D'une façon plus quotidienne, l'attention du Médiateur
de la République est régulièrement appelée
sur les difficultés que rencontrent les titulaires d'une
carte nationale d'identité qui, lors d'une demande de renouvellement
de celle-ci, sont obligés de faire la preuve de leur nationalité
et dont certains découvrent, à cette occasion, qu'ils
sont étrangers sans le savoir parce que leurs parents n'ont
pas opté pour la nationalité française ou
bien encore qu'une erreur a été commise dans l'appréciation
de leur statut.
B. LA PREUVE DE LA NATIONALITÉ
1. La délivrance du certificat de nationalité
Les cas dans lesquels la justification de la nationalité
est nécessaire sont de plus en plus nombreux : qu'il s'agisse
du droit de vote et de celui d'être éligible, du
droit d'accéder à certains emplois ou de s'établir
sur le territoire national, de n'être ni extradé,
ni expulsé. Bien entendu, les ressortissants des États
de la Communauté européenne étant à
part.
Les difficultés pour réunir les éléments
justifiant de la nationalité française, en raison
des divers critères permettant son attribution et leur
combinaison avec les conventions internationales, ont été
à l'origine de la création d'un document attestant
de la possession de la nationalité de l'intéressé,
appelé certificat de nationalité.
À l'expérience, la procédure permettant la
délivrance de ce document se révèle être
également un parcours semé d'obstacles, ce qui avait
en 1991 conduit M. LEGATTE, précédent Médiateur,
à préconiser des mesures de simplification (cf.
Rapport 1991, pp. 128 à 132).
Plusieurs réclamations illustrent ces difficultés
et la lenteur des procédures en cause.
À ce sujet, on rappellera la situation d'un ressortissant
palestinien, né en Syrie et marié à une syrienne,
dont il a trois enfants, nés en France en 1984, 1990 et
1991 (réclamation no 93-2770).
L'intéressé sollicite en 1991 la délivrance
de certificats de nationalité française pour ses
trois enfants en se fondant sur l'article 2-1 du Code de la nationalité
française, selon lequel
" Est français :
1°) l'enfant né en France de parents apatrides;
2°) l'enfant né en France de parents étrangers et
à qui n'est attribuée par les lois étrangères
la nationalité d'aucun des deux parents. "
Il est en effet ressortissant palestinien et ses enfants ne peuvent,
selon la loi syrienne, acquérir la nationalité syrienne
du fait de leur mère.
Le 26 octobre 1992, après avoir consulté les services
de la Chancellerie, le juge d'instance refuse la délivrance
des certificats sollicités au motif que " le père
des enfants doit être considéré comme syrien
".
N'ayant aucune possibilité de solliciter des autorités
syriennes qui lui refusent la nationalité, le bénéfice
de celle-ci pour ses enfants, il décide de saisir l'Office
français de protection des réfugiés et apatrides
(OFPRA) qui lui délivre, le 6 janvier 1993, un certificat
d'apatride d'origine palestinienne.
Muni de ce document, l'intéressé a sollicité
à nouveau la délivrance de certificats de nationalité
française pour ses enfants auprès du juge d'instance
de son nouveau domicile.
Le juge décide alors à nouveau de consulter les
services de la Chancellerie, le 2 février 1993.
Après dix mois de démarches, la question a fini
par aboutir à une solution. La Chancellerie a en effet
donné au tribunal d'instance compétent les instructions
nécessaires à la délivrance des certificats
demandés.
La procédure de délivrance des certificats de nationalité
présente des difficultés, tant en ce qui concerne
la détermination de l'autorité compétente,
que la fourniture des documents exigés des demandeurs.
S'agissant de l'autorité compétente, l'importance
que revêt le certificat de nationalité a conduit
à en confier la délivrance au juge d'instance. Cette
autorité, pour délivrer le document, doit fonder
sa décision sur tout élément justifiant que
le demandeur possède bien la nationalité qu'il revendique.
Aucune disposition législative ou réglementaire
n'indique quel est le juge territorialement compétent,
mais l'instruction du 20 avril 1959 désigne en priorité
celui de la résidence ou de la dernière résidence
de l'intéressé.
Pour les personnes domiciliées à l'étranger,
un usage très ancien donne compétence au juge d'instance
du 1er arrondissement de Paris. Mais, afin d'alléger la
charge représentée par la délivrance des
certificats de nationalité des Français résidant
en Algérie, en Tunisie et au Maroc, des mesures ont été
prises, répartissant entre cinq tribunaux d'instance la
compétence de la délivrance de ces certificats.
Le juge d'instance d'Aix-en-Provence pour les personnes résidant
à Alger, celui de Nîmes pour celles qui résident
à Constantine, celui de Montpellier pour celles
qui résident à Oran, celui de Marseille pour celles
qui résident en Tunisie, et celui de Bordeaux pour les
résidants au Maroc.
Ces juges ont progressivement été à leur
tour surchargés. Actuellement un délai de plus de
deux ans est nécessaire pour obtenir un certificat de nationalité
du juge d'instance d'Aix-en-Provence ainsi que cela a été
précisé oralement à un réclamant ;
le délai nécessaire au juge d'instance du 1er arrondissement
de Paris s'est lui aussi allongé et il atteint également
deux ans.
L'instruction de 1959 qui a précisé le juge d'instance
territorialement compétent a également ouvert la
possibilité pour le requérant de solliciter ce document
du juge d'instance de sa dernière résidence, d'un
domicile momentané en cas d'urgence, ou du lieu d'origine
de ses ascendants.
Ces " facilités " ne sont pas sans risques d'erreurs
ou d'abus. Dans le dessein de les éviter, les juges d'instance
ont été invités à convoquer les intéressés
afin de s'assurer notamment qu'ils relèvent de leur compétence
territoriale.
Ces instructions, par définition, ne pouvaient pas tout
résoudre. L'exemple de la situation des Français
résidant à l'étranger fait que la possibilité
de s'adresser aux juges d'instance ayant une compétence
territoriale subsidiaire est illusoire.
La détermination du juge compétent n'est pas la
seule difficulté à surmonter. L'obtention du certificat
de nationalité est subordonnée à la production
de documents parfois difficiles à réunir.
Par exemple, pour délivrer un certificat de nationalité
à un requérant qui n'est pas né en France,
le juge d'instance devra vérifier la nationalité
française d'au moins l'un de ses parents. S'il est acquis
que celui-ci n'est pas français, la recherche se porte
sur l'origine de l'autre parent, ce qui nécessite la réunion
des documents établissant la nationalité française
de ce dernier. Pour peu que les documents nécessitent vérification,
la délivrance du certificat peut se révéler
difficile et longue, créant ainsi une situation préjudiciable
pour l'intéressé (réclamation no 93-2308).
Ainsi, une fille née à l'étranger de mère
française mais de père étranger, entrée
en France en 1987, a obtenu un certificat de nationalité
valable jusqu'à sa majorité (septembre 1991). Devenue
majeure, elle demande la confirmation de son appartenance à
la nationalité française.
Une multitude de documents, en originaux et en photocopies, remontant
jusqu'à la naissance de ses grands-parents, lui sont alors
demandés. Matériellement, la constitution d'un tel
dossier nécessite des recherches pouvant durer des mois,
sinon des années.
Le juge d'instance est aussi tenu de s'assurer que les conventions
internationales susceptibles de s'appliquer à l'un des
parents n'ont pas
privé ce dernier de la nationalité française
que la loi française lui aurait attribuée (réclamation
no 93-0850).
C'est ainsi que, née au Vietnam en 1954, de parents eux-mêmes
nés au Vietnam, une femme résidant en France depuis
plusieurs années se considère comme française
et demande la délivrance d'un certificat de nationalité.
Ne parvenant pas à obtenir du juge d'instance compétent
ce document, elle sollicite l'intervention du Médiateur
de la République.
Peu après, l'intéressée apprend que le certificat
de nationalité lui est refusé. Elle manifeste son
intention de former un recours gracieux auprès du Garde
des sceaux, estimant en effet que, son père ayant obtenu
par décret la naturalisation française, elle est
française par filiation.
Ce recours gracieux ne permet pas la poursuite de l'intervention
du Médiateur de la République qui ne peut se substituer
au Garde des sceaux dans l'appréciation du bien-fondé
de la demande qui lui a été soumise.
Le Médiateur a toutefois estimé opportun d'indiquer
à la réclamante que la référence qu'elle
fait au statut de son père pour revendiquer la nationalité
française est aléatoire, au regard de la convention
franco-vietnamienne conclue le 16 août 1955, qui prévoit
en son article 4 que pour conserver la nationalité française
obtenue par un décret postérieur au 8 mars 1949,
il fallait opter en ce sens dans un délai déterminé.
L'intéressée était alors invitée à
rechercher si son père avait bien effectué une telle
démarche, seule chance pour elle de voir son recours aboutir.
Enfin, la complexité de la combinaison des règles
applicables conduit parfois à une appréciation inexacte
de la situation du requérant.
Certes, un service du ministère de la Justice est à
la disposition des juges d'instance pour le cas où la nationalité
française de l'intéressé serait incertaine,
mais la consultation de ce service, qui est également surchargé,
nécessite un délai qui peut être regrettable.
En cas de refus du juge de délivrer le certificat, la loi
prévoit un recours gracieux devant le Garde des sceaux.
Si celui-ci refuse à son tour le certificat, l'intéressé
devra s'adresser au tribunal de grande instance.
Un cas, soumis au Médiateur, illustre les " cafouillages
" auxquels peut donner lieu la détermination de la
nationalité (réclamation no 93-1688).
Une jeune femme, née en Algérie en 1958, a épousé
en 1979, en Belgique, un ressortissant français d'origine
algérienne. Au mois de décembre 1991, en instance
de divorce, elle rentre en France et s'installe chez un oncle
demeurant à Toulouse.
Là, elle entreprend des démarches pour obtenir un
certificat de nationalité et la carte d'identité.
Elle fournit les documents justificatifs de ses antécédents.
Pendant l'instruction de sa demande, elle obtient de la préfecture
la carte d'identité, avec mention de sa nationalité
française.
Au mois de juillet 1992, elle part s'installer chez son frère,
à Dijon. Etant sans nouvelles de la demande de certificat
de nationalité déposée à Toulouse,
elle se présente, avec les documents nécessaires,
au juge d'instance du lieu pour obtenir le certificat de nationalité
française qu'on lui accorde sans difficulté.
Sur ces entrefaites, le ministre de la Justice notifie au tribunal
d'instance de Toulouse que la jeune femme, née française,
a perdu cette nationalité à la suite de l'accession
de l'Algérie à l'indépendance.
Cette information est aussitôt diffusée à
travers le réseau administratif. L'intéressée
s'est trouvée dans l'obligation de restituer la carte d'identité
et le certificat de nationalité. Souhaitant être
rétablie dans ses droits, elle saisit le Médiateur
de la République.
Après un examen du dossier, le Médiateur demande
au bureau de la nationalité du ministère de la Justice
de procéder à une étude approfondie de la
situation de l'intéressée. En effet, il apparaissait
que celle-ci pouvait être de nationalité française
par filiation, comme née d'un père français
de statut de droit commun. Elle avait nécessairement conservé
de plein droit cette nationalité lors de l'autodétermination.
Moins d'un mois après cette intervention, le tribunal d'instance
qui avait refusé le certificat de nationalité sur
instructions du bureau de la nationalité du ministère
de la Justice, reçoit de celui-ci une dépêche
lui précisant que l'intéressée était
de nationalité française et qu'aucun obstacle ne
s'opposait désormais à la délivrance du certificat
de nationalité et à la restitution de la carte d'identité.
S'il est de l'intérêt du requérant lui-même
qu'une grande sécurité juridique puisse être
attachée au certificat de nationalité, cet objectif
de sécurité juridique, dont le Médiateur
de la République ne peut que se féliciter, ne rend
pas pour autant acceptables les délais anormalement longs
de délivrance des certificats de nationalité (réclamation
no 93-1995).
À l'âge de dix-huit ans, souhaitant faire renouveler
sa carte d'identité, un jeune homme, résidant en
France, mais né en 1974 aux États-Unis, d'un père
né aux États-Unis et d'une mère née
en France, mariés aux États-Unis en 1972, s'est
vu réclamer un certificat de nationalité française.
Il s'est alors adressé au tribunal d'instance de son domicile,
lequel lui a demandé de prouver que sa mère n'avait
pas acquis
la nationalité américaine lors de son mariage. En
effet, s'étant mariée avant 1973, date à
partir de laquelle a été instituée la possession
de la double nationalité, l'acquisition par la mère
de la nationalité américaine par mariage lui aurait
fait perdre la nationalité française. Par voie de
conséquence, ses enfants, nés d'un père et
d'une mère américains, n'auraient pas été
français.
Devant les difficultés d'obtenir des autorités américaines
l'acte attestant qu'elle n'avait pas acquis la nationalité
américaine par mariage, la mère a sollicité
l'intervention du Médiateur de la République.
Après examen du dossier, le tribunal d'instance (en liaison
avec le ministère de la Justice consulté sur ce
dossier) a tenu compte de l'impossibilité pour la mère
d'obtenir des autorités américaines l'attestation
demandée. Il a invité l'intéressée
à lui communiquer tous les documents en sa possession permettant
d'établir qu'elle n'avait pas pu acquérir la nationalité
américaine, compte tenu des règles en vigueur dans
ce pays.
Quelque temps plus tard, le tribunal d'instance était avisé
par la Chancellerie qu'un certificat de nationalité pouvait
être délivré à ce jeune homme.
Il est probable que ces délais puissent s'expliquer par
une insuffisance de moyens en personnel et en matériel
; or, à cet égard, le Médiateur de la République
n'a pas compétence pour demander aux pouvoirs publics la
mise en uvre de moyens matériels de nature à
remédier à cette situation. Mais il se doit d'attirer
l'attention sur le mauvais fonctionnement du service public, tel
qu'il l'a constaté, occasionnant de regrettables retards
dans la délivrance des certificats de nationalité.
2.La demande de réintégration dans la nationalité
française
A défaut d'obtenir un certificat de nationalité,
les intéressés peuvent être conduits à
présenter une demande de réintégration dans
la nationalité française, procédure longue.
Le Médiateur de la République ne peut qu'insister
sur la nécessité de traiter ces demandes dans les
délais les plus courts compte tenu de la situation précaire
dans laquelle se trouvent les demandeurs. Ni français,
ni étrangers, démunis de leurs titres, ils sont
plus que tout autre exposés aux difficultés quotidiennes
: emploi, liberté d'aller et venir à l'extérieur
du territoire peuvent ainsi être compromis, sans omettre
l'accès aux droits civiques ou encore la garantie protégeant
la présence sur le territoire national.
On peut évoquer à cet égard le cas de cette
jeune femme, née en 1953 en France de parents d'origine
algérienne qui n'ont pas opté pour la nationalité
française avant le 1er janvier 1963, comme ils en avaient
la possibilité en application des accords d'Evian (réclamation
no 93-0755).
Ignorant la procédure à suivre pour solliciter sa
réintégration dans la nationalité française,
l'intéressée s'adresse au tribunal d'instance de
Paris, le 5 janvier 1992.
Quatorze mois plus tard, elle saisit le Médiateur faute
d'avoir une idée claire des démarches qu'elle doit
entreprendre pour avoir un statut reconnu.
L'enquête à laquelle procèdera le Médiateur
sera l'occasion de mesurer la complexité des cheminements
que peut traverser un dossier mal engagé par le réclamant
lorsqu'il s'abstient de s'informer complètement sur la
nature des démarches à effectuer.
Le greffier du tribunal saisi a immédiatement indiqué
que le tribunal était incompétent et a réorienté
l'intéressée vers la préfecture.
Mais, devant l'insistance de l'intéressée qui, revendiquant
la nationalité française, demandait que la Chancellerie
se prononce, il a néanmoins engagé une procédure
de consultation, le 11 mars 1992.
Peu de temps après, le 1er avril 1992, l'intéressée
dépose à la mairie de son nouveau domicile, à
Paris, une demande de carte d'identité française,
qui lui est délivrée le 10 avril.
Cependant, le 22 juillet suivant, la préfecture de police
réclame la restitution de ce document, établi par
erreur, et conseille à l'intéressée de déposer
un dossier de réintégration dans la nationalité
française.
Après plusieurs rappels, l'intéressée remet
sa carte le 24 décembre, sans toutefois demander sa réintégration,
en raison de la procédure de consultation engagée
qui avait suivi son cours.
Après avoir saisi le Médiateur, elle a, en définitive,
accepté d'accomplir cette démarche qui lui avait
été conseillée dès janvier 1992 et
dépose un dossier de réintégration le 19
mars 1993.
Par ailleurs, elle devait être informée le 1er avril
1993, par l'intermédiaire du Médiateur de la République,
que la Chancellerie avait émis un avis négatif et
ne lui reconnaissait pas la nationalité française.
Le Médiateur de la République est alors intervenu
auprès de la préfecture pour s'assurer de l'instruction
du dossier de demande de réintégration. Le dossier
de l'intéressée a été transmis le
1er juillet au ministère des Affaires sociales chargé
de proposer le décret de réintégration.
La réforme du Code de la nationalité étant
aujourd'hui achevée, il n'apparaît pas inutile, à
la lumière des réclamations des particuliers, de
reprendre certaines des réflexions formulées dans
le passé non seulement pour simplifier les modalités
de la délivrance des documents sur la possession de la
nationalité française, mais aussi pour raccourcir
les délais de traitement des procédures engagées
qui compromettent la sécurité juridique des personnes
en cause qui, démunies de toute pièce d'identité,
ne pouvaient se rendre à l'étranger sans encourir
le risque
important de se voir refuser l'accès au territoire national
à l'occasion de leur retour.
Plus grave encore, n'étant pas en mesure de justifier de
leur nationalité française, elles sont exposées
au risque de se voir expulsées du territoire national à
la suite d'un banal contrôle d'identité.
Le Médiateur de la République ne peut qu'insister
sur l'importance du respect du droit à la nationalité
au demeurant consacré par l'article 15 de la Déclaration
universelle des Droits de l'Homme : " 1.Tout individu a droit
à une nationalité; 2. Nul ne peut être arbitrairement
privé de sa nationalité ni du droit de changer de
nationalité ".
C. L'INSCRIPTION SUR LES FICHIERS INFORMATISÉS
L'informatique touche tous les domaines d'activité de l'administration
et du secteur public et son développement conduit à
toujours renforcer l'efficacité des systèmes de
protection mis en place. En France, la loi du 6 janvier 1978 relative
à l'informatique, aux fichiers et aux libertés constitue
le texte de base. Mais, il faut également rappeler l'existence
de la Convention 108, Convention du Conseil de l'Europe pour la
protection des personnes à l'égard du traitement
automatisé des données à caractère
personnel du 20 janvier 1981, ratifiée par la France en
1985. Dans le cadre communautaire, le principe de libre circulation
qui a naturellement des répercussions en matière
d'informatique, a conduit la Commission a élaborer une
réglementation. Un projet de directive dont de nombreuses
dispositions s'inspirent de la législation française,
est actuellement en cours de préparation pour assurer la
protection des personnes à l'égard du traitement
des données à caractère personnel.
Dans une circulaire du 12 mars 1993, le Premier ministre a tout
particulièrement insisté sur la vigilance nécessaire
à apporter à la commercialisation des fichiers,
à la transmission de données à l'étranger,
en raison notamment des risques que peuvent courir les particuliers.
Dans le cadre de son activité quotidienne, le Médiateur
de la République n'a pas souvent à connaître
de réclamations relatives aux fichiers informatisés,
dans la mesure où le législateur a confié
une mission de surveillance à la Commission nationale Informatique
et Libertés (CNIL), mais il peut être sollicité,
comme le montre la réclamation no 92-5385.
Une jeune femme dépose un dossier auprès de la commission
départementale de surendettement et obtient la mise en
place d'un plan conventionnel de règlement de ses dettes.
Ayant soldé ses dettes avant l'échéance du
plan, elle demande la suppression de son inscription au fichier
national des incidents de remboursement des crédits aux
particuliers (FICP).
Le secrétaire de la commission de surendettement l'informe
alors que " l'inscription prévue par la loi porte
sur une durée minimum de 36 mois, bien que le plan ait
été totalement honoré ".
Estimant que le maintien de son inscription au FICP portait atteinte
à son crédit et compromettait sa liberté
d'engager des négociations à incidences financières,
l'intéressée sollicite l'intervention du Médiateur
de la République.
L'analyse de ce dossier conduit le Médiateur de la République
à émettre quelques réserves quant à
l'interprétation qui a été faite des textes
applicables.
Le règlement du comité de la réglementation
bancaire pris le 11 avril 1990, en application de l'article 23
de la loi no 89-1010 relative au surendettement, prévoit,
en effet en son article 8, alinéa 2, que les " informations
visées à l'article 5 ci-dessus (relatif au contenu
des informations à communiquer par les établissements
de crédit pour les incidents de paiement caractérisés
devenus déclarables) sont conservées dans le fichier
(FICP) pendant trois ans, et sont radiées dès la
date d'enregistrement dans le fichier du paiement intégral
des sommes dues ".
Par ailleurs, le dernier alinéa du même article prévoit
que " les informations concernant les mesures conventionnelles
ou judiciaires mentionnées au titre 1er de la loi du 31
décembre 1989 (relative au surendettement) sont communiquées
à la Banque de France et conservées pendant la durée
du plan conventionnel ou la durée d'application des mesures
de redressement judiciaire, sans que la durée de conservation
puisse excéder trois ans ".
S'il est vrai que la radiation avant la fin du délai de
trois ans n'est pas expressément prévue par le texte,
elle n'en semble pas moins possible au Médiateur de la
République : la durée de trois ans étant
une durée maximale, elle autorise implicitement une radiation
anticipée.
Par ailleurs, en cas de paiement anticipé des échéanciers
du plan de redressement, celui-ci devient sans objet et le "
fichage " apparaît contraire aux dispositions prévoyant
le maintien de l'inscription pendant la durée du plan.
Enfin, sur le plan de l'équité, le Médiateur
de la République estime totalement injustifié le
maintien de l'inscription au FICP, des informations concernant
les débiteurs ayant réglé leurs dettes.
Ce maintien revêt, en effet, un caractère de sanction
et pénalise le débiteur qui a fait l'effort d'apurer
ses dettes de façon anticipée, alors même
que le FICP n'est qu'un outil d'information au service des organismes
prêteurs.
Au terme de cette analyse et par une recommandation en équité,
le Médiateur de la République obtient du Gouverneur
de la Banque de France la radiation de la réclamante du
FICP.
Par ailleurs, et d'un point de vue général, les
observations du Médiateur de la République ont été
prises en compte dans le cadre de la réforme du règlement
du 11 avril 1990 du comité de la réglementation
bancaire qui fixe les conditions de collecte, d'enregistrement,
de conservation et de consultation de ces informations.
Le règlement, modifié le 21 avril 1993 et
entré en vigueur le 1er mai 1993, prévoit que les
informations concernant le débiteur sont radiées
dès que celui-ci a justifié auprès de la
Banque de France du paiement intégral de ses dettes auprès
de tous les créanciers figurant au plan ou au jugement.
Cette disposition est également applicable aux personnes
qui auraient, avant cette date, procédé au remboursement
intégral de leurs dettes.
II. L'EXERCICE DES
LIBERTÉS POLITIQUES
Bien que l'exercice du droit de vote ne soit directement mentionné
ni par la déclaration de 1789, ni par celle de 1946, il
va sans dire qu'il s'agit d'un droit fondamental de valeur constitutionnelle.
Selon la formule du Conseil Constitutionnel, " la qualité
de citoyen ouvre le droit de vote dans des conditions identiques
à tous ceux qui n'en sont pas exclus pour une raison d'âge,
d'incapacité ou de nationalité ou pour une raison
tendant à préserver la liberté de l'électeur
" (décision 82-146 DC, 18 novembre 1982).
A. L'INSCRIPTION SUR UNE LISTE ÉLECTORALE
L'une des formalités substantielles qui conditionne la
reconnaissance au bénéfice du citoyen de sa qualité
d'électeur, réside dans l'inscription sur une liste
électorale.
Dans les développements précédents relatifs
à la délivrance de la carte nationale d'identité,
il a été signalé les difficultés que
rencontrent les personnes sans domicile fixe qui, faute de ce
titre, sont de facto privées de la possibilité de
s'inscrire sur une liste électorale et, par voie de conséquence,
privées de leur droit de participer à la vie politique.
La proposition de réforme INT. 93-01 est de nature à
lever cette difficulté et à faire disparaître
une des discriminations encore existantes pour l'accès
à la citoyenneté.
Dans le même ordre d'idée, l'attention du Médiateur
de la République a été appelée sur
la situation des majeurs sous tutelle qui, en application des
dispositions légales, ne sont pas admis à exercer
le droit de vote.
En effet, aux termes de l'article L.5 du Code électoral,
" ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale
: (...) 6o les interdits ". La notion d'interdit correspond
aujourd'hui, à la catégorie des majeurs sous tutelle.
Eu égard aux situations individuelles dont a eu à
connaître le Médiateur, ce régime apparaît manquer de nuances.
Les causes de mise en tutelle sont très diverses. Ainsi,
le majeur peut être protégé à sa demande.
Le régime de la tutelle est également susceptible
de s'appliquer aussi bien au jeune handicapé physique qu'à
la personne âgée, en passant par les malades atteints
d'une psychose limitée.
C'est la volonté d'adapter la règle de droit à
cette multiplicité de cas individuels qui a présidé
à l'adoption de la loi du 3 janvier 1968 sur les incapables
majeurs. L'article 501 du Code civil, qui en résulte, permet
au juge, lors de l'ouverture de la tutelle ou par un jugement
postérieur, pris sur l'avis du médecin traitant,
d'énumérer les actes que la personne en tutelle
aura la possibilité d'accomplir seule ou avec l'assistance
de son tuteur.
Cependant, la combinaison de cette disposition avec l'article
L.5-6 du Code électoral pose problème, ces deux
textes ayant chacun un champ d'application général.
L'un, de droit public, ne distingue pas entre les différentes
catégories de majeurs en tutelle, et l'autre, de droit
privé, ne précise pas les types d'actes pour lesquels
une dérogation est possible.
La Cour de cassation, dans un arrêt du 9 novembre 1982,
a jugé que l'article 501 du Code civil ne permettait pas
au juge de déroger à la règle de droit public
posée par le Code électoral. L'analyse juridique
à laquelle la Cour a procédé n'est évidemment
pas en cause, cependant, tels qu'ils sont interprétés,
les textes conduisent à une situation peu satisfaisante.
Aussi, semble-t-il nécessaire d'individualiser les mesures
de protection au sein de la tutelle et de ne pas recourir à
des régimes par trop rigides s'appliquant uniformément
à des citoyens capables de remplir leur devoir civique.
Le Médiateur suggère donc que soit étudiée
la possibilité de confier au juge le soin de se prononcer
sur l'exercice du droit de vote par l'incapable majeur placé
sous tutelle (proposition de réforme INT 93-04).
Indépendamment de ces questions de fond, le Médiateur
de la République a été à plusieurs
reprises conduit à intervenir à la demande de personnes
ne parvenant pas à obtenir leur réinscription sur
la liste électorale.
Le rapport 1992 mentionnait ainsi la réclamation d'une
personne rayée à tort par suite d'une transcription
erronée de condamnations sur son casier judiciaire (cf.
réclamation no 92-3263, citée dans le rapport de
1992, p. 209).
Cette année encore, le Médiateur de la République
a été sollicité par une personne privée
de ses droits civiques à la suite d'une faillite personnelle.
En application de l'article 171 du décret no 85-1388 du
27 décembre 1985, relatif au redressement et à la
liquidation judiciaire des entreprises qui prévoit que
" toute demande ou relevé des déchéances,
interdictions et incapacités, est adressée par requête
au tribunal qui a prononcé le redressement judi
ciaire ", l'intéressé, qui a apuré son
passif, a demandé par une
lettre du 6 décembre 1988 au président du tribunal
de commerce compétent, à recouvrer l'exercice de
son droit de vote.
Il a renouvelé sa demande le 11 février 1989, puis
le 12 avril 1989 et enfin le 16 mars 1992.
Dans cette affaire, le Médiateur est intervenu à
plusieurs reprises en rappelant l'obligation faite par le législateur
d'instruire les demandes de réhabilitation.
B. LE VOTE PAR PROCURATION
L'année 1993 a permis de clore le récent débat
engagé sur les modalités du vote par procuration.
L'attention du Médiateur a en effet été appelée
à l'occasion de la consultation référendaire
de septembre 1992, sur les difficultés rencontrées
par les personnes retraitées pour participer au vote. La
situation qui lui a été signalée est celle
de retraités qui, étant en vacances, absents de
leur domicile le jour du référendum de mars 1992,
ne pouvaient pas voter par procuration.
Après avoir saisi en décembre 1992 le Conseil
d'État sur la possibilité d'une réforme du
Code électoral sur ce point, le Médiateur de la
République devait adresser au ministre d'État, ministre
de l'intérieur et de l'aménagement du territoire,
une proposition de réforme tendant à l'assouplissement
des dispositions de l'article L.71-I du code. L'adoption de la
loi no 93-894 du 6 juillet 1993 répond aux préoccupations
formulées par le Médiateur de la République
dans la proposition de réforme INT 93-02.
III. LE DROIT DE PROPRIÉTÉ
L'article 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et
du citoyen de 1789 consacre le droit de propriété
comme inviolable et sacré.
" La propriété étant un droit inviolable
et sacré, nul ne peut en être privé, si ce
n'est lorsque la nécessité publique, légalement
constatée, l'exige évidemment et sous la condition
d'une juste et préalable indemnité. "
Comme l'a relevé le Conseil Constitutionnel dans sa décision
no 89-256 DC du 25 juillet 1989, " les finalités et
les conditions d'exercice du droit de propriété
ont subi une évolution caractérisée par une
extension de son champ d'application à des domaines nouveaux
et par des limitations exigées au nom de l'intérêt
général ".
En dépit de la lettre du premier alinéa de l'article
17, le droit de propriété protégé
par la Constitution intègre donc les limitations rendues
nécessaires par l'intérêt général.
Parmi les garanties constitutionnelles dont bénéficie
le droit de propriété, figure l'exigence de recourir
au législateur pour décider des conditions dans
lesquelles il peut être
porté atteinte à ce droit. Cette assurance n'écarte
cependant pas le risque d'un conflit lié également
à la prolifération législative.
Cela est si vrai que les notaires, officiers ministériels
chargés de conseiller le titulaire actuel ou futur du droit
de propriété, ont exprimé au cours de leur
89ème congrès leur inquiétude concernant
l'insécurité juridique affectant les contours du
droit de propriété immobilière.
A. LE DROIT DE CONSTRUIRE
Nombreuses sont les affaires liées à la difficulté
d'exercer concrètement le droit à construire, qui
est un accessoire du droit de propriété. L'exemple
le plus caractéristique est donné par la contradiction
qui se produit lorsqu'un certificat d'urbanisme positif est suivi
d'un refus de permis de construire.
Cette contradiction peut naître de considérations
légitimes, conformes au droit, mais non perçues
lors de la délivrance du certificat d'urbanisme. Elles
sous-tendent alors le fait accidentel, l'erreur. Les deux documents
émanant de la même autorité, il incombe naturellement
à celle-ci d'en réparer les effets. Le principe
de compensation énoncé par l'article 17 trouverait
alors à s'appliquer.
M. I... a acquis un terrain pour y faire construire une maison.
Un certificat d'urbanisme positif délivré le 14
novembre 1991 lui a été présenté par
le vendeur. Le 8 août 1992, M. I... dépose une demande
de permis de construire. Un refus lui est notifié le 8
octobre 1992 (réclamation no 92-5511).
Les informations que le Médiateur de la République
a recueillies localement confirment en l'espèce le caractère
totalement objectif du refus au regard de la situation du terrain
en cause.
Ce terrain est situé en zone naturelle et boisée
qui présente incontestablement des risques d'incendie mettant
en danger la sécurité des riverains. Par ailleurs,
ne jouxtant aucune partie urbanisée de la commune, les
équipements collectifs existants ne peuvent pas lui être
étendus. Enfin, il ne peut être rattaché à
un secteur d'aménagement futur.
Cependant, la contradiction entre les deux décisions crée
un préjudice financier important pour M. I... qui, en vue
d'y édifier sa maison, a acheté ce terrain sur la
base du droit à construire qui y était attaché.
En l'espèce, le maire a admis la responsabilité
de la commune et envisagé une indemnisation des frais engagés
dans cette opération par le réclamant.
Ainsi ce dernier a-t-il obtenu une compensation. On peut se demander
si elle va couvrir tous les frais engagés. Par ailleurs,
ce terrain devenu inutile est impossible à revendre.
Enfin, le bénéficiaire caché mais véritable
reste le vendeur qui a encaissé le prix d'un terrain constructible pour la vente
d'un terrain qui ne l'était pas.
Outre les atteintes portées au droit de construire, le
droit de propriété en matière d'urbanisme
est aussi menacé par plusieurs procédures, comme
l'expropriation, le régime des emplacements réservés
et le remembrement.
B. L'EXPROPRIATION ET LES EMPLACEMENTS RÉSERVÉS
L'expropriation " pour cause d'utilité publique "
aboutit à priver légalement une personne de son
bien.
L'article 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et
du citoyen en prévoit la possibilité. L'application
de l'expropriation est entourée d'une procédure
complexe formant un ensemble de mesures associant, dans leurs
rôles respectifs, l'autorité judiciaire et la juridiction
administrative.
La notion " d'utilité publique " est, dans la
pratique, entendue très largement. Elle concerne, depuis
le terrain destiné à l'installation d'un bureau
de poste jusqu'à la défense nationale, les centrales
nucléaires, en passant par l'implantation d'une administration,
l'aménagement du territoire, la création de logements,
l'aménagement routier, le boisement, la conservation des
forêts, etc.
Mais l'expropriation est aujourd'hui soumise au contrôle
du juge. Si les atteintes à la propriété
privée ou le coût financier sont excessifs, eu égard
à l'utilité publique du projet, le juge, saisi d'un
recours, peut annuler l'opération.
Cependant, le contrôle juridictionnel ne permet pas toujours
de régler les situations individuelles. C'est l'exemple
d'une expropriation au profit d'une collectivité pour la
construction d'immeubles d'habitation. Le propriétaire
exproprié ayant obtenu un jugement d'annulation, au terme
d'un long procès, se trouve dépourvu de tous moyens
de récupérer ses biens, sauf à racheter les
immeubles construits (cas cité au rapport de 1991, p. 137).
Cet exemple n'est pas unique, comme en témoignent les réclamations
93-0488 et 93-2350.
- M. G... possède une propriété dans le Sud-Est
de la France. Un projet autoroutier, établi dans les formes
requises, englobe une partie de son terrain. Par jugement du tribunal
de grande instance, cette partie a fait l'objet d'une expropriation.
L'intéressé ne conteste pas l'utilité publique
de l'opération et accepte de céder à l'amiable
le reste de sa propriété.
Quelque temps plus tard, le projet d'autoroute est abandonné.
Cependant, la propriété continue à être
utilisée dans le cadre des activités de l'administration.
Devant ces faits, se référant à l'article
L.12-6 du Code de l'expropriation, M. G... décide d'exercer
son droit de rétrocession. Il engage à cet effet
une procédure devant le tribunal de grande instance et obtient satisfaction. Par une nouvelle ordonnance,
le montant de la rétrocession a été fixé
à la somme de 741 000 F. L'administration, voulant un prix
de 1 193 000 F, s'est pourvue en appel. L'affaire est toujours
en instance.
Depuis son expropriation, en 1972, cette propriété
est restée occupée. L'administration, pour régulariser
sa situation, engage une seconde procédure d'expropriation
au motif d'utiliser la propriété comme laboratoire
de chantier. L'utilité publique de l'opération lui
a été accordée.
M. G..., estimant que son droit de propriétaire a été
bafoué, demande l'intervention du Médiateur de la
République. Il se déclare prêt à renoncer
à son droit contre une indemnisation convenable par voie
amiable. Le Médiateur est intervenu auprès de l'administration
sur ces bases de façon à nouer le dialogue.
Au dernier moment, l'administration a renoncé à
cette propriété pour implanter le laboratoire en
un lieu, selon ses dires, mieux adapté à ses besoins.
M. G... a ainsi été rétabli dans son droit
de propriétaire, sous réserve du prix de rétrocession
qui résultera de la décision du juge de l'expropriation.
En l'occurrence, on est en droit de s'interroger sur la véritable
motivation de l'administration. En effet, ayant affirmé
constamment que la propriété de M. G... correspondait
idéalement à son besoin, il est surprenant d'apprendre
qu'inopinément, elle a pu trouver une implantation du laboratoire
mieux adaptée.
- Dans le second cas, la création d'une voie routière
conduit à l'expropriation d'une partie d'un terrain. Le
jugement d'expropriation prévoyait pour la partie restante
du terrain l'aménagement de voies d'accès à
la charge de l'administration expropriante.
Celle-ci, pour des raisons techniques l'empêchant de réaliser
les aménagements, a proposé au propriétaire
le rachat amiable du reste de la propriété.
Le prix offert, correspondant aux tarifs du terrain en zone naturelle,
ne satisfaisait pas le propriétaire, qui demande alors
que soit exécuté, dans son ensemble, le jugement
d'expropriation.
Pour des raisons tenant au refus de créer un précédent,
l'administration projette d'engager une nouvelle procédure
d'expropriation pour le reste du terrain.
L'attention du Médiateur de la République est souvent
appelée sur les difficultés à concilier le
droit de propriété avec les procédures engagées
à l'initiative des collectivités publiques pour
satisfaire des politiques d'intérêt général.
Une commune doit en effet pouvoir acquérir les terrains
destinés à la satisfaction des besoins publics et
les aménager.
Elle détermine, à l'occasion de l'élaboration
du plan d'occupation des sols, des emplacements réservés
aux voies et ouvrages publics, aux installations d'intérêt
général, ainsi qu'aux espaces verts. Mais elle porte
atteinte à la libre disposition des biens si, alors qu'elle
ne se porte pas acquéreur du bien situé dans le
périmètre d'un emplacement réservé
au plan d'occupation des sols, elle refuse dans le même
temps au propriétaire toute possibilité d'aménagement.
Ainsi, Mme X... (réclamation no 92-5104) possède
un terrain destiné à un ouvrage public, figurant
donc au plan d'occupation des sols (P.O.S.) comme emplacement
réservé.
Sollicitée par un aménageur privé, Mme X...
établit une déclaration d'intention d'aliéner.
La commune l'informe qu'elle renonce à son droit de préemption
sur ce terrain. Cependant, elle refuse de lui délivrer
le certificat d'urbanisme indispensable à la vente du terrain.
Devant ces atermoiements, l'acquéreur décide d'abandonner
son projet.
Mme X..., se prévalant de l'article L.123-9 du Code de
l'urbanisme, met alors la commune en demeure d'acheter le terrain.
Après avoir accepté d'acquérir ce terrain,
puis renoncé à le faire, la commune a levé
la réserve qui pesait sur le terrain et pris l'engagement
de renoncer à l'exercice de son droit de préemption
lorsque la propriétaire lui présenterait une déclaration
d'intention d'aliéner.
C. LE REMEMBREMENT
En dehors de ces différends, la procédure de remembrement
fournit également une bonne illustration des atteintes
possibles au droit de propriété, comme le montre
la réclamation no 93-0240.
Le réclamant était propriétaire à
Cuisia (Jura) de 3 parcelles qui étaient séparées
du reste de sa propriété par une parcelle équivalente
appartenant à un propriétaire indivis.
Lors des opérations de remembrement, la commission départementale
a prescrit un échange de ces parcelles entre les propriétaires,
échange qui a été contesté par le
propriétaire indivis.
Le tribunal administratif, par un jugement rendu le 4 mai 1988,
a annulé la décision de la commission, au motif
exclusif que celle-ci avait statué dans une composition
irrégulière.
La commission départementale d'aménagement foncier
a réexaminé le sort de la parcelle et maintenu l'attribution
initiale, par décision du 15 septembre 1988.
L'indivis a alors intenté un second recours devant le tribunal
administratif et ce dernier, considérant la nature de terrain
à
bâtir de la parcelle en cause, a, en application de l'article
20, 4o du Code rural, annulé la décision de la commission.
Celle-ci s'est à nouveau réunie et a, le 31 juillet
1991, attribué la parcelle au propriétaire indivis.
Or, le réclamant, qui exploite une station service limitrophe
de la parcelle qui lui avait été attribuée
par la commission de remembrement, avait installé sur celle-ci,
fin 1989, une cuve desservant deux pompes à carburant.
Cet investissement lui a coûté 102 150 F mais le
réclamant n'est plus propriétaire du terrain qui
lui sert d'assise, la commission s'étant finalement conformée
à la décision du tribunal.
Lors de l'instruction de cette réclamation, il est apparu
au Médiateur que la commission de remembrement avait, à
l'origine, commis une faute, au détriment de l'indivision,
en attribuant sa parcelle au réclamant malgré les
termes de l'article 20-4 du Code rural, en se fondant sur les
dimensions du terrain qu'elle estimait impropres à la construction.
Cette analyse, liée à l'appréciation des
possibilités matérielles de construction, s'avère
en effet contraire à la jurisprudence. Au regard de celle-ci,
la qualification de terrain à bâtir est réservée
aux terrains qui sont tout à la fois effectivement desservis
et équipés, et situés en zone constructible.
Tirant les conséquences du jugement rendu par le tribunal
administratif, la commission départementale de l'aménagement
foncier, a, en outre, demandé aux propriétaires
de rendre les parcelles en cause dans leur état d'origine,
sans toutefois trancher la demande du réclamant tendant
à être indemnisé du préjudice subi.
La commission l'a renvoyé devant le ministre de l'Agriculture
qui, dans un courrier du 21 mai 1992, devait rejeter la demande
en lui indiquant qu'il ne pouvait ignorer l'instance engagée
par l'indivision et le risque encouru à installer des cuves
à carburants.
Lors de la saisine, le Médiateur a contesté l'analyse
du ministre de l'Agriculture sur deux points.
1°) Dès que le transfert de propriété est
intervenu, l'attributaire avait la libre disposition de sa parcelle
et il pouvait donc installer la cuve.
Décider le contraire serait apporter une restriction au
droit de propriété, qui n'est prévue par
aucun texte.
2°) Aucun document ne semble établir que le réclamant
ait eu connaissance d'un recours contentieux.
Indépendamment de la réponse qui sera faite par
le ministre de l'Agriculture sur la demande de réparation
présentée, ce dossier fournit l'occasion d'une réflexion
de fond sur les effets des procédures de remembrement sur
la propriété.
En l'état actuel du Code rural, il existe une procédure
d'indemnisation prévue à l'article 2-9, qui est
confiée à la commission nationale d'aménagement
foncier.
" Lorsque la commission nationale d'aménagement foncier
est saisie, dans les conditions prévues au premier alinéa
de l'article 2-8, d'un litige en matière de remembrement
rural et qu'elle constate que la modification du parcellaire qui
serait nécessaire pour assurer intégralement par
des attributions en nature le rétablissement dans ses droits
du propriétaire intéressé aurait des conséquences
excessives sur la situation d'autres exploitations et compromettrait
la finalité du remembrement, elle peut, à titre
exceptionnel et par décision motivée, prévoir
que ce rétablissement sera assuré par le versement
d'une indemnité à la charge de l'État dont
elle détermine le montant. Les contestations relatives
aux indemnités sont jugées comme en matière
d'expropriation pour cause d'utilité publique ."
Cette procédure est formulée en termes restrictifs.
D'abord, elle suppose soit une carence de la commission départementale,
soit une double annulation successive par le juge administratif
de la décision de la commission départementale,
prononcée pour le même motif. Ces dispositions s'interprètent
plutôt comme une volonté du législateur de
sanctionner la méconnaissance de la chose jugée,
que comme le souci de protéger le propriétaire lésé.
La saisine de la commission nationale relève soit du ministre
de l'Agriculture, soit des intéressés mais il n'est
pas certain que ces derniers soient exactement informés
de leurs droits.
Ensuite, la commission nationale ne peut envisager l'indemnisation
que si elle constate que la modification du parcellaire qui serait
nécessaire pour assurer intégralement par des attributions
en nature le rétablissement du propriétaire intéressé
dans ses droits, a des conséquences excessives pour la
situation des autres exploitants, risquant ainsi de compromettre
la finalité du remembrement.
La procédure prévue n'envisage que les terrains
agricoles qui sont directement l'objet des opérations de
remembrement.
L'insuffisance du dispositif actuel d'indemnisation est perçue
par le ministère et a été évoquée
dans le cadre du groupe de travail, réuni par le conseil
général du Génie rural, des Eaux et des Forêts.
Plusieurs suggestions semblent devoir être formulées
:
1°) Les premières conditions de saisine devraient être
assouplies en ce qui concerne le dispositif de l'article L.2-9
du Code rural. Les commissions départementales d'aménagement
foncier devraient pouvoir se dessaisir d'office au profit de la
commission nationale lorsqu'une demande d'indemnisation leur est
présentée à la suite d'une annulation contentieuse.
2°) Le dispositif devrait être élargi à l'ensemble
des parcelles comprises dans le périmètre du remembrement,
y compris les parcelles réattribuables de plein droit.
Plus généralement, on peut s'interroger sur les
modalités de la procédure contentieuse devant les
juridictions administratives. Il est en effet permis de penser,
au vu de la réclamation no 93-0240, que si le réclamant
avait été informé de l'existence d'un contentieux,
il n'aurait pas installé sa cuve.
Mais, il n'a pas été appelé à l'instance,
ni informé du recours de l'indivision.
La question se pose de savoir s'il ne conviendrait pas de mieux
protéger les tiers bénéficiaires d'une décision
administrative, notamment en leur reconnaissant un droit à
être informé des procédures qui sont engagées
contre cette décision.
Dans son rapport consacré à l'urbanisme ("
l'urbanisme, pour un droit plus efficace "), le Conseil d'État
s'est interrogé sur cette question à travers l'exemple
du permis de construire. Soucieux de renforcer la sécurité
juridique du titulaire du permis de construire et de " responsabiliser
" les requérants, le Conseil a suggéré
que " tout recours contentieux ou gracieux dirigé
contre une autorisation individuelle délivrée en
application du Code de l'urbanisme soit, avant l'expiration des
délais de recours, signifié par le requérant
tant au titulaire de l'autorisation qu'à l'auteur de la
décision ".
Dans sa forme actuelle, la suggestion proposée a l'inconvénient
de présenter un caractère ponctuel qui ne permet
pas de résoudre de manière satisfaisante les problèmes
auxquels se heurtent les bénéficiaires d'une décision
administrative. La protection des tiers bénéficiaires
d'une décision administrative intéresse certes les
propriétaires, pétitionnaires d'un permis de construire,
mais, elle intéresse aussi, comme l'illustre la réclamation
93-0240 évoquée, le propriétaire soumis aux
procédures de remembrement. D'une manière plus générale,
les contentieux relatifs aux structures agricoles révèlent
des difficultés analogues.
Il est sans doute illusoire d'envisager un recensement exhaustif
des situations concernées, ce qui rend difficile la généralisation
de la suggestion proposée par le Conseil d'État
à propos des autorisations d'urbanisme. Une réforme
au coup par coup présenterait par ailleurs l'inconvénient
de rompre l'unité et la cohérence des règles
procédurales qui doivent être appliquées devant
un ordre de juridiction.
Le souci de ne pas multiplier les règles dérogatoires
conduit à s'interroger sur la pratique actuelle du juge
administratif.
Dans sa rédaction actuelle, le code des tribunaux administratifs
et des cours administratives d'appel ne fait pas obligation au
juge d'appeler à l'instance la personne qu'il estime intéressée.
Mais le juge administratif peut d'office, par la communication
de la requête dont il est saisi, appeler à l'instance
toute personne qu'il estime intéressée. Celle-ci,
bien qu'elle puisse produire ses observations, n'a cependant pas
la qualité de partie à l'instance (cf. CE 6 janvier
1961 FOURCAUD, Rec p. 1151).
En matière de permis de construire, les tribunaux administratifs
usent quasi systématiquement de cette procédure.
Une décision du Conseil d'État paraît d'ailleurs
en faire une véritable obligation (17 novembre 1982 - synd.
copropr. de l'immeuble " les Cassettes ").
Il est donc permis de se demander s'il n'y a pas lieu de renforcer
et de généraliser cet usage jurisprudentiel en faisant
obligation pour le juge d'appeler à l'instance toute personne
bénéficiaire de l'acte administratif individuel
contesté. Reconnaissons toutefois que cette proposition
a l'inconvénient de gommer l'aspect novateur de la suggestion
du Conseil d'État qui était de " responsabiliser
" les requérants.
D. LES SERVITUDES ADMINISTRATIVES
Voisine de l'expropriation, mais parfois plus insidieuse, l'institution
de servitudes administratives, qui ne fait pas l'objet d'un statut
ou d'une réglementation aussi développée
que le droit de l'expropriation, peut entraîner de graves
atteintes au droit de propriété.
Le fondement juridique de ces servitudes est essentiellement contenu
dans des textes spécifiques, édictés en vue
d'assurer certains besoins d'intérêt général
: la protection du patrimoine national et du patrimoine culturel,
l'environnement, la défense nationale, l'équipement
électrique ou les télécommunications.
En revanche, une jurisprudence a été établie
par les juridictions civiles et administratives définissant
des critères dont la stabilité n'est pas aussi garantie
que dans le droit d'expropriation.
Ce domaine d'intervention de la puissance publique est assez complexe
et réunit souvent plusieurs parties prenantes : il arrive
fréquemment que le bénéficiaire de la servitude
ne soit pas l'auteur de l'opération.
Dans la pratique, le Médiateur de la République
a eu, à plusieurs reprises, à connaître de
réclamations présentées par des propriétaires
qui se plaignent de ce qu'une collectivité publique a,
sans leur accord, empiété sur leur propriété
en instituant de facto une servitude et recherchent une solution
amiable leur épargnant le recours aux voies juridictionnelles
(cf. en ce sens, la réclamation no 90-0311 citée
au rapport 1991, p. 175).
Cette année encore, le Médiateur de la République
a ainsi été sollicité sur l'atteinte apportée
par l'État en tant qu'exploitant d'un réseau de
câblage lors de l'installation du câble dans un immeuble
(réclamation no 91-3535).
Une SCI a acquis, le 20 septembre 1990, les murs d'un local commercial
et d'une cave, dans un immeuble situé à Paris. La
cave, formant le lot no 41 de la copropriété, se
situe à la verticale du commerce, la communication entre
les deux s'effectuant au moyen d'une trappe.
Les occupants du local commercial exerçant la profession
de bijoutier, ont engagé des travaux de sécurité
pour renforcer d'une part, le sol du local (réalisation
d'une dalle), pour supprimer d'autre part, l'accès à
la cave (réalisation d'un mur, condamnation de l'accès,
etc.).
Lors de ces travaux, les intéressés ont découvert
que les services du ministère des Postes et Télécommunications
avaient procédé en 1988 à l'installation
d'ouvrages destinés au fonctionnement d'un réseau
de vidéocommunication, à l'intérieur du lot
no 41, rendant ainsi impossible la réalisation complète
des travaux de sécurité envisagés.
Dans un premier temps, la démarche des propriétaires
a été de solliciter le retrait des câbles
traversant la propriété. Les services, bien qu'ouverts
sur le principe à un règlement amiable du litige
par la mise en uvre de solutions pratiques dont les modalités
restaient cependant à définir, ont néanmoins
justifié le maintien de l'implantation de l'ouvrage litigieux
dans les lieux actuels.
A l'appui de leur position, les services ont fait référence
à un arrêté municipal prévoyant l'implantation
de l'accès au branchement dans une partie commune de l'immeuble
non affectée à l'habitation. L'administration se
prévalait également de l'accord du syndic et du
conseil syndical, intervenu le 30 mars 1988, avant la réalisation
des travaux de câblage.
Faute de pouvoir trouver un terrain d'entente, les propriétaires
ont saisi le Médiateur de la République pour tenter
de trouver une issue amiable à ce litige tout en saisissant
les tribunaux judiciaires.
Cette réclamation illustre les difficultés que l'on
rencontre en pratique pour concilier les droits des particuliers.
Le préjudice pour les propriétaires n'est guère
contestable dans la mesure où le lot no 41 qui est en cause
constitue une partie privative de l'immeuble. Le règlement
modifié de la copropriété prévoit
bien une servitude de libre accès, mais celle-ci ne grève
matériellement les lieux que de la seule implantation du
compteur général des eaux.
De plus, l'article L.48-3 du Code des postes et télécommunications
sur lequel se fonde l'administration ne prévoit le droit
pour l'État d'établir des conduits ou supports que
dans les parties communes des propriétés bâties
à usage collectif.
Sur un plan plus général, on peut d'ailleurs s'interroger
sur le bien-fondé de cette référence à
l'article L.48 du Code des postes et télécommunications
comme fondement légal de la servitude ainsi revendiquée.
Cet article est issu de la codification de la loi du 28 juillet
1885. Or, l'article 1er de cette loi, introductif (et non codifié),
précise que la servitude est destinée à permettre
le passage de lignes téléphoniques à usage
de correspondance. Le contenu des messages (radio, télévision)
transmis par le réseau câblé à l'usage
d'un public n'est pas à usage de correspondance, cette
notion présupposant l'existence de correspondants individuellement
déterminés.
On ajoutera que selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel
(décision no 85-198 DC du 13 décembre 1985) à
propos de " l'amendement Tour Eiffel " qui concernait
les servitudes dans le domaine de l'audiovisuel, la loi doit fixer
avec précision les garanties que suppose la mise en uvre
de la servitude afin qu'il ne soit pas porté atteinte au
droit de propriété qui est un des droits fondamentaux
garantis par la Constitution.
Dans cette affaire, le Médiateur de la République
a pu cependant mener à bien sa négociation dans
la mesure où France-Télécom a accepté
de retirer ses installations de la cave de l'intéressée.
Pour l'avenir, l'article 4 de la loi du 13 juillet 1992 règle
en effet la question en instituant au bénéfice des
communes, des groupements de communes, ou des personnes autorisées,
en application du premier alinéa de l'article 34 de la
loi de 1986, une servitude leur permettant d'installer et d'entretenir,
à leurs frais, dans les parties des immeubles collectifs
et des lotissements affectés à un usage commun,
les câbles et les équipements annexes nécessaires
à la desserte de locaux à usage privatif.
La servitude devra être établie par la commune ou
le groupement de communes. L'organisme chargé de la mise
en place du réseau ne pourra donc pas l'établir.
Le maire ou le président du groupement de communes doit
notifier au propriétaire ou au syndic de copropriété,
la désignation du bénéficiaire de la servitude,
les modalités de sa mise en uvre, et le délai
(qui ne peut être inférieur à 3 mois) dont
il dispose pour présenter ses observations.
En cas de contestation, les modalités de mise en úuvre
de la servitude sont fixées par le président du
tribunal de grande instance statuant en référé.
En outre, l'installation de ces câbles et équipements
doit être réalisée dans le respect de la qualité
esthétique des lieux et, dans les conditions les moins
dommageables possibles pour les propriétés, la servitude
ne peut faire obstacle au droit des propriétaires et copropriétaires
de démolir, réparer, entretenir ou modifier leurs
immeubles.
Les propriétaires peuvent demander au juge de veiller à
l'application de ces dispositions et, au cas où ils auraient
subi un préjudice, demander à être indemnisés.
E. LE LOGEMENT
À l'occasion de ce développement consacré
au droit de propriété, il convient enfin d'évoquer
les réclamations qui sont adressées au Médiateur
de la République par des propriétaires qui se heurtent
au refus de l'administration de leur accorder le concours de la
force publique pour mettre en uvre la décision d'expulsion
locative dont ils sont bénéficiaires.
Indépendamment des problèmes particuliers liés
à la procédure d'indemnisation qui mériteraient
une étude plus approfondie, il convient de rappeler qu'à
l'occasion de l'examen de ces réclamations, le Médiateur
de la République doit concilier le droit des propriétaires
et le droit au logement reconnu par la loi " Besson "
du 31 mai 1990. La question est inévitablement posée
dans les réclamations soumises au Médiateur de la
République et souvent difficiles à résoudre,
compte tenu de la situation d'impécuniosité que
connaissent, dans la plupart des cas, les occupants des logements.
A l'inverse, le Médiateur de la République a, à
plusieurs reprises, été conduit à instruire
des réclamations présentées par les occupants
de logement menacés d'expulsion ou victimes de propriétaires
indélicats.
A l'occasion de la réclamation no 92-5331, le Médiateur
de la République est ainsi intervenu auprès des
autorités préfectorales, en faveur d'un particulier
menacé d'expulsion à la suite d'une vente par adjudication
de l'appartement qu'il occupait. Le concours de la force publique
a été suspendu le temps nécessaire au relogement
de l'intéressé.
Dans une démarche analogue, le Médiateur de la République
est intervenu en faveur de familles qui logeaient dans un hôtel
et, malgré leurs faibles ressources, réglaient régulièrement
les sommes dues à l'hôtelier (réclamation
no 93-0967).
Ce dernier, dans le but de vendre l'immeuble, avait obtenu leur
expulsion en faisant état de la vétusté des
murs et des risques courus. Mais, les familles avaient cependant
obtenu du juge un délai pour quitter les lieux.
L'hôtelier, voulant forcer leur départ, s'est abstenu
de régler les factures d'EDF qui, en l'absence de paiement,
suspend la fourniture d'électricité, privant ainsi
les occupants d'un confort et d'une sécurité minimum.
Compte tenu du risque pesant sur la sécurité des
personnes (utilisation d'énergie de substitution primaire,
telle que bougies, poêle au fuel, etc.) et soucieux de venir
en aide à ces personnes, le Médiateur a alors saisi
l'OPAC, acquéreur du bâtiment et a obtenu, en l'absence
de toute obligation juridique de l'office, que celui-ci prenne
à sa charge l'arriéré des factures et souscrive
un contrat d'abonnement d'électricité auprès
d'EDF.
Trois jours plus tard, les habitants de l'immeuble ont
eu à nouveau la possibilité d'utiliser l'électricité,
indispensable à leur vie quotidienne.
IV. L'ACTION EXTÉRIEURE
DU MÉDIATEUR
DANS LE DOMAINE DES DROITS DE L'HOMME
Encourager le respect des droits de l'homme et des libertés
fondamentales partout dans le monde a toujours été
l'un des soucis majeurs de la communauté internationale,
et particulièrement de la France.
C'est cette volonté qu'a affirmée une fois encore
notre Parlement en 1973, en instituant un Médiateur de
la République.
C'est dans cet esprit que Jacques PELLETIER a souhaité
en 1993, au niveau national et international, accentuer son rôle,
eu égard à la promotion des droits civils, politiques,
économiques, sociaux et culturels.
Ainsi, le Médiateur a commencé à tisser,
faciliter ou resserrer les liens avec les institutions ou organismes
compétents en matière de droits de l'homme. Il a
engagé des contacts avec les associations humanitaires,
a poursuivi l'action de promotion de l'institution dans les pays
en voie de développement, où s'installe la démocratie
et se renforce l'État de droit. Il a souhaité faire
mieux entendre sa voix dans les instances internationales de promotion
des droits de l'homme, afin de participer, avec ses collègues
Ombudsmen du monde entier, à une meilleure compréhension
du rôle des institutions nationales en matière de
défense des libertés publiques.
A. LES LIENS AVEC LES AUTRES INSTITUTIONS NATIONALES
Conscient de l'importance de toutes les institutions nationales
dans la protection des libertés, la promotion de la démocratie
et le renforcement du dialogue entre l'État et la société
civile, le Médiateur a poursuivi cette année la
collaboration engagée en 1992 avec la Commission nationale
consultative des Droits de l'Homme.
Plusieurs réunions avec le Président Paul BOUCHET
et ses collaborateurs ont conforté l'idée que les
actions des deux institutions étaient complémentaires.
La Commission nationale consultative des Droits de l'Homme n'est
pas habilitée à traiter des cas particuliers, mais
elle reçoit néanmoins de nombreuses requêtes
individuelles. Il a donc été décidé
de mettre en place un système afin d'informer les réclamants
de leur possibilité éventuelle de saisir le Médiateur
par l'intermédiaire d'un parlementaire.
Convaincu de l'intérêt, pour les deux institutions,
d'agir en commun au bénéfice de la protection des
droits des citoyens et pour la promotion des droits de l'homme
à l'extérieur de nos frontières, le Président
BOUCHET a proposé au Premier ministre de nommer le Médiateur
de la République à la Commission nationale consultative
des Droits de l'Homme ; ce qui a été entériné
par l'arrêté du 18 mars 1993.
Sachant que les représentants du Gouvernement ont une voix
consultative dans cet organisme, le Médiateur a ainsi rejoint
au sein de cette
commission indépendante les représentants des grandes
associations oeuvrant en France dans le domaine des droits de
l'homme, les représentants des principales confédérations
syndicales, les personnalités qualifiées, les experts
français siégeant dans les instances internationales
des droits de l'homme et les représentants du Parlement.
Le conseiller pour les relations extérieures qui assure
la suppléance du Médiateur à la Commission
nationale consultative des Droits de l'Homme, participe chaque
semaine aux sous-commissions qui préparent les avis discutés
et adoptés en assemblées plénières.