Année 1987


INTRODUCTION



Bien que l'objet de ce rapport soit de retracer l'activité du Médiateur en 1987, il a paru utile de saisir cette occasion pour préciser l'évolution de l'Institution et, en même temps, pour porter, en guise de préambule, un jugement après deux ans de mandat.

I. LE MEDIATEUR, UNE INSTITUTION UTILE.


Il a été souvent question de médiation en 1987 : on y eut recours au début de l'année lors des grèves de la S.N.C.F. et, à la fin, avec celles du personnel de la Banque de France. Entre temps un médiateur a été désigné à diverses reprises aussi bien pour résoudre un conflit en cours que pour prévenir les tensions surgies, soit au sein d'une entreprise, soit dans un secteur professionnel ou social déterminé.

A. LES EXPLICATIONS DE L'ENGOUEMENT


Les exemples de recours à la médiation sont trop nombreux et variés pour refléter un simple effet de mode. Quant à l'explication du besoin qu'ils traduisent, elle relève sans doute davantage de l'analyse du sociologue que de l'expérience de l'administrateur, encore que les observations des uns et des autres convergent beaucoup malgré la diversité des faits.

Dans la mesure où les constatations faites au niveau de la Médiature peuvent éclairer le phénomène, je pense qu'il existe de plus en plus de problèmes qui ne peuvent être correctement résolus dans les conditions de temps et de lieu dont disposent les institutions existantes. Les espoirs du citoyen sont dès lors mis dans le recours à une nouvelle procédure. Les parties en conflit s'accordent généralement sur celle de la médiation qui est simple, s'appuie sur le volontarisme et appelle aux concessions réciproques. En tout état de cause le recours à la médiation permettra de poursuivre la discussion, donc d'entretenir l'espoir. Mais ce n'est pas une panacée en soi.

La médiation a, en effet, ses limites. Elle ne peut avoir des résultats que si elle dispose de certains des atouts de l'arbitrage. Certes, sur le plan du droit il ne peut y avoir confusion ; mais, en fait, il est possible de donner à la médiation certains des pouvoirs de l'arbitrage. Penser qu'un médiateur réussira là où les négociateurs ordinaires ont échoué est utopique s'il ne dispose que de sa bonne volonté. Le succès d'un médiateur est lié au poids qu'il est capable de mettre dans la balance pour contraindre les points de vue opposés à se rapprocher.

B. LA SITUATION PARTICULIERE DU MEDIATEUR DE LA REPUBLIQUE


Un des privilèges du Médiateur de la République est de disposer des moyens de pression adaptés à sa mission.

Appelé à venir en aide au citoyen qu'un conflit oppose à l'Administration, le Médiateur de la République est compétent pour connaître des problèmes les plus variés et les plus imprévus.

Problèmes dont la solution est parfois urgente et ne peut être dégagée par la voie juridictionnelle. Le Médiateur est ainsi saisi à brûle pourpoint de réclamations émanant d'administrés dont l'impatience n'a d'égale que leur exigence à l'égard des services publics auxquels ils reprochent une interprétation fantaisiste ou abusive des textes, par exemple, ou encore de ralentir, faute d'instruction précise, la mise en vigueur de nouvelles dispositions. Sans méconnaître les servitudes des agents disposant de l'autorité publique, force est de constater que l'aveu ou la réparation par eux d'une négligence ou d'une erreur n'est pas une réaction naturelle. Il revient par suite au Médiateur de signaler, alors même qu'ils seraient rares, les cas de mauvaise volonté, d'entêtement ou de détournement de pouvoir imputables à l'Administration et de s'efforcer d'y porter remède.

En dépit de leur variété et de leur originalité il n'est pas vraiment très difficile pour un bon technicien du droit public ou de l'action administrative de discerner le point où blesse le bât : erreur technique ou exigence exagérée de formalisme. Si le Médiateur de la République parvient, en définitive, à régler beaucoup de ces cas c'est parce qu'il dispose de moyens qu'il a pu mettre en oeuvre grâce à l'autorité qu'il a acquise.

Parmi ces pouvoirs il y a d'abord la capacité technique de démontrer l'existence d'une erreur juridique ou l'aptitude à faire admettre l'existence de conséquences inéquitables attachées à une décision fondée en droit. Il y a aussi le pouvoir de distribuer la louange et le blâme dans un rapport annuel et dans des insertions particulières au Journal officiel. Il s'y ajoute la possibilité d'informer les ministres sur les errements de leurs services. Le Médiateur dispose ainsi du moyen de peser sur une des deux parties en conflit. Mais il s'agit de celle qui occupe la position dominante. C'est bien ce que la loi a voulu quand elle a chargé le Médiateur de rétablir un meilleur équilibre entre l'Administration et le citoyen isolé.

II. LES RESULTATS ATTEINTS


Le premier devoir du Médiateur est donc de pallier le mauvais fonctionnement des administrations et de réduire l'iniquité de leurs décisions. Ce n'est peut-être pas sa seule fonction, car il est aussi de son devoir, faute de mieux, d'expliquer et de justifier l'action administrative lorsqu'elle a été correcte ; de rappeler que certains principes ne peuvent souffrir d'exception ; qu'il arrive qu'en toute bonne foi on fasse un mauvais procès aux services publics ; bref, le Médiateur doit s'efforcer de réconcilier le citoyen avec l'Administration.

A. LA SITUATION


C'est une des raisons pour lesquelles je me suis attaché en 1987 à promouvoir une réelle déconcentration des tâches de la Médiature au profit de mes délégués départementaux. En premier lieu, un entretien du citoyen avec le délégué départemental du Médiateur est plus facile. Il permet souvent de justifier l'action administrative ; c'est parfois suffisant. En second lieu, la déconcentration permet de traiter localement de façon efficace et rapide beaucoup d'affaires d'importance secondaire qui surchargeaient d'autant mes services parisiens. Enfin l'activité des délégués départementaux permet de mieux faire connaître l'Institution au niveau où il est le plus souhaitable qu'elle le soit : celui de l'usager. En permettant un contact personnel, la déconcentration donne un visage à l'Institution, établit la confiance, ouvre la voie aux accords.

Les résultats de cette orientation apparaissent dans le total des affaires traitées, sans augmentation du nombre des agents, par l'ensemble des services de la Médiature (siège central et délégués départementaux) en 1987, soit une progression de plus de 19 % par rapport à 1986.

L'activité du Médiateur est donc importante en valeur absolue. D'autant plus que le Médiateur n'est pas compétent pour connaître des conflits entre les agents du service public en activité et leur administration, ni pour les plaintes des personnes morales ou des collectivités publiques ou territoriales.

Mais, en valeur relative, étant donné les centaines de millions de décisions administratives qui sont prises chaque année dans le champ de compétence du Médiateur, la proportion du nombre des litiges est très faible. Il n'est pas de nature à jeter le discrédit sur l'activité du secteur public d'autant plus que beaucoup de réclamations formulées sont reconnues comme non fondées par le Médiateur.

Cette impression satisfaisante du fonctionnement de l'Administration serait renforcée si tous les citoyens, qui auraient intérêt à s'adresser au Médiateur, en connaissaient l'existence et qu'aucun ne soit rebuté d'y recourir par crainte des formalités de procédure imposées. Lesquelles sont, au demeurant, peu contraignantes.

Le Médiateur peut, de son côté, regretter que ses avis ne soient seulement suivis par les pouvoirs publics que dans environ les trois quarts des cas. Il souhaiterait un meilleur pourcentage dès lors qu'il s'attache lui-même à écarter beaucoup de réclamations et qu'il s'applique à ne défendre que les causes qui lui paraissent bonnes. Il note cependant que lorsque les administrations refusent de suivre ses suggestions elles ont généralement le souci de s'en justifier.

B. IL Y AURA TOUJOURS DES PROGRES A FAIRE


Aussi longtemps que tous les citoyens, qui peuvent avoir besoin de l'aide du Médiateur, ne connaîtront pas son existence ou ne sauront pas qu'il est facile d'accès ; aussi longtemps que l'Administration répugnera à remédier à des comportements répréhensibles, les objectifs fixés par les lois de 1973 et de 1976 concernant le Médiateur ne seront pas atteints.

L'important est donc d'arriver à ce que, d'année en année, le Médiateur soit plus connu, davantage utilisé et mieux écouté.

Actuellement on peut penser qu'un Français seulement sur trois a entendu parler du Médiateur au moins une fois. Il est probable que, pas plus d'un Français sur cinq n'en a retenu le nom et que moins d'un Français sur dix a une vague idée de sa compétence. Ces estimations ne doivent pas surprendre puisqu'elles concernent une institution qui n'a que quinze ans d'existence. Un sondage des connaissances de l'homme de la rue sur la compétence du Conseil d'Etat, de la Cour des Comptes ou de la Cour de Cassation révélerait bien des surprises, alors que ces grandes institutions ont près de deux siècles d'ancienneté. Mais si nos compatriotes peuvent s'accommoder d'une connaissance imparfaite des grandes juridictions vers lesquelles ils seront, en cas de besoin, orientés et représentés par des professionnels, il ne saurait en être de même pour le Médiateur qui doit se trouver à la portée directe et facile du citoyen pour l'aider dans ses démêlés avec l'Administration.

C. L'ORIENTATION DE L'EFFORT


La vulgarisation de l'Institution a cependant été une préoccupation constante des médiateurs successifs.

A leur exemple, je saisis toutes occasions d'informer tous les relais de communication sur la Médiature.

Peut-être cependant est-ce l'information individuelle, diffusée par les citoyens qui ont été en rapport avec le Médiateur, qui constitue la meilleure des publicités. A cet égard, il est probable que les délégués départementaux du Médiateur contribueront efficacement à développer l'Institution à la fois par leur accessibilité et par les services qu'ils rendront. Car la notoriété du Médiateur dépend principalement de l'efficacité que lui reconnaîtra l'administré.

La qualité des résultats obtenus par le Médiateur dans la défense du citoyen intègre évidemment aussi le critère de la rapidité. A cet égard des progrès sont encore nécessaires. Certes beaucoup ont été accomplis mais je ne puis me résigner à ce que la durée moyenne d'instruction d'un dossier à Paris soit encore de cinq mois, alors qu'elle ne devrait pas dépasser trois mois. En ce domaine aussi le concours loyal et confiant de l'Administration m'est nécessaire.

Malgré ces difficultés et ces insatisfactions mineures l'Institution rend des services qu'elle est seule à pouvoir assurer dans le contexte où elle agit. Le nombre des parlementaires intervenants augmente, prouvant ainsi qu'ils apprécient la façon dont les dossiers sont traités. Le pourcentage d'affaires résolues s'améliore, les réformes proposées par le Médiateur et acceptées par le Gouvernement sont plus nombreuses.

Autant de signes encourageants pour persévérer dans la voie choisie et pour bien augurer de l'avenir.

III. L'EVOLUTION DE L'INSTITUTION DU MEDIATEUR


Le succès de la mission du Médiateur est évidemment lié à son statut et aux moyens d'action matériels qui lui sont donnés.

A. LA CONSOLIDATION DU STATUT


Le rapport de 1986 a appelé l'attention sur la tendance au glissement progressif de l'Institution du Médiateur vers une position de simple service administratif du Premier Ministre. Cette dérive a sa source principale dans la qualification d'autorité administrative que lui a donné le Conseil d'Etat dans une décision du 10 juillet 198I (Sieur Retail) pour la seule raison de son mode de désignation en conseil des ministres. Elle tient aussi, mais accessoirement, au fait que la ligne budgétaire du Médiateur est inscrite au budget du Premier Ministre, en vertu de l'article I 5 de la loi du 3 janvier 1973. Car les services de ce dernier, malgré leur compréhension, sont amenés, par commodité, à traiter le Médiateur sur le même plan que les nombreuses autres institutions administratives qu'ils gèrent.

La décision du Conseil d'Etat obéit à une certaine logique formelle. Elle a reçu l'appui de la majorité de la doctrine comme l'a confirmé un colloque de juristes qui s'est tenu à la Sorbonne au mois de juin 1987.

Mais il ne faut pas se dissimuler que le classement du Médiateur par le Conseil d'Etat comme autorité au sein du pouvoir exécutif méconnaît totalement la volonté du législateur et l'esprit de l'Institution. Il comporte, en outre, pour le fonctionnement et le développement de celle-ci de très graves inconvénients.

Il n'est que de se référer aux travaux préparatoires de la loi du 3-1-1973 et aux déclarations du Garde des Sceaux devant le Parlement pour constater que le législateur a entendu créer une institution originale, n'entrant pas dans la trilogie des trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire établie par Montesquieu. Distinction que l'évolution des idées juridiques a, d'ailleurs largement estompée, comme l'a montré le Professeur Yves Gaudemet (Actualité Juridique 1987, p. 520) qui cite de nombreux et importants organismes de l'Etat dont les fonctions s'insèrent dans deux ou même trois de ces pouvoirs. L'acte de naissance du Médiateur relève, certes, du pouvoir exécutif mais, sans être un " ombudsman " ou un " commissaire parlementaire ", il vit en symbiose étroite avec le pouvoir législatif : l'article 6 de la loi de 1973 réserve la saisine du Médiateur aux députés et sénateurs qui ont aussi le droit de lui soumettre, de leur propre chef toute question méritant son intervention ; les Présidents des deux assemblées peuvent lui transmettre toute pétition adressée à l'une ou l’autre assemblé ; le rapport annuel d'activité du Médiateur est seulement d'après l'article 14 présenté au Parlement et au Président de la République. Ces relations directes avec le pouvoir législatif seraient-elles possibles si le Médiateur n'était qu'une autorité administrative soumise, comme telle, au pouvoir hiérarchique des ministres ? Par les traits distinctifs donnés à l'institution du Médiateur, dont la relation avec le pouvoir législatif domine et de loin sa simple nomination par le pouvoir exécutif, le législateur de 1973 a créé un organisme " sui generis ", indépendant, qui ne saurait être annexé ni par l'un ni par l'autre de ces deux pouvoirs ni évidemment être rattaché au troisième. Contraire à la volonté du législateur, la solution retenue par le Conseil d'Etat efface en second lieu la notion même de médiation. Celle-ci, à la différence de l'acte ou du jugement administratif, participe au règlement des litiges ou à leur prévention par des voies et en des termes extérieurs au droit, généralement sans acte pouvant être qualifié de décision susceptible de faire grief. Il s'ensuit que le contrôle du juge administratif n'est pas compatible avec l'action du Médiateur et le libre exercice de l'acte de médiation. Les solutions élaborées par le Médiateur prennent en compte l'équité et le souci d'une bonne administration qu'il apprécie, alors que le juge, gardien d'une stricte légalité, ne peut utilement exercer sa mission que pour vérifier la bonne application de la règle de droit dans les actes juridiques des autorités administratives.

Tenant des premières dispositions de la loi du 3-1-1973 une autonomie complète réaffirmée à l'article 15 sur les plans du personnel et de la gestion financière, et qui l'affranchit du statut d'autorité administrative, le Médiateur, conscient des graves dangers que l'arrêt du Conseil d'Etat fait courir à l'Institution, attend du Parlement une initiative confirmant la volonté déjà exprimée en 1973 de reconnaître la nature spécifique de sa fonction et de ses actes pour garantir son indépendance par rapport à l'autorité administrative.

Cette initiative pourrait consister à ajouter, au deuxième alinéa de l'article Ier de la loi du 3 janvier 1973, la phrase suivante : " les actes intervenant dans le cadre d'une procédure de médiation ne peuvent faire l'objet d'aucun recours juridictionnel ".

B. L'AMELIORATION DES MOYENS


La capacité technique de la Médiature a été fortement développée tant par le concours apporté par des consultants éminemment qualifiés qu'en raison des progrès accomplis dans la formation générale des agents. Mais l'exigence du Médiateur pour l'étude des dossiers est extrême.

Le travail est, d'ores et déjà, de bonne qualité en moyenne. Il devrait atteindre l'excellence au cours de l'année qui vient.

La productivité des agents est aussi un sujet de préoccupation du Médiateur. Elle s'améliorera lorsque le Médiateur sera installé dans des locaux suffisamment nombreux et spacieux pour éviter que trois personnes, astreintes à un travail qui requiert la concentration intellectuelle, cohabitent dans un même bureau. Le besoin est reconnu. La promesse a été faite de le satisfaire au cours de l'année 1988.

Mais l'utilité de l'Institution est aussi lice au type de relations qui s'instaure entre le Médiateur et l'Administration. La complémentarité de chacune des actions est si évidente que l'optimisme en la matière paraît aller de soi.

A cet égard un progrès consisterait à marquer les responsabilités respectives lorsque l'Administration modifie ses décisions conformément aux suggestions du Médiateur. Dans ces circonstances il apparaîtrait normal que le Médiateur endossât la responsabilité morale des inconvénients des modifications qu'il suggère. Pour écarter toute crainte du " précédent " il serait bon, en effet, que l'on sache, le cas échéant, que l'administrateur ou le contrôleur financier ont dû faire un effort pour se ranger à l'avis du Médiateur dans l'esprit de la loi qui l'a créé pour le cas particulier examiné. Pour ce faire il suffirait dans ces décisions de viser l'avis du Médiateur.

Ainsi le rapport du Médiateur pour 1987 met en relief les progrès de l'Institution, informe sur sa méthode de travail et sur ses problèmes.

Le lecteur devrait, à mon sens, en tirer la conclusion que cette Institution originale de la République, après quinze ans de fonctionnement, se rapproche progressivement et rapidement de l'objectif ambitieux que lui a assigné le législateur.

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