Année 1988


UNE ENTREPRISE VIVANTE



Le Médiateur dont la mission est d'aider les victimes d'une certaine administration, trop souvent routinière, insensible ou technocratique, échappe-t- il lui-même à ces défauts ?

Bien des témoignages l'incitent à le penser. Si elle reste modeste par ses dimensions et, plus fâcheusement, par sa notoriété, l'institution originale dont la France s'est dotée il y a quinze ans n'a manqué, en 1988, ni de vitalité, ni d'imagination, ni d'enthousiasme.

L'année écoulée l'a vue affirmer son identité, conforter son indépendance, répondre toujours mieux à l'attente des citoyens et se tourner résolument vers l'avenir.

1. AFFIRMER SON IDENTITE


Le Médiateur a dû lutter pour faire reconnaître l'originalité de son action.

La dénomination

En 1988, le Médiateur créé par la loi du 3 janvier 1973 était en passe de perdre son identité. Sa fonction personnalisée se confondait, dans l'esprit des citoyens, avec les responsabilités diverses attribuées sous la même dénomination à beaucoup d'autres personnes.

En effet, faute d'un meilleur terme, les pouvoirs publics avaient coutume de qualifier de " médiateur " diverses personnes qu'ils chargeaient de s'entremettre pour régler à l'amiable des conflits divers, notamment sociaux. Les organisations syndicales en faisaient autant, cependant que des particuliers proposaient, sous le même nom, leurs bons offices pour assister leurs concitoyens moyennant rétribution. La multiplication des médiateurs faisait oublier aux Français qu'il existait un Médiateur.

Sur la suggestion de M. Aimé Paquet, une disposition de la loi du 24 décembre 1976 avait bien essayé de protéger l'utilisation du titre en prévoyant que " sera punie d'un emprisonnement de un à six mois et d'une amende de 2 000 à 10 000 F ou de l'une de ces deux peines seulement toute personne qui aura fait ou laissé figurer le nom du Médiateur, suivi ou non de [indication de sa qualité, dans tout document de propagande ou de publicité, quel qu'en soit la nature ".

Mais la mise en œuvre de ces dispositions s'est avérée difficile etun tribunal écarta une demande en ce sens. Mieux valait changer de titre.

C'est ce qui a été fait. Dès ma prise de fonctions, la dénomination de Médiateur de la République, qu'avait tenté d'introduire mon prédécesseur, M. Robert Fabre, fut systématiquement utilisée. Chacun s'y habitua, même le Journal officiel, auquel il fallut cependant rappeler que, s'agissant d'une fonction personnalisée, la majuscule s'imposait.

Mais il fallait aussi que la loi consacrât le fait.

L'article 69 de la loi du 13 janvier I988 portant diverses mesures d'ordre social y pourvoit puisqu'il stipule:

" I. L' article premier de la loi n°73-6 du 3 janvier 1973 instituant un Médiateur est ainsi rédigé:

Un Médiateur de la République, autorité indépendante, reçoit dans les conditions fixées par la présente loi, les réclamations concernant, dans leurs relations avec les administrés, le fonctionnement des administrations de l'Etat, des collectivités publiques territoriales, des établissements publics et de toit autre organisme investi d'une mission de service public.

Dans la limite de ses attributions, il ne reçoit d'instruction d'aucune autre autorité.

II. Le terme: " Médiateur de la République " est substitué au terme " Médiateur " dans le texte de la loi n° 73-6 du 3 janvier 1973 instituant le Médiateur ".

La qualité

Le titre préservé, il fallait rappeler aussi la vertu principale du Médiateur, qui est son indépendance. C'est elle, en tout premier lieu, qui le différencie de beaucoup d'autres institutions et a fortiori de ses homonymes, notamment des médiateurs municipaux qui sont les représentants des maires.

On dira plus loin comment la loi du 3 janvier 1973 qui a fixé le statut du Médiateur voulait, à I'évidence, en faire une autorité sui generis sur le plan constitutionnel. Cela ressort clairement des débats parlementaires. Mais cette qualité n'avait pas été expressément déclarée dans le texte de la loi. Eût-elle pu l'être d'ailleurs sans encourir la censure du Conseil Constitutionnel ? Ce n'est pas certain. D'après la doctrine dominante, seule la loi constitutionnelle aurait pu ajouter le Médiateur aux cinq pouvoirs ou autorités auxquels est actuellement reconnu un champ de compétence indépendant au niveau constitutionnel: législatif, exécutif, judiciaire, Conseil économique et social, Conseil Constitutionnel.

Quoi qu'il en soit, dans le silence de la loi, le Conseil d'Etat a été amené à dire que le Médiateur avait le caractère d'une autorité administrative (arrêt Retail, 11-07-1981). C'était rattacher le Médiateur au pouvoir exécutif.

Cette décision juridictionnelle a accentué une dérive qui, dans la pratique, conduisait à assimiler de plus en plus le Médiateur à un service administratif dépendant du Premier ministre. En 1986, l'assimilation était presque achevée et la personnalité morale du Médiateur implicitement déniée. Le Médiateur n'avait même pas le statut d'un établissement public, comme l'illustre l'attitude du Conseil d'Etat comme celle du Secrétariat général du Gouvernement.

En effet le Conseil d’Etat, tirant fort logiquement les conséquences de l'arrêt Retail, se dispensait de communiquer au Médiateur les pourvois dirigés contre ses actes. Il se bornait à les transmettre pour observation à ce qui apparaissait comme l'autorité de tutelle du Médiateur, à savoir le Secrétaire général du Gouvernement.

En même temps, le Médiateur était destinataire, comme chacun des multiples services gérés par le Secrétaire général du Gouvernement, de toutes les directives et instructions du Premier Ministre,

C'était oublier le premier souci du législateur de 1973 qui avait tenu à défendre par avance le Médiateur contre toute tentative de mainmise par quelque pouvoir que ce soit, en stipulant: " Il ne reçoit d'instruction d'aucune autorité " (art. ler)

Il est en effet indispensable qu'aux yeux des citoyens, le Médiateur apparaisse comme indépendant de l'administration, car aucun crédit ne pourrait être attribué à quelqu'un qui serait à la fois juge et partie.

Puisque la formulation de la loi de 1973 paraissait insuffisamment claire, il était nécessaire de rappeler plus solennellement encore que le " Médiateur " était une " autorité indépendante ".

C'est ce qui vient d'être fait.

2. CONFORTER SON INDEPENDANCE


Le Médiateur est une institution de l'Etat, en ce sens qu'il a reçu une mission d'intérêt général et qu'il est financé par les fonds publics.

Le législateur qui l'a créé en 1973 pensait en avoir fait une institution particulière, indépendante des pouvoirs publics. Si son indépendance est reconnue, comme nous venons de le voir, il n'en reste pas moins que, dans l'esprit de la doctrine, une institution nouvelle doit être rattachée, pour ordre, à un des pouvoirs constitutionnels établis de longue date: législatif, exécutif ou judiciaire. Le choix de l'associé n'est pas indifférent au Médiateur.

La question est même si importante qu'elle mérite le débat, car l'Etat de choses actuel n'est pas satisfaisant.

Pour s'en convaincre, il faut d'abord rappeler l'esprit de la loi.

L'esprit de la loi

Que le Parlement, en instituant le Médiateur, ait voulu créer une institution sui generis, c'est ce qui apparaît clairement à la lecture des débats qui eurent lieu devant l'Assemblée nationale et le Sénat en décembre 1972: " L'institution proposée constitue une novation dans notre droit ", affirmait l'exposé des motifs du projet. M. René Pleven, rapporteur devant le Parlement pour le Gouvernement, en sa qualité de ministre de la Justice devait expliciter cette position: " Nous tentons la greffe d'un organe nouveau .C'est une institution juridique originale dans notre droit public et différente des schémas auxquels nous sommes habitués... C'est une institution pragmatique et évolutive... un peu à la manière anglo-saxonne... Nous avons soigneusement veillé à ce que le Médiateur complète et prolonge l'action des organes de contrôle existants - juridictions et Parlement - sans entrer en concurrence on faire double emploi avec eux... " (cf. J.O. des débats de l'Assemblée nationale, 1972, pp. 6209 et 6210 ")... Il ne faut surtout pas que le Médiateur apparaisse comme le prolongement ou l'émanation de l'administration... " (cf. J.O. des débats du Sénat, 1972, p. 3232).

Le Parlement a suivi le Gouvernement sans contester les propos de M. René Pleven. Sa volonté est claire: il a voulu faire du Médiateur une institution "à nulle antre pareille", qui fût au confluent des pouvoirs législatif et exécutif et qui s'en distinguât comme de l'autorité judiciaire.

Les dispositions de la loi qui définissent la compétence du Médiateur, organisent son indépendance et prévoient ses moyens d'action, séparent effectivement, sur le plan juridique, l'institution des pouvoirs constitutionnels établis. La loi précise notamment, on l'a vu, que dans la limite de ses attributions, le Médiateur " ne reçoit d'instruction d'aucune autorité >>. Elle ajoute qu'il " ne peut être poursuivi, recherché, arrêté ou jugé à l'occasion des opinions qu'il émet ou des actes qu'il accomplit dans l'exercice de ses fonctions ", qu'il fait "...toutes les recommandations qui Iui paraissent de nature à régler les difficultés dont il est saisi... et, le cas échéant, toutes propositions tendant à améliorer le fonctionnement de l'organisme concerné ", qu'il " peut recommander... toute solution permettant de régler en équité la situation du requérant... suggérer les modifications qu'il lui parait opportun d'apporter à des textes législatifs et réglementaires... à défaut de l'autorité compétente ", qu'il " peut au lien et place de celle-ci, engager contre tout agent responsable une procédure disciplinaire... en cas d'inexécution d'une décision de justice... enjoindre à l'organisme mis en cause de s'y conformer ", que " les ministres... sont tenus d'autoriser les agents placés sous leur autorité à répondre aux questions et éventuellement aux convocations du Médiateur ", et que " les collaborateurs du Médiateur sont nommés par celui-ci pour la durée de sa mission ".

Cependant, et pour les raisons que je rappelais plus haut, le Parlement n'a pas cru devoir préciser dans le texte de la loi la place que le Médiateur occupait parmi nos institutions sur le plan des autorités et pouvoirs publics.

La solution du conseil d'Etat

Ce vide juridique a été comblé par la décision en date du 10 juillet I981 (arrêt Retail). A cette occasion, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a été d'avis que le Médiateur " en raison notamment de son mode de nomination... a le caractère d'une autorité administrative ". Ainsi, dans le silence de la loi, le droit positif, le droit actuellement en vigueur, apparente le Médiateur à un service administratif. Les débats à propos de la discussion de la récente loi (D.M.O.S.) ont montré que cette situation était préjudiciable au bon fonctionnement de l'institution du Médiateur et que la qualification retenue ne correspondait pas à l'intention du législateur de 1973.

Cependant la jurisprudence Retail a force de loi. Elle ne peut être modifiée que par la loi elle-même.

Remettre en cause la décision du Conseil d'Etat impliquerait un double effort car le vide juridique existe à deux niveaux.

La modification de la jurisprudence

Il s'ensuit deux questions qui sont d'ailleurs liées.

D'abord au niveau supérieur, c'est-à-dire au niveau constitutionnel: conformément à la volonté du Parlement, le Médiateur est-il une autorité sui generis, un pouvoir indépendant des pouvoirs législatif et exécutif et de l'autorité judiciaire, comme le sont le Conseil Constitutionnel et le Conseil économique et social ?

Ensuite, de manière subsidiaire, au niveau du pouvoir de rattachement; à supposer que le Médiateur n'ait pas la qualité d'une institution sui generis, à quel pouvoir ou autorité doit-il être rattaché: le législatif, l'exécutif ou le judiciaire ?

La logique voudrait qu'il soit d'abord répondu à la première question. Le Médiateur est-il, en l'Etat actuel des textes, une autorité sui generis ? La réponse dépend d'une question préalable concernant le champ de compétence de la loi parlementaire.

Actuellement il existe au moins trois pouvoirs ou autorités sui generis: le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et l'autorité judiciaire. Depuis Montesquieu, ils sont reconnus comme tels. On devrait y ajouter, depuis la constitution du 4 0ctobre 1958, le Conseil économique et social et le Conseil Constitutionnel.

La doctrine dominante estime que seule une loi constitutionnelle pourrait éventuellement compléter cette liste, soit pas insertion dans la loi constitutionnelle, soit par une extension appropriée de la compétence de la loi parlementaire. Encore faudrait-il que l'extension s'accordât avec le principe selon lequel un pouvoir constitué ne peut pas créer un nouveau pouvoir indépendant.

Cette position paraît difficilement contournable s'il s'agit de créer un nouveau pouvoir, c'est-à-dire un organisme disposant du droit de décider et d'imposer. Elle ne fait pas nécessairement obstacle à la reconnaissance de l'essence particulière d'une institution qui se borne à formuler des suggestions et dont les prérogatives de puissance publique se limitent à un droit d'enquête. Encore faudrait-il que la création d'un tel organisme par la loi parlementaire entrât dans le champ de compétence qui lui est reconnu de manière limitative par l'article 34 de la Constitution.

En l'Etat actuel des connaissances et des réflexions, il est difficile d'affirmer que la loi du 3 janvier I973 a créé une institution sui generis.

Mais comme il est certain que l'institution existe, quelle est-elle en droit ?

Est-elle véritablement une institution administrative, comme l'a dit le Conseil d'Etat dans sa décision Sieur Retail du 10 juillet I981: "...en raison notamment de son mode de nomination, le Médiateur a le caractère d'une autorité administrative " ?

Le " notamment " ne paraît viser qu'une seule particularité de l'institution: ses crédits sont inscrits au budget du Premier ministre.

Ainsi, pour classer le Médiateur parmi les autorités administratives, le Conseil d'Etat a retenu un critère formel: la nomination par décret en Conseil des ministres et l'inscription des crédits au budget du Premier ministre.

Le rapprochement avec le Parlement

Si le Conseil d'Etat s'était intéressé au critère organique, à la nature, à la réalité de la vie de l'institution, nul doute qu'il eût constaté l'anomalie d'une insertion du Médiateur dans le monde administratif, alors qu'il existait d'importantes affinités entre le Médiateur et le Parlement.

Certes, le Médiateur de la République ne participe pas au pouvoir législatif mais il lui est associé et il en est complémentaire, dans la mesure où le Parlement a un droit et un devoir de contrôle sur l'administration.

Le Parlement est d'ailleurs formellement impliqué dans le fonctionnement de l'institution, puisque ses membres ont le monopole de la saisine du Médiateur de la République et de la transmission des réclamations. Cette intervention n'est pas de pure forme car le parlementaire, avant de transmettre la réclamation au Médiateur, doit vérifier qu'elle " entre dans sa compétence et mérite son intervention "... " Les membres du Parlement peuvent, en outre, de leur propre chef, saisir le Médiateur d'une question de sa compétence "... " Sur la demande d'une des six commissions permanentes de son assemblée, le président du Sénat ou le président de l' Assemblée nationale peut également transmettre an Médiateur toute pétition dont son assemblée est saisie " (article 6 de la loi)... " Le Médiateur présente au Président de la République et au Parlement un rapport annuel dans lequel il établit le bilan de son activité " (article 14). N'y aurait-il que cette dernière disposition, elle serait suffisante pour décider de l'apparentement du Médiateur au Parlement, car elle complète le pouvoir de contrôle du Parlement sur l'administration.

A ces considérations, qui éloignent le Médiateur de l'appartenance à la sphère administrative, il convient d'ajouter: la personnalisation de l'institution, car celle-ci n'existe qu'au travers de la personne du Médiateur; la non-appartenance à la fonction publique; " une inamovibilité pratiquement sans équivalent dans notre droit " (cf. J.O. des débats de l'Assemblée nationale, 1972, p. 6210); une mission différente de celle assumée par les corps de contrôle existants, aussi bien administratifs que judiciaires, s'analysant en " un pouvoir de redressement et de régulation " (cf. J.O. des débats de l'Assemblée nationale, p. 6209); le champ propre de compétence du Médiateur - bon fonctionnement des services publics et équité de leurs décisions - qui sont des notions en dehors de la compétence des juges du droit.

Enfin et surtout, comme il a été rappelé plus haut, l'autorité morale, indispensable au Médiateur pour réussir dans ses tâches, exige que son indépendance à l'égard de l'administration ne puisse être contestée. L'arrêt Retail y porte atteinte en le rattachant à cette même administration qu'il a mission de contrôler.

A défaut de pouvoir, dans le contexte constitutionnel français, déclarer conformément à la volonté du législateur, le Médiateur " autorité sui generis", rééquilibrons au moins les effets pervers de l'arrêt Retail en marquant mieux les liens du Médiateur et du pouvoir législatif.

La loi parlementaire pourrait-elle le faire ?

Dès lors que l'institution existe, pourquoi les pouvoirs du Parlement en la matière seraient-ils inférieurs à ceux du Conseil d'Etat ?

Ce dernier ne se prononce et ne s'est d'ailleurs prononcé que dans le silence de la loi.

Rien ne paraît donc s'opposer à ce que le Parlement prenne l'initiative de préciser la loi du 3 janvier 1973 et d'affirmer que le Médiateur de la République est une autorité indépendante agissant dans le cadre du contrôle du Parlement sur l'administration.

Cette précision aurait l'avantage de montrer que la mission du Médiateur ne peut être sous influence administrative.

Sans doute, cette affirmation gagnerait-elle à être accompagnée de deux modifications de la loi concernant le mode de désignation du Médiateur de la République et les conditions d'inscription au budget de l'Etat des crédits nécessaires à son fonctionnement.

Le Médiateur de la République pourrait continuer à être nommé en Conseil des ministres, mais rien ne s'opposerait à ce que ce soit parmi les candidats présentés par le président du Sénat et le président de l'Assemblée nationale.

Quant aux crédits nécessaires à l'accomplissement de la mission du Médiateur, ils seraient inscrits au budget général dans les mêmes conditions et sous la même rubrique que ceux destinés au Parlement et au Conseil Constitutionnel.

3. SERVIR LES ADMINISTRES... SANS DESTABILISER L'ADMINISTRATION


Prendre en compte les problèmes des citoyens aux prises avec l'administration exige une grande disponibilité. C'est le constant souci du Médiateur. Il ne se considère pas pour autant en guerre avec l'administration et les juridictions, mais tout au contraire complémentaire de leur action.

Cela mérite explication.

Etre disponible

Le reproche le plus fréquent adressé aux organismes administratifs de tous les pays du monde, donc aux français, est celui de la difficulté d'accès aux décideurs.

L'administré n'est pas reçu aussi rapidement, aussi longuement, aussi aimablement qu'il le souhaiterait. Certes, il y a de bonnes raisons à cela, à commencer par le manque de temps des fonctionnaires et agents publics.

Quoi qu'il en soit, le citoyen apprécie au plus haut point l'accueil attentif et individualisé dont ses requêtes bénéficient auprès du Médiateur.

Cet accueil est encore plus apprécié lorsque le citoyen peut lui-même être reçu et écouté. C'est l'affaire de mes délégués départementaux; aussi me suis-je employé à revaloriser et développer leur rôle.

Les délégués départementaux

Ils sont au nombre de cent (un par département). Répartis sur tout le territoire de la République, ils sont plus accessibles que le Médiateur car plus proches de l'usager et plus libres de leur temps. Pour beaucoup de citoyens, en effet, le contact direct, l'entretien oral sont nécessaires.

Un gros effort a été fait pour mieux faire connaître l'existence des délégués départementaux à la population, pour développer leurs moyens d'action et préciser leur domaine de compétence.

Notoriété

Simples " correspondants " départementaux en 1978, ils sont devenus en 1986 les actuels " délégués départementaux du Médiateur ".

Comme dans toutes les institutions de l'Etat dépourvues de budget de publicité, l'information du public se fait surtout à l'occasion des services rendus. Ceux-ci commencent à être importants puisqu'en 1988, les délégués auront traité plus de 12.000 affaires et qu'ils auront été consultés pour plus de 15.000..

Cependant tous les citoyens ne connaissent pas encore l'aide que le délégué du Médiateur est susceptible de leur apporter. Aussi l'objet principal des conférences de presse que je tiens lors de mes déplacements en province est-il de faire connaître l'existence des délégués départementaux et d'insister sur leur compétence.

Compétence

Probablement pour les quatre cinquièmes des différends entre l'usager et l'administration, le délégué départemental peut jouer, à l'égard du Médiateur, le même rôle préventif que le Médiateur joue à l'égard du juge administratif.

C'est le cas lorsqu'une affaire se rapporte au fonctionnement organique des services locaux sans soulever de question de droit difficile ou lorsque le différend peut être aplani par un simple réexamen mieux éclairé.

Il en va de même a fortiori lorsque le citoyen s'adresse au délégué départemental pour une affaire qui n'est pas de la compétence du Médiateur. Dans ce cas, le délégué réoriente l'action du citoyen et généralement lui donne des conseils fort utiles et le renseigne sur ses droits.

Dans ces circonstances, le délégué départemental aura traité de manière simplifiée, informelle, mais satisfaisante le différend et il évitera une saisine du Médiateur.

Lorsque l'affaire pose des problèmes difficiles, qui ne peuvent être résolus même avec le secours d'une consultation téléphonique de la Médiature, le délégué départemental aide le réclamant à préparer le dossier qui sera transmis au Médiateur par l'intermédiaire d'un parlementaire. Ce travail de constitution du dossier est d'autant plus important que l'affaire est délicate et que le requérant a propension à ne pas communiquer les pièces qui lui paraissent de nature à desservir sa cause.

Les délégués départementaux sont d'ailleurs suffisamment avertis des procédures administratives pour ne pas s'aventurer hors de leur champ de compétence et pour orienter vers le Médiateur les affaires du ressort des autorités régionales et a fortiori gouvernementales.

L'intervention des délégués départementaux du Médiateur est tellement bien perçue que plusieurs présidents de Cours d'appel ont demandé à certains d'entre eux de bien vouloir faire office de " conciliateurs judiciaires ". J'ai laissé à chaque délégué départemental concerné le soin d'apprécier la réponse qu'il convenait d'apporter à de telles demandes en leur indiquant que, dans toute la mesure du possible, je souhaitais que les délégués puissent aider le service public de la justice.

L'augmentation du nombre des affaires traitées par les délégués départementaux a été de 20 % en I988. Cette progression devrait continuer. Cela explique les efforts du Médiateur pour développer leurs moyens d'action.

Moyens d'action

Malgré son statut d'autorité indépendante, le Médiateur doit recourir à la bonne volonté des administrations pour que l'institution fonctionne matériellement. Il en va de même pour les délégués départementaux.

Si le Médiateur nomme les délégués départementaux qu'il choisit librement, il a besoin de la bonne volonté des préfets pour fournir aux délégués les moyens matériels nécessaires: locaux, secrétariat, déplacements. Malgré les directives du ministre de l'Intérieur, l'empressement à faciliter le travail du délégué départemental est forcément variable selon les préfectures. Force est de constater que si, dans l'ensemble, l'aide apportée au niveau local au Médiateur est satisfaisante, il peut arriver que, dans des préfectures aux moyens limités, le choix des priorités désavantage le délégué départemental du Médiateur.

La désignation d'un ancien préfet comme responsable à la médiature des liens avec les délégués départementaux devrait permettre les réajustements nécessaires des moyens mis à leur disposition. Cela est d'autant plus utile que le nombre des visiteurs reçus par le délégué du Médiateur est inversement proportionnel à l'éloignement de la préfecture où il siège habituellement. Cela a conduit des délégués à souhaiter tenir une permanence dans deux villes lorsque la préfecture est excentrée. C'est déjà le cas dans les Pyrénées-Atlantiques avec Pau et Bayonne et en Charente-Maritime avec La Rochelle et Saintes.

Pour tenir compte de l'accroissement des sujétions des délégués départementaux, le Médiateur a demandé des crédits supplémentaires pour revaloriser leur indemnité qui reste modeste. - La dotation budgétaire pour 1989 devrait permettre un progrès important... en valeur symbolique, en attendant qu'il puisse l'être en valeur réelle.

Enfin, en 1988, les liens entre le Médiateur et les délégués ont été resserrés. Un bulletin bimestriel assure l'information des délégués sur la médiature et sur les actions exemplaires de leurs collègues. Par ailleurs, chaque délégué est avisé des affaires enregistrées à la médiature et concernant son département. En contrepartie, il a été convenu que les délégués tiendraient la médiature au courant des affaires dont ils ont eu connaissance avant leur transmission au Médiateur.

Lors des réunions régionales, les délégués ont été encouragés à s'adresser à la médiature pour bénéficier de conseils techniques et, inversement, pour faire toutes suggestions, notamment dans le domaine des propositions de réformes.

Etre complémentaire

Faut-il redire que le Médiateur n'est d'aucune façon l'adversaire ou le censeur de l'administration ? Tout au contraire, il considère que sa mission est de contribuer au bon fonctionnement des services. Il le fait tout en recherchant l'équité dans ses décisions et tout en évitant de créer une jurisprudence.

Les notions évolutives de bon fonctionnement et d'équité

Il n'existe pas de définitions objectives du bon fonctionnement de l'administration et de l'iniquité des conséquences de l'application d'un texte ou d'une décision. Tout dépend donc de l'esprit dans lequel le Médiateur exerce sa mission.

Le Médiateur ne se réfère pas à une situation idéale. Il prend en compte simplement la meilleure situation possible au regard, d'un côté, des moyens dont dispose l'administration, de l'autre, des exigences normales de la société du moment. Par suite, si le Médiateur ne change pas d'objectifs, son comportement évolue avec le contexte dans lequel se situe son action. Les notions de mauvais fonctionnement et d'iniquité des décisions ne sont que des valeurs de référence par rapport à une situation elle-même évolutive et laissée à l'appréciation subjective du Médiateur qui a la charge de leur définition.

Certes en se livrant à ce nécessaire exercice, le Médiateur s'efforce au sérieux et à l'objectivité. Mais force est de reconnaître que sa vérité peut être contestée lorsqu'il apprécie les conditions de fonctionnement d'un service ou les conséquences d'une décision dans un cas particulier. L'expérience montre cependant qu'en ne cédant ni à la démagogie, ni à la facilité, les solutions proposées par le Médiateur sont généralement considérées comme acceptables.

La première contrainte que s'impose le Médiateur, à propos du traitement d'une affaire particulière, est de ne pas oublier que le litige doit trouver sa solution dans un Etat de droit. La règle est certes parfois contraignante, mais elle est indispensable. Il faut s'y soumettre. La discussion ne commence qu'à l'occasion des lacunes de la loi et du règlement avant que le juge ne se soit prononcé ou, après qu'il ait pris sa décision, pour pallier d'éventuelles conséquences inéquitables. Mais si le Médiateur ne réécrit pas la loi pour les besoins d'une solution particulière, il a la faculté de proposer la modification de la règle pour éviter le renouvellement des difficultés constatées dans le cas particulier qui lui a été soumis.

La deuxième contrainte à prendre en compte tient aux moyens dont l'administration est dotée. On ne peut exiger qu'une utilisation optimale de ces moyens. Le service public ne saurait être tenu à l'impossible.

La troisième contrainte tient au respect des procédures. Celles-ci sont souvent critiquées parce que leur finalité n'est pas comprise par l'usager, même lorsqu'elle est destinée à le protéger.

Pour évoluer parallèlement au contexte social, le Médiateur doit donc éviter de copier les juges en matière de jurisprudence.

Le refus de créer une jurisprudence

La référence à des affaires précédemment traitées gênerait en effet la solution amiable de nouveaux litiges plus ou moins comparables.

Dans la plupart des cas, l'arrangement intervenu a résulté de concessions réciproques dont toutes les raisons sont difficiles à cerner et impossibles à mesurer. Par suite, chaque solution est particulière. Dans ces conditions, le règlement d'une affaire ne peut avoir valeur de précédent puisque tout est à renégocier à l'occasion de chaque cas. Toute solution dépend en effet du cas d'espèce, avec les faits qui le caractérisent et ses circonstances de temps et de lieu.

Il faut ajouter une dernière raison, et non la moindre, à ce refus du Médiateur d'adopter la position du juge en matière de jurisprudence. L'administrateur, auquel le Médiateur suggère de modifier une décision contestée, doit considérer que cette intervention a, par elle-même, valeur de fait nouveau. Fait nouveau qui modifie le fond de l'affaire et qui lui permet de prendre éventuellement une décision différente. S'il désire le faire l'administrateur est couvert par l'intervention du Médiateur dont il peut faire Etat en cas de doute. Les décisions modifiées mentionnant l'avis du Médiateur se multiplient. Cette pratique protège l'administration des risques de référence au " précédent " qui pourrait être invoqué par un futur plaignant pour une affaire similaire, puisque l'avis du Médiateur n'a pas lui-même valeur de précédent.

L'indispensable compétence technique

Dans tous les organismes chargés de résoudre des problèmes juridiques, le cas vraiment difficile, par rapport aux capacités intellectuelles moyennes des agents, représente heureusement l'exception. A la médiature, il est de l'ordre du dixième des affaires. Cela fait environ 400 dossiers par an.

La définition du domaine de compétence du Médiateur est souvent délicate. De même des négociations ardues doivent être menées de temps à autre. Surtout dans le domaine des propositions de réforme qui ne demande qu'à prendre de l'extension et requiert une haute technicité.

Pour toutes ces actions, il a paru utile de faire appel à de grands spécialistes du droit retraités, ayant appartenu au Conseil d'Etat, à la Cour de Cassation, aux cours d'appel ou aux tribunaux administratifs. Ils agissent en qualité de consultants.

4. SE TOURNER VERS L'AVENIR


comme toute institutlon, même très spécialisée, le Médiateur doit évoluer en fonction de la conjoncture pour offrir un service toujours meilleur et aller au devant des nouveaux besoins.

Proposer des réformes

L'activité du Médiateur dans le domaine des propositions de réforme a été importante en 1988. L'intervention dans ce domaine devrait être appelée à se développer. Les parlementaires s'y intéressent et le Gouvernement y est favorable.

Dans le domaine des propositions de réforme, le Médiateur occupe une position privilégiée puisque la connaissance des cas particuliers lui donne une information précieuse à partir de laquelle il peut avancer des propositions d'amélioration du fonctionnement des services publics. C'est une bonne occasion de réflexion pour le ministre chargé des réformes administratives et les ministres de tutelle.

Le Médiateur signale le défaut ou l'anomalie, indique l'objectif et la nature de la réforme souhaitable. Celle-ci est étudiée par le ministre concerné en liaison avec le ministre chargé des réformes administratives et le secrétaire général du Gouvernement. Le Médiateur est tenu au courant de ces études et il est invité comme observateur aux réunions interministérielles.

Si le Médiateur avait la possibilité d'intervenir plus activement dans le processus des réformes, nul doute que les résultats seraient encore meilleurs quant au nombre des réformes réalisées et aux délais de leur élaboration. Il a la compétence technique pour le faire. Mais il n'en a pas les moyens matériels, puisque la médiature ne dispose d'aucune salle où il soit possible de réunir plus de dix personnes.

Des parlementaires se sont déclarés intéressés par la participation du Médiateur aux réformes du domaine de la loi, allant jusqu'à la rédaction dés projets de textes. Si le Médiateur pouvait se prévaloir d'un lien privilégié avec le Parlement, il lui serait certainement plus facile de surmonter l'inertie des administrations auxquelles incombe la préparation de ces textes.

Songer a l'europe

Il s'agit là d'une activité d'avenir, comme celle qui consiste à préparer l'organisation de la médiation dans le domaine européen. Il est trop tôt pour en traiter ici. Mais cet impératif fera l'objet d'un développement dans le rapport consacré à l'exercice I989.

Une institution dans son siècle

Malgré sa jeunesse (seize ans seulement), bien que son existence reste ignorée de beaucoup trop de citoyens qui pourraient avoir besoin d'elle et qu'elle ne dispose pas encore de tous les atouts pour bien travailler - notamment d'installations suffisantes - l'institution du Médiateur de la République commence à compter sur le plan national par ses résultats. En 1988, elle a donné un fort sentiment de vie;c'est-à-dire l'impression que tout reste à faire.

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