en équité la situation du requérant, proposer à l'autorité compétente toutes mesures qu'il estime de nature à y remédier et suggérer les modifications qu'il lui paraît opportun d'apporter à des textes législatifs ou réglementaires ".

Ce qui a été écrit sur la qualification du fonctionnement d'un service administratif vaut, me semble-t-il a fortiori, pour le caractère équitable ou non d'une décision administrative. Il y a plusieurs raisons à cela.

En premier lieu, la notion de décision équitable est encore plus imprécise que celle de bon fonctionnement parce qu'elle est encore plus imprégnée de subjectivité.

En second lieu, l'appréciation que le Médiateur est invité à livrer n'est limitée ni par la considération des moyens dont disposait l'administration, ni par le contexte juridique dans lequel la décision a été prise.

En troisième lieu, le Médiateur se prononce sur un résultat, sur les conséquences de la décision administrative. Cette grande liberté d'appréciation est heureusement complétée par celle d'être juge de l'opportunité de son intervention.

Autrement dit, le Médiateur n'est jamais tenu d'intervenir, c'est-à-dire de " recommander à l'organisme mis en cause toute solution permettant de régler en équité la situation du requérant ". En pratique, avant de s'engager le Médiateur s'efforce d'avoir une vision globale des moyens dont dispose l'administration et de l'importance de ceux qu'elle peut espérer.

Cela amène parfois le Médiateur à prendre des décisions qui peuvent apparaître elles-mêmes inéquitables du point de vue du citoyen. C'est le cas lorsque le Médiateur refuse d'intervenir pour demander à l'administration de lever les délais de forclusion malgré l'intérêt de certaines situations individuelles. C'est encore le cas lorsque le Médiateur maintient le caractère souverain des décisions des jurys de concours ou d'examens. Cela se produit encore lorsque le Médiateur se refuse à désavouer les résultats d'expertises lorsque celles-ci ne comportent ni erreurs matérielles ni contradictions flagrantes.

Des cas variés d'iniquités

En effet, l'étude de plusieurs milliers de dossiers permet de relever bien des cas de mauvais fonctionnement du service public, d'iniquité ou plus généralement d'inadaptation des règles ou procédures appliquées par l'administration qui justifient l'intervention du Médiateur.

Les lacunes de la loi sont souvent sources de difficultés qui ne peuvent être surmontées que par des propositions de réformes. Cela fut le cas pour l'indemnisation des victimes d'attentats ou pour la couverture sociale des stagiaires des travaux d'utilité collective. En attendant que ces réformes aboutissent le Médiateur peut demander à l'administration de retenir une interprétation constructive des textes. Ainsi, l'administration des impôts a accepté d'assimiler l'enfant adopté par un veuf à l'enfant né du mariage.

Mais parfois c'est justement la contradiction d'interprétation entre deux services qui est la cause d'incompréhension ou d'incohérence, qu'il s'agisse par exemple des divergences entre certificats d'urbanisme et permis de construire, ou sur la notion " d'amélioration de l'habitat ", entre le ministre de l'Urbanisme et l'administration fiscale.

Des attitudes trop rigides se rencontrent parfois dans la défense des droits de la collectivité. Les fonctionnaires ont parfois tendance à se prévaloir d'une manière rigoureuse de la position dominante que leur confère le droit lorsqu'il s'agit par exemple, d'un jugement favorable ou d'un délai de forclusion.

Les cas rencontrés les plus fréquemment résultent d'erreurs dans l'application des textes et dans l'exercice du pouvoir d'appréciation dont disposent les fonctionnaires. De nombreux cas présentés dans la deuxième partie du rapport illustrent cette catégorie, par exemple:   l'erreur d'orientation professionnelle d'un élève daltonien, l'imposition aux droits de succession sur des biens non encore entrés dans le patrimoine, les poursuites dirigées contre la femme séparée, les erreurs dans la réexpédition du courrier, le refus de présomption de valider des périodes travaillées pour le calcul de la retraite.

Enfin, l'apparente mauvaise volonté - qui s'explique le plus souvent par le souci de ménager les intérêts du service - se rencontre quelquefois. Elle apparaît dans les refus d'indemnisation ou les refus d'exécution d'une décision de justice.

En habilitant le Médiateur à agir sur le plan de l'équité, le législateur lui a donné mission de déborder le cadre strict de l'action administrative traditionnelle.

L'intervention dans les affaires de l'Etat

En effet, en proposant " à l'autorité compétente toutes mesures qu'il estime de nature à remédier " à la conséquence inéquitable d'une décision, le Médiateur quitte le terrain du fonctionnement de l'administration et aborde celui de choix de pure opportunité au plus haut niveau. Cela est clair lorsque le Médiateur recommande une solution qui comblera une lacune de la loi ou d'un règlement ou lorsqu'il propose un moyen de dépasser le blocage résultant du heurt de deux interprétations opposées dans l'application de la loi au niveau des ministères techniques d'un côté et du ministère des Finances de l'autre. C'est aussi le cas lorsque le Médiateur recommande à une administration de ne pas aller jusqu'au bout de ses droits reconnus dans un litige avec un citoyen et qu'il lui demande de régler l'affaire sur une base équitable compte tenu des circonstances de l'affaire.

La participation à l'effort législatif

La loi de 1976 est allée encore plus loin lorsqu'elle invite le Médiateur à " suggérer les modifications qu'il lui paraît opportun d apporter à des textes législatifs ou réglementaires ou lorsqu'elle permet au président du Sénat ou au président de l'Assemblée nationale de " transmettre au Médiateur toute pétition dont son assemblée a été saisie ".

Cette fois le Médiateur est sollicité d'apporter son concours au Parlement et à l'autorité investie du pouvoir réglementaire pour adapter la loi et ses décrets d'application.

Il s'agit cependant d'une invitation limitée à l'amélioration des lois et règlements existants. Le Médiateur ne dispose ni du droit de proposer de nouvelles règles à la société, ni de celui de promouvoir de nouvelles dispositions réglementaires. Le Médiateur ne doit se considérer ni comme le ministre des réformes ni autorisé à empiéter sur le domaine du Parlement.

Concrètement, lorsqu'une réforme paraît nécessaire, le ministre concerné est informé en priorité. Ses collègues, au premier rang desquels se trouve le ministre chargé des réformes administratives, sont saisis ensuite.

Ce ne sera qu'à l'expiration d'un délai raisonnable que le texte de la réforme sera communiqué au parlementaire dont l'intervention est à l'origine de la démarche. Il appartiendra à celui-ci de prendre, s'il le souhaite, l'initiative de déposer une proposition de loi.

Mais les initiatives parlementaires qui sont en cours pourront modifier mon attitude. En effet, des députés, notamment M. Jean Louis Masson, souhaitent que le Parlement soit saisi des propositions du Médiateur en même temps que le Gouvernement. Mon comportement s'adaptera à ce qui sera décidé. Cela ne devrait d'ailleurs pas soulever de difficultés puisque les propositions du Médiateur ont toujours pour but l'amélioration des relations entre les usagers et le service public.

b) La compétence d'attribution

Même, dans son domaine particulier, la compétence du Médiateur n'est pas de droit commun. Il s'agit d'une compétence d'attribution soumise à une procédure.

D'abord l'intervention du Médiateur doit être sollicitée et elle ne peut porter que sur certaines difficultés.

Une réclamation est nécessaire

Le Médiateur ne peut s'immiscer de son propre chef dans le fonctionnement de l'administration.

Il ne peut agir que s'il est sollicité de le faire par une réclamation émanant d'un citoyen ou par un parlementaire.

En effet, la loi de 1973 a exigé la présentation d'une " réclamation individuelle " par une personne physique. Cela reste toujours vrai, mais la loi de 1976 a assoupli un peu cette exigence en prévoyant que : " Est considérée comme individuelle la réclamation présentée au nom d'une personne morale si la personne physique qui la représente a elle-même un intérêt direct à agir ".

Mais je considère que l'ouverture est étroite et qu'il faut que la personne physique qui présente la réclamation, généralement en tant que dirigeant d'une entreprise ou d'un syndicat, ait également un intérêt personnel à agir qui diffère de celui que la personne morale poursuit. La recevabilité des réclamations des personnes morales est ainsi moins large que celle qui est admise par la juridiction administrative qui accueille les recours des collectivités territoriales, des établissements publics, des organismes investis d'une mission de service public et des organisations syndicales contre les décisions administratives dès lors qu'elles leur font grief

A cette restriction s'ajoutent celles qui découlent de l'objet de la réclamation.

La réclamation ne peut être dirigée que contre l'action des services publics

La loi de 1973 décide que le Médiateur ne peut connaître que " des réclamations concernant, dans leurs relations avec les administrés, le fonctionnement des administrations de l'Etat, des collectivités publiques territoriales, des établissements publics et de tout autre organisme investi d'une mission de service public ". (Article I).

Encore une fois je rappellerai que les litiges d'ordre privé, aussi bien que ceux qui opposent les personnes privées entre elles que ceux qui mettent aux prises les intérêts d'un citoyen et les intérêts privés d'une collectivité publique, sont hors du champ de la compétence du Médiateur.

Mais la loi contient également des zones d'interprétation.

Il en va ainsi, pour la mise hors du champ de la compétence du Médiateur, des difficultés qui relèvent non du fonctionnement du service public, mais de son organisation. C'est ainsi que j'ai déclaré irrecevables des réclamations présentées contre les décisions portant répartition des classes dans un rectorat, contre le recrutement d'agents par concours ou contre l'insuffisance du personnel dans une administration.

Sont également hors de la compétence du Médiateur " les différends qui peuvent s'élever entre les administrations et organismes investis d'une mission de service public ... et leurs agents ", avant la cessation de leurs fonctions. Pourtant le Médiateur est encore très souvent saisi de ce genre de litige. Par contre le Médiateur est compétent pour le calcul des retraites comme pour l'imputation des infirmités au service lorsque les réclamations sont présentées par des retraités ou leurs ayants droit.

Une difficulté fréquente se présente quant à la recevabilité d'une réclamation contre une décision d'un " organisme investi d'une mission de service public ". Elle n'est pas nouvelle puisque il y a plus de dix ans mon prédécesseur avait posé la question au Conseil d'Etat de savoir si un organisme gérant un régime de retraites complémentaires pouvait être regardé comme investi d'une mission de service public. Dans son avis du 6 juillet 1976 le Conseil d'Etat a estimé que " compte tenu des conditions de leur création, de leur mode de gestion et des contrôles auxquels ils sont assujettis " des organismes comme l'institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques (IRCANTEC) devaient être regardés comme investis d'une mission de service public. En revanche, le Conseil d'Etat a considéré que d'autres institutions, gérant des régimes complémentaires de retraites de salariés du secteur privé, poursuivaient un but d'intérêt général, mais ne pouvaient être rangées dans la catégorie des organismes investis d'une mission de service public en raison de " leur origine purement conventionnelle " et de " l'autonomie et du caractère purement privé des institutions qui gèrent ces régimes de retraites ".

J'entends, pour ma part, reconnaître les organismes investis d'une mission de service public selon les critères retenus par le Conseil d'Etat. Et je donne raison à ceux qui ont protesté contre une autre attitude. Mais cela ne signifie pas que je méconnaisse l'utilité de bons rapports avec les organismes qui sont hors du champ de la compétence du Médiateur. Tout au contraire, il y a avantage mutuel à ce que le Médiateur informe ces organismes des réclamations qui les intéressent et qu'il coopère avec eux s'ils le souhaitent.

Des difficultés peuvent découler aussi de la contestation sur la nature de l'acte émanant de l'administration et incriminé par un réclamant. Lorsqu'il s'agira de savoir si un acte a ou non le caractère d'une décision administrative, je m'appuierai sur la définition qu'en donnerait le Conseil d'Etat.

Ce n'est donc que dans un domaine limité que le Médiateur peut user de ses pouvoirs.

II - Nature des pouvoirs du Médiateur



La loi a reconnu au Médiateur la faculté de faire des recommandations aux pouvoirs publics, de leur adresser des injonctions, d'engager une procédure disciplinaire contre un agent, et de leur proposer des modifications des lois et règlements.

Les recommandations

La loi de 1973 a prévu que :

" Lorsqu'une réclamation lui paraît justifiée, le Médiateur fait toutes les recommandations qui lui paraissent de nature à régler la difficulté dont il est saisi. " (article 9).

La loi de 1976 y a ajouté

" Lorsqu'il apparaît au Médiateur... que l'application des dispositions législatives ou réglementaires aboutit à une iniquité il peut recommander à l'organisme mis en cause toute solution permettant de régler en équité la situation du requérant ".

Ainsi la loi de 1973 autorise une intervention au niveau des services administratifs par la procédure de la recommandation. Celle-ci permet de demander au service intéressé de procéder à un nouvel examen de la difficulté signalée, soit pour obtenir une meilleure appréciation des droits du réclamant, soit pour que le service intéressé use de son pouvoir discrétionnaire d'une manière plus favorable au réclamant. La recommandation peut consister aussi à demander à deux services relevant de personnes morales distinctes ou de ministères différents de mettre fin à leur opposition pour régler un cas d'espèce. Elle peut aussi tendre à faire réparer correctement le dommage subi par le citoyen.

L'usage des recommandations peut aussi prendre des formes diverses adaptées aux circonstances. Il peut aller du simple échange d'informations jusqu'à la mise en demeure en passant par toutes les nuances de la suggestion. C'est un travail de diplomatie.

La sanction de la recommandation est purement morale : le Médiateur peut publier ses recommandations.

La recommandation a un caractère solennel dont le service public concerné doit être préalablement informé. On ne doit y recourir qu'en désespoir de cause.

A titre d'exemple l'affaire n° 83 I I5I est très éclairante.

J'ai plaisir à la citer, car je dois remercier le ministre concerné. Celui-ci a finalement pris la décision qui convenait pour régler en équité l'affaire qui posait problème. Il a mis fin à un litige très ancien légué par ses prédécesseurs et dont il est probable qu'il n'a eu personnellement connaissance qu'en recevant la recommandation.

En premier lieu, le résumé de l'affaire montre que le Médiateur ne peut se dérober à l'exercice du pouvoir de recommandation qu'il tient de l'article 9 de la loi du 3 janvier 1973 et qui lui permet, lorsqu'il constate une iniquité de " recommander à l'organisme mis en cause toute solution permettant de régler en équité la situation du requérant ". J'estime qu'il a moralement " compétence liée " dans certains cas.

En second lieu, elle prouve que la recherche d'un accord amiable non formaliste avec l'administration est toujours prioritaire et que je ne me résous à user de ce pouvoir de recommandation que lorsque cette procédure solennelle, s'adressant directement au ministre, peut seule permettre de débloquer la situation.

En troisième lieu, il apparaît qu'il n'est recouru à la recommandation que si, d'une part, les obstacles de procédure administrative et les considérations d'ordre juridique doivent être écartés par la nécessité d'adopter une solution équitable et, d'autre part, si la solution recommandée ne risque ni d'établir un " précédent ", ni de causer un préjudice financier excessif à l'Etat qui impliquerait une appréciation relevant de la compétence du Parlement.

Enfin, on verra que la recommandation laisse l'administration libre de la suite à donner ; que la recommandation n'est ni une décision d'arbitrage ni une décision transactionnelle. Elle est une simple suggestion de solution qui n'en exclut aucune autre susceptible de mettre fin au conflit.

Le Médiateur, qui n'est pas un arbitre, ne se substitue pas à l'administration. Il appartient au ministre responsable, tenant compte des contraintes qui lui sont propres, de décider la suite à donner aux recommandations du Médiateur. Celui-ci ne peut qu'en prendre acte et en informer, le cas échéant, le Président de la République, les membres du Parlement et les administrés par le rapport annuel.

Résumé de l'Affaire G...

M. G.* est un ancien ouvrier de laboratoire d'un atelier de manométrie du ministère de la défense où il manipulait du mercure.

En 1977, il fut atteint de troubles neurologiques. Transporté à l'hôpital, une intoxication par le mercure fut diagnostiquée. Incapable de reprendre son travail, M. G.* demanda à être mis à la retraite sur la base d'une invalidité provoquée par une maladie professionnelle due à l'intoxication par le mercure. L'administration refusa de le mettre à la retraite pour cette raison, mais elle le réforma sur la base d'une maladie psychique, en lui accordant une pension d'invalidité de 80 %.

M. G.* présenta un recours gracieux, puis il se tourna vers diverses juridictions. Une forclusion lui ayant été opposée, il en appela, le 1er avril 1983, au Médiateur.

Mon prédécesseur, persuadé que la maladie de M. G.* était imputable aux manipulations effectuées dans le laboratoire de l'armée, intervint le 14 février 1984 auprès du ministre de la Défense, qui répondit négativement dès le 2 juillet 1984, au motif, d'une part, que la procédure de mise à la réforme avait été respectée et que l'expertise médicale pratiquée en cours de procédure ne concluait pas à une maladie professionnelle due au mercure ; d'autre part, les diverses actions contentieuses entreprises par M. G.* ayant toutes été rejetées, il ne paraissait pas possible au ministre " d'aller à l'encontre de ces décisions sans méconnaître l'autorité de la chose jugée ".

Cependant, en 1985, le Médiateur, impressionné par les nombreux certificats médicaux produits par l'intéressé, diligente lui-même une nouvelle expertise à l'hôpital, qui conclut : " qu'il y a bien lieu de considérer l'affection actuelle comme la conséquence d'une maladie professionnelle qui aurait dû être déclarée dans les formes légales en janvier 1977 et dont les conséquences sont actuellement parfaitement démontrables ".

De nouveaux échanges de lettres suivirent entre le Médiateur et le ministre de la défense. Mais ce dernier maintint sa position alors que M. G.*, toujours persuadé de son bon droit, alertait la presse et usait de moyens de pression.

Telle était la situation au 13 mars 1986 lorsque je reçus une lettre du ministère reprenant son argumentation antérieure en termes fermes et définitifs.

J'ai d'abord pensé que M. G.* avait probablement tort car généralement " l'administration est bonne mère " envers ses agents.

Mais l'examen des pièces du dossier montrait :

d'abord sur le plan du droit, qu'aucune décision juridictionnelle n'avait écarté la nature professionnelle de la maladie de M. G.*, mais que celui-ci s'était laissé forclore devant la Justice. Cela expliquait pourquoi M. G.* voyait dans le Médiateur sa planche de salut !

ensuite sur le plan des faits, le Tribunal administratif de Versailles avait incidemment noté, dans les motifs de son jugement, que l'imputabilité lui paraissait probable. Quant au contenu des certificats médicaux et expertises, il étayait fortement la thèse de M. G.*

Pour donner raison à l'administration il fallait admettre comme vraisemblables des hypothèses bien aléatoires : M. G.* aurait été frappé de son mal pour une " raison indépendante de son ancienne activité professionnelle ". Son encéphalopathie pourrait même être due "à une atteinte alcoolique, bismuthique, hépatique, réactionnelle, spongiforme, subaiguë à virus, etc...". Bref, la maladie dont souffre M. G.* est de toute évidence due à tout... sauf au mercure ! Et pourtant, il était reconnu qu'au moment de la première expertise en 1977, le dosage du mercure dans les urines excédait de 10 fois le taux normal ...

Alors ... mauvaise foi ? ... mauvaise volonté de l'administration ?... ou autre motif non révélé ?

Mon second réflexe a été de penser qu'une chose m'échappait. J'ai donc décidé de reprendre l'affaire en me donnant un délai de deux mois pour savoir si ce dossier devait être ou non classé et six mois pour le faire aboutir s'il le méritait.

Partant de l'idée que le ministre de la défense avait de bien trop lourdes et exigeantes obligations pour se pencher lui-même sur ce dossier avant que tous les éléments en aient été clairement établis, j'ai chargé, dans un premier temps, mes collaborateurs de se rapprocher de son cabinet pour lui faire part des raisons très sérieuses que j'avais d'estimer que le dossier de M. G.* n'avait pas été traité " équitablement ".

A la suite de ces entretiens, les collaborateurs immédiats du ministre ont bien voulu se rendre à mes raisons mais, peu après, ils faisaient savoir à la Médiature que le contrôleur financier du ministère estimait ne pouvoir autoriser l'engagement de dépenses qui était nécessaire pour indemniser M. G.* Le contrôleur se fondait pour cela sur l'interdiction qui lui est faite de permettre le paiement de sommes non dues par l'Etat.

Il a fallu une démarche auprès du directeur du budget pour dégager le contrôleur financier de ses scrupules.

Etions-nous au bout de nos peines ? C'était compter sans la capacité remarquable des " services " à récupérer les gestes jugés imprudemment généreux de leurs ministres. En effet, au moment où je croyais cette affaire réglée par le double accord des ministres des finances et de la défense, voici que le chef de cabinet de ce dernier m'adresse une lettre de refus d'indemnisation reprenant tous les arguments développés depuis six ans par les services de ce ministère.

C'est alors que, malgré ma répugnance, je décidai de m'adresser directement au ministre lui-même en recourant à la forme solennelle de la recommandation telle qu'elle est prévue par les textes définissant la mission et les pouvoirs du Médiateur.

M. André Giraud a bien voulu répondre à cette démarche exceptionnelle en acceptant un règlement amiable de l'affaire.

Je ne manquai pas, bien sûr, de remercier sincèrement le ministre de sa décision qui réglait un conflit de sept ans avec un ancien et modeste agent de la défense nationale.

Cette affaire est exemplaire à plusieurs égards : tout d'abord, elle montre la difficulté des services à reconnaître leurs erreurs ; ensuite elle révèle que dans les cas difficiles, seule l'autorité politique est capable de modifier l'attitude des services administratifs ; enfin elle permet de juger tout le travail nécessaire pour lever un à un tous les obstacles et résoudre une affaire.

Cet exemple montre aussi l'attitude du Médiateur face au service public de la Justice.

Le Médiateur et la décision juridictionnelle

La loi de 1973 avait disposé que :

" Le Médiateur ne peut intervenir dans une procédure engagée devant une juridiction, ni remettre en cause le bien-fondé d'une décision juridictionnelle ".

Cela signifie d'abord que le Médiateur ne doit pas chercher à influencer la décision du juge. Ensuite, que la décision du juge a force de vérité légale lorsqu'elle est intervenue. Le Médiateur respecte évidemment l'indépendance des juges et l'autorité de la chose jugée. Cette disposition de la loi de 1973, prise à la lettre, comme elle devait l'être d'ailleurs, s'avéra vite gênante pour la mission du Médiateur.

En effet, le Médiateur ne tarda pas à être saisi de réclamations révélant une inadaptation de la décision juridictionnelle à la situation de justiciable. La contestation venait généralement de négligences de procédure imputables au réclamant, mais que celui-ci estimait vénielles, ou des conclusions de certaines expertises considérées comme inexactes. Mais quels que fussent les doutes sur le bien-fondé du dispositif de la décision juridictionnelle, il y avait autorité de la chose jugée et le Médiateur ne pouvait agir.

La loi de 1976 a pallié cette impossibilité en décidant d'ajouter à l'article de la loi de 1973, portant interdiction faite au Médiateur de remettre en cause le bien-fondé d'une décision juridictionnelle, une phrase : " mais (le Médiateur) a la faculté de faire des recommandations à l'organisme mis en cause ".

Cette nouvelle disposition n'autorise le Médiateur, ni à s'immiscer dans la procédure judiciaire, ni à chercher à influencer le juge. Mais elle lui permet, parallèlement au déroulement du procès, d'intervenir auprès de l'organisme mis en cause pour lui suggérer d'envisager une solution amiable du litige qui tienne compte de l'équité et pas seulement du droit. Autrement dit, le Médiateur, sans attendre ni préjuger l'issue du procès, invitera l'administration à chercher un accord avec le réclamant, compte tenu des circonstances de l'affaire et, au besoin, en lui demandant d'abandonner une partie de ses droits qui découleraient d'un jugement favorable à sa thèse.

Si l'administration concernée est d'accord pour adopter cette attitude compréhensive, il appartiendra alors au Médiateur de s'entremettre, comme dans l'affaire de M. G.* qui vient d'être analysée, pour faire lever une possible opposition du contrôleur financier qui refuserait de viser le paiement d'une somme qui ne serait pas due en droit strict.

L'injonction

Le pouvoir d'injonction donné au Médiateur a un objet plus étroit que la recommandation.

A cet égard, la loi de 1976 a prévu que le Médiateur " peut, en cas d'inexécution d'une décision de justice passée en force de chose jugée, enjoindre à l'organisme mis en cause de s'y conformer dans un délai qu'il fixe ".

Ainsi, le pouvoir d'injonction est seulement exercé pour obtenir l'exécution d'une décision de justice devenue définitive. Le Médiateur peut alors mettre en demeure l'organisme concerné d'y procéder dans le délai qu'il fixe.

Mais l'injonction ne déclenche pas l'intervention de la force publique. Seule, ici aussi, une sanction morale a été mise à la disposition du Médiateur.

En effet, la loi de 1976 stipule que : " Si cette injonction n'est pas suivie d'effet, l'inexécution de la décision de justice fait l'objet d'un rapport spécial ". Ce rapport spécial, comme le rapport annuel, est présenté au Président de la République et au Parlement. Il doit, en outre, être publié au Journal officiel. Il y a donc obligation pour le Médiateur de procéder à cette publication.

C'est incontestablement un moyen de pression qui s'ajoute à ceux que la loi a donné au Médiateur pour obtenir la collaboration des agents des services concernés par la réclamation.

L'action sur les agents des services mis en cause

La loi a prévu l'obligation pour " les ministres et toutes les autorités publiques " de faciliter la tâche du Médiateur.

Il s'agit bien d'une obligation pour les chefs des administrations. Car la loi prévoit que :

" Ils sont tenus d'autoriser les agents placés sous leur autorité à répondre aux questions et éventuellement aux convocations du Médiateur, et les corps de contrôle à accomplir, dans le cadre de leur compétence, les vérifications et les enquêtes demandées par le Médiateur. Les agents et les corps de contrôle sont tenus d'y répondre ou d'y référer. Ils veillent à ce que ces injonctions soient suivies d'effets ".

La loi dispose encore :

" A défaut de l'autorité compétente, le Médiateur peut, au lieu et place de celle-ci, engager contre tout agent responsable une procédure disciplinaire ou, le cas échéant, saisir d'une plainte la juridiction répressive ".

A ma connaissance, ces pouvoirs d'investigation et de coercition n'ont pas eu besoin d'être utilisés à ce jour.

Les propositions de réformes

On a rappelé plus haut que la loi de 1973 autorisait le Médiateur à faire :

"... toutes propositions tendant à améliorer le fonctionnement de l'organisme concerné " par la réclamation d'un citoyen.

Il a été précisé aussi que ce pouvoir de proposition avait été étendu par la loi de 1976. Celle-ci a prévu que le Médiateur, pour régler en équité une situation, peut :

"... proposer à l'autorité compétente toutes mesures qu'il estime de nature à y remédier et suggérer les modifications qu'il lui paraît opportun d'apporter à des textes législatifs ou réglementaires " (article 9).

Aussi les propositions de réformes au Médiateur sont susceptibles de couvrir un large éventail. Il peut s'agir simplement de proposer la modification d'un comportement des agents du service public ou de compléter ou de changer la loi et le règlement.

Toutes ces propositions sont suggérées par l'examen des cas concrets soumis au Médiateur. C'est ainsi que la personnalisation des agents en rapport avec le public avait été demandée au Médiateur et que les administrés souhaitaient que les décisions administratives soient plus clairement motivées.

A côté des fautes techniques, il y a aussi parfois de simples comportements qui sont mal perçus par le citoyen. Celui-ci aimerait, par exemple, que, comme tout un chacun, l'administration s'excuse des fautes qu'elle peut commettre. Bien que le réflexe ne soit pas acquis, il existe heureusement une évolution de ce côté-là dont M. Gérard Longuet, ministre délégué chargé des P. et T., a donné récemment le bon exemple en chargeant le Médiateur de l'excuser auprès d'un usager pour une erreur commise par ses services.

Le Gouvernement, au niveau du secrétaire général du Gouvernement, se préoccupe, comme il sera écrit plus loin, des suites à donner aux propositions de réformes des textes réglementaires suggérées par le Médiateur. Il a été déjà fait allusion à l'intérêt manifesté par certains parlementaires pour les réformes de textes législatifs.

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