Outre l'appréciation du caractère injustifié
de certaines ingérences, la Commission et la Cour vérifient
également que la législation des États contractants
assure un " respect effectif " des droits énumérés
à l'article 8.
A. LE DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE
Au regard de la jurisprudence, le concept de vie privée
revêt une signification extensive qui va au-delà
du " droit de vivre autant qu'on le désire à
l'abri des regards étrangers " (Avis de la commission 1er mars 1979.). Ce droit comprend
également " dans une certaine mesure le droit d'établir
et d'entretenir des relations avec d'autres êtres humains,
notamment dans le domaine affectif pour le développement
et l'accomplissement de sa propre personnalité " (No 8962-80 X... c/Islande.).
1.Application aux transsexuels
Le transsexualisme se caractérise par le sentiment irrésistible
et inébranlable d'appartenir au sexe opposé à
celui qui est génétiquement, physiologiquement et
juridiquement le sien avec le besoin obsédant et constant
de changer d'état sexuel, anatomie comprise.
Les transsexuels, après avoir subi un traitement chirurgical
lourd modifiant certains caractères de leur sexe physiologique
d'origine, ont sollicité des tribunaux judiciaires une
modification de leur état civil. Mais la Cour de Cassation
a opposé, plusieurs années durant (1987 à
1990), un refus à leur demande en raison du principe fondamental
de l'indisponibilité de l'état des personnes.
Cette position de la Cour de Cassation (qui s'est heurtée
à la résistance de certaines cours d'appel) était
à l'origine de difficultés importantes pour les
transsexuels qui ont saisi le Médiateur de la République
dès la fin des années 1970.
C'est ainsi qu'Aimé PAQUET (Médiateur de 1974 à
1979) a été conduit à intervenir en faveur
d'un transsexuel et à obtenir une modification de son numéro
d'identification INSEE conforme à la modification de son
sexe apparent.
En août 1989, l'Assemblée parlementaire du Conseil
de l'Europe a adopté une résolution invitant les
États membres à légiférer en matière
de transsexualisme.
Début 1992, le Médiateur de la République
avait envisagé de proposer une réforme relative
à la " nécessité du vote d'une législation
relative au transsexualisme ".
Le 25 mars 1992 (Arrêt B... c/France 57/1900 248 319.), la Cour européenne des droits de l'homme
a fait application à un transsexuel français de
l'article 8 de la Convention, traitant du droit au respect de
la vie privée.
Elle a considéré que le refus des juridictions françaises
de prononcer la modification de son état civil à
la suite du traitement chirurgical subi plaçait quotidiennement
la requérante " dans une situation globale incompatible
avec le respect de sa vie privée, et a condamné
la France à lui verser une indemnité de 100 000
F ".
Par la suite, la Cour de Cassation devait, par un arrêt
du 11 décembre 1992, tirer les conséquences de la
décision européenne et considérer que le
respect de la vie privée justifie que l'état civil
d'une personne qui " a pris une apparence physique se rapprochant
de l'autre sexe, auquel correspond son comportement social "
indique désormais le sexe dont elle a l'apparence.
Toutefois, l'apposition d'une mention modificative du sexe en
marge de l'acte de naissance du transsexuel suppose la réunion
de quatre conditions :
- le transsexualisme doit être médicalement constaté;
- le juge ne peut être saisi d'une demande de modification
d'état civil pour cause de transsexualisme qu'après
la réalisation des opérations de conversion sexuelle;
- le transsexuel doit avoir une apparence physique le rapprochant
du sexe qu'il revendique;
- l'intéressé doit avoir un comportement social
correspondant au sexe qu'il revendique.
L'évolution de la jurisprudence devrait permettre de résoudre
les difficultés rencontrées par les transsexuels
et leur permettre d'obtenir la modification de leur état
civil.
Conformément aux exigences de la Cour de Cassation, la
procédure judiciaire de modification d'état civil
ne peut être engagée avant que le traitement médical
ne soit quasiment achevé; or ce traitement médical,
qui est long, ne peut intervenir, en raison de règles d'éthique
médicale, qu'après une expertise médicale
nécessairement longue, les experts médicaux en la
matière étant peu nombreux et donc surchargés.
De même, la procédure judiciaire exigera, en application
des conditions posées par la Cour de Cassation, l'instauration
d'une mesure d'expertise médicale qui allongera la durée
de la procédure .
Deux réclamations ont été adressées
au Médiateur de la République, la première
enregistrée sous le no 91-3280.
Après avoir suivi un traitement médical et chirurgical
lourd, M. T... a engagé une procédure afin d'obtenir
une modification des mentions figurant sur son acte de naissance.