La complexité des systèmes de fonctionnement qui
plus particulièrement accompagnent dans les administrations
leur modernisme, tend à substituer à l'acte humain
manuel le procédé de l'automatique et de la machine
comme outil de succès, avec pour objectif la certitude
et l'exactitude du fonctionnement.
Il est vrai que le développement de leurs attributions,
entraînant dans ces administrations un accroissement de
leurs charges, ne laisse pas d'autres voies que de recourir à
ces procédés.
Bien que les satisfactions que l'on en tire soient effectives,
dans certaines circonstances des lacunes, liées à
l'absence de traitement personnalisé des situations et
confinant à l'exclusion, apparaissent, plus particulièrement
dans le monde touché par l'illettrisme ou en situation
précaire, démuni de connaissance, ne sachant pas
lire ou ne sachant pas comprendre. Ces personnes sont incapables
de supposer que l'Administration, dont elles pensent, selon les
principes, qu'elle est faite pour protéger les citoyens
et assurer le respect de leurs droits, puisse ne pas mesurer et
prévoir les risques d'erreurs ou d'iniquités et
leurs causes, et manquer du moyen d'en modifier les effets.
De telles situations sont fréquentes, où l'individu,
ressentant son impuissance à obtenir la reconnaissance
de ses droits ou, à défaut, le secours, finit par
en appeler à l'aide du Médiateur de la République.
Trois cas, parmi d'autres, illustrent ces constats.
Cas no 93-2222
La famille C... vit depuis des années un véritable
drame familial qui aboutit à l'incarcération du
père sur plainte de l'une de ses filles et à sa
condamnation à de nombreuses années de réclusion
criminelle.
Ancien fonctionnaire retraité, l'intéressé
bénéficiait d'une pension de retraite de l'État.
Un premier jugement réglant la situation au plan familial
a accordé à la mère une pension alimentaire
prélevée directement par le Trésor public
sur la retraite de l'intéressé, permettant ainsi
à la famille de survivre.
La régularisation ultérieure de la situation administrative
de M. C... au regard des règles applicables aboutit à
la suspension de son droit à pension en application des
dispositions de l'article L 58 du code des Pensions civiles et
militaires, qui prévoient notamment que " le droit
à la jouissance de la pension de retraite est suspendu
par la condamnation à une peine afflictive ou infamante
".
Cette suspension brutale de la pension laisse la famille sans
ressources, la pension alimentaire ne pouvant ainsi plus être
prélevée.
Mme C... ignorait que les dispositions de l'article L 60 du code
des Pensions, telles qu'elles existaient au moment des faits,
prévoyaient la possibilité d'accorder à l'épouse
ou aux enfants de moins de 20 ans une pension égale à
50 % de la pension du fonctionnaire. Elle ignorait qu'elle devait,
dès la condamnation de son époux et en prévision
des sanctions futures de l'administration, constituer un dossier,
formuler une demande de pension dite " de veuve " et
accomplir elle-même toutes les démarches nécessaires.
Totalement désorientée, la famille C... a recours
au Médiateur de la République.
Compte tenu de l'urgence, la démarche entreprise auprès
de l'administration concernée et du ministre du Budget
a permis, avec leur collaboration, d'aboutir au versement d'urgence
d'une provision sur pension, puis à la régularisation
administrative du dossier dans des délais très rapides
au regard de la procédure habituelle.
Cas no 94-0529
Les parents de M. B... vivaient en concubinage.
L'enfant est âgé de cinq ans lorsque son père,
fonctionnaire titulaire, décède tragiquement en
1963. Sa mère est informée qu'elle ne peut se voir
reconnaître de droit à pension de reversion, n'ayant
pas la qualité de veuve.
Par ignorance des droits de son enfant à une pension d'orphelin
mineur et non informée de cette possibilité par
le service des pensions du ministère de la Défense,
qui détenait pourtant dans ses dossiers la mention de la
naissance de l'enfant et servait d'ailleurs au père, à
ce titre, les avantages familiaux auxquels il avait droit, la
mère n'accomplit aucune démarche pour solliciter
la pension pour son fils.
L'enfance de celui-ci se déroule dans des conditions financières
difficiles et ce n'est qu'au décès de sa mère
que M. B..., devenu majeur, et ayant ainsi perdu désormais
tout droit à pension, découvre le préjudice
subi tout au long des années qui ont précédé.
Il demande alors l'intervention du Médiateur de la République
pour tenter de convaincre l'administration concernée de
reconnaître rétroactivement l'existence de ses droits,
malgré la prescription qui lui est opposée.
Après un examen approfondi, il est apparu impossible de
faire droit à cette demande. Selon la législation
en vigueur, le droit à pension est ouvert à l'enfant
conçu antérieurement à la date de radiation
des cadres du père. Or, l'intéressé est né
7 ans après la cessation de fonction de son père.
Cas no 94-0658
Suite à son départ en préretraite, un ancien
harki, devenu par la suite salarié d'une entreprise, n'a
pas reçu tout le soutien et les informations qui auraient
pu lui être apportés pour effectuer les démarches
nécessaires à la liquidation des retraites auxquelles
il pouvait prétendre. Ce salarié, illettré
par ailleurs, n'a jamais su qu'il avait des droits à la
retraite complémentaire, non seulement pour ses activités
dans le secteur privé, mais aussi auprès de l'IRCANTEC
pour ses activités antérieures au service de l'État
français. Il ignorait également que des prestations
vieillesse doivent être demandées le moment venu
par l'intéressé et qu'un organisme tel que l'IRCANTEC
ne peut attribuer un avantage qui n'aurait pas été
sollicité. Il n'a donc jamais perçu de son vivant
les retraites complémentaires correspondantes.
Après son décès, sa veuve, secondée
par son entourage, tente de faire reconnaître les droits
de son mari auprès des organismes de retraite complémentaire.
Le Médiateur de la République a estimé devoir
aider l'intéressée dans ses démarches sur
la base de l'équité. Un réexamen de l'affaire
a conduit le directeur à la soumettre à l'examen
de la commission compétente du Conseil d'administration
de l'IRCANTEC. Un avis positif a été émis
à titre exceptionnel autorisant le versement des arrérages
de l'allocation de reversion.
Il faudrait que dans cette vocation nouvelle qu'il entreprend
d'intégrer, le service public soit bien déterminé
à devenir, réellement, un lieu transparent d'intégration
de citoyenneté. C'est une tâche immense, à
laquelle le Médiateur de la République entend participer
activement, dans la limite de son champ de compétence.
L'attitude observée dans ce domaine d'intervention révèle
que le service public n'est pas toujours attentif à ce
phénomène qui place l'individu dans la situation
d'exclu. On a tendance à ne pas préévaluer,
ou pas suffisamment, les effets immédiats de ce phénomène
sur le tissu économique et social de l'État.
Dans son appréhension des faits, le Médiateur de
la République relève aussi que l'application des
règles complexes produit des effets proches de l'exclusion
et place l'individu dans des situations de droit aboutissant à
de véritables iniquités, ou dans certains cas à
des ambiguïtés sources d'incompréhension.
En matière de retraite des agents publics, par exemple,
divers cas surviennent où des agents ou leurs ayants droit
qui n'ont pas été instruits de leurs droits et de
leurs obligations, se trouvent placés devant des difficultés
insurmontables.
La réglementation en matière de pension pour le
secteur public obéit à des règles très
strictes, ne laissant pas de marge à l'appréciation.
Fixées par des textes législatifs, elles s'imposent
tant à l'administration gestionnaire qu'aux agents concernés.
Toute dérogation pour un cas particulier serait en effet
une source d'iniquité eu égard au plus grand nombre,
soumis à la règle générale.
Néanmoins, dans certaines réclamations transmises
au Médiateur de la République, il apparaît
qu'une erreur, un dysfonctionnement des services gestionnaires
ou une mauvaise information donnée à l'agent concerné,
ont eu pour ce dernier des conséquences très lourdes
pécuniairement, alors qu'il se trouvait être de bonne
foi.
Dans ce contexte, l'intervention du Médiateur se veut fondée
sur l'équité, notamment par la prise en considération
de tous les facteurs ayant conduit à la situation évoquée
par le réclamant qui s'estime injustement pénalisé.
Au fil des ans, cette intervention fondée sur le souhait
de voir rétablir un juste équilibre entre la rigueur
de la loi, le respect de l'égalité de traitement
de tous les agents et les conséquences de l'insuffisance
d'un service, semble de mieux en mieux perçue.
Quelques exemples illustrent le cheminement favorable de cette
évolution.
Cas no 93-0804
Mme D... a divorcé en 1980 de son premier époux,
M. B..., dont elle a eu deux enfants. Elle s'est remariée
en 1983 avec M. J...
M. B..., ancien fonctionnaire retraité, décède
peu après. Mme D..., alors remariée, ne peut prétendre
à une pension de réversion. Celle-ci est attribuée
aux enfants B..., jusqu'à leur majorité.
Sa nouvelle union avec M. J... s'acheminant vers une séparation,
Mme D... s'informe auprès de l'administration de ses droits
éventuels à pension de réversion du chef
de son premier époux, M. B... Une lettre du ministère
du Budget lui confirme, sans plus de précisions, qu'en
cas de second divorce, elle retrouverait le bénéfice
de la pension de réversion de M. B...
Une procédure ayant été mise en oeuvre, le
divorce d'avec M. J... est prononcé en 1992. Le règlement
des problèmes du couple au niveau financier intervenu à
l'amiable entre les époux a tenu largement compte de la
situation future de Mme D... au regard de ses droits affirmés
à pension de réversion.
Mme D... sollicite alors le bénéfice de cet avantage.
Celui-ci lui est finalement refusé par l'administration.
Il lui est indiqué que si le conjoint divorcé d'un
fonctionnaire, remarié avant le décès de
celui-ci, peut désormais faire valoir un droit à
pension de réversion à la dissolution de la seconde
union, ce droit n'existe cependant que s'il n'est pas alors ouvert
au profit d'un autre ayant cause.
Or, le dernier enfant du couple B..., bénéficiaire
de la pension en sa qualité d'orphelin mineur, n'a atteint
sa majorité que le 28 décembre 1992, et le divorce
de Mme D... d'avec M. J... a été prononcé
le 8 décembre 1992, soit vingt jours trop tôt pour
que Mme D... puisse prétendre à un droit retrouvé,
à cette date, à pension de réversion.
Placée dans une situation difficile, Mme D... sollicite
l'intervention du Médiateur.
La démarche du Médiateur a consisté à
faire valoir des arguments de fait (Mme D... aurait retardé
de quelques jours la procédure de divorce si les informations
communiquées par l'administration consultée avaient
été précises), mais aussi des arguments de
droit (prononcé le 8 décembre 1992, le divorce n'est
devenu définitif qu'après expiration des délais
d'appel et de cassation, soit à une date postérieure
au 28 décembre 1992, date à laquelle le dernier
enfant a atteint sa majorité et cessé de bénéficier
d'une pension).
Prenant en considération les circonstances bien particulières
de ce dossier, le ministre du Budget a donné son accord
pour approuver la proposition de pension en faveur de Mme D...
Cas no 93-2643
M. M... a exercé au début de sa carrière,
en qualité de non-titulaire, des fonctions de commis de
mairie, puis d'agent des Postes et Télécommunications.
Il a ensuite été titularisé en qualité
de fonctionnaire auprès de cette dernière administration.
À l'âge de la retraite, il s'est vu attribuer par
les Postes et Télécommunications une pension de
fonctionnaire titulaire, et par l'IRCANTEC une pension pour les
années accomplies en qualité de non-titulaire. Ce
n'est que quatre années plus tard qu'il a été
avisé qu'une erreur avait été commise dans
le calcul de la pension servie par l'IRCANTEC. En effet, ses deux
années de service national et une partie de ses années
de non-titulaire avaient été prises en compte à
la fois par le régime des pensions de l'État et
par l'IRCANTEC.
Cumulant ainsi pour une même période, contrairement
à la loi, une retraite de fonctionnaire de l'État
et une retraite complémentaire de l'IRCANTEC, M. M... se
trouve alors contraint de rembourser à l'IRCANTEC un trop-perçu
de 21 582 F, portant sur quatre ans de cumul.
Or l'intéressé, qui avait fait valider d'autres
annuités de services de non-titulaire, s'acquitte également,
par prélèvement sur sa pension de l'État,
du règlement des cotisations y afférentes. Ces prélèvements,
réduisant le montant de sa pension à la somme de
4 020 F par mois, le mettraient en situation particulièrement
difficile s'il devait subir un nouveau prélèvement
pour rembourser aussi les sommes dont il a, de bonne foi, bénéficié
à tort.
L'intervention du Médiateur, faisant valoir l'erreur des
organismes concernés, la bonne foi et la situation financière
de M. M..., conduit l'IRCANTEC à décider, en équité,
de réduire de moitié la dette de M. M... et de lui
accorder également un étalement sur deux ans du
remboursement de la somme restant due.
Cas no 93-4134
M. D..., employé dans une mairie, a exercé de façon
concomitante une activité principale de titulaire et une
activité accessoire. Les services de la mairie, mal informés
des règles applicables, ont, pour cette deuxième
activité, affilié l'intéressé au régime
des retraites des non-fonctionnaires. Mis à la retraite,
M. D... a reçu une pension de titulaire versée par
la CNRACL et une seconde pension versée par le régime
général.
Quelques années plus tard, la caisse des Dépôts
et Consignations l'a avisé qu'un tel cumul était
contraire à la réglementation. Pour normaliser cette
situation, le régime général ne pou
vait pas revenir, en fonction des normes qui lui sont propres,
sur une décision d'attribution d'une pension, ni reverser
des cotisations indues. Il restait à la caisse des Dépôts
à précompter chaque mois sur la pension de titulaire
de M. D... la somme de 1 527,62 F, correspondant au montant mensuel
de la pension servie par le régime général.
M. D... s'estimant injustement pénalisé a fait valoir
qu'il n'avait jamais été informé par son
employeur des règles en vigueur en la matière et
qu'il subissait un préjudice financier important, puisqu'il
avait, au cours de sa carrière active, versé des
cotisations pour une pension qui lui était désormais
refusée, sans pouvoir même prétendre à
un remboursement.
Suite à l'intervention du Médiateur de la République,
la caisse des Dépôts et Consignations, prenant en
compte la bonne foi du réclamant, le préjudice financier
subi de façon irréversible et l'erreur de la collectivité
territoriale, a alors décidé en équité
d'autoriser l'intéressé à cumuler ses deux
pensions à titre exceptionnel.
Certaines situations ne permettent pas de se référer
à une législation ou à une réglementation
et ne peuvent donc être traitées.
Cas no 93-4059
M. B... est né le 12 août 1931 en Algérie.
Il a cessé son activité professionnelle le 17 août
1986 et a été pris en charge par l'assurance chômage
jusqu'à l'âge de 60 ans, soit jusqu'au 31 août
1991, conformément à la réglementation. La
requête qu'il présente au Médiateur expose
que, par lettre en date du 20 décembre 1990, il avait informé
la caisse régionale d'Assurance maladie (CRAM) qu'il n'avait
pas l'intention de faire valoir ses droits à retraite avant
d'atteindre l'âge de 65 ans.
Néanmoins, ayant épuisé ses droits à
l'assurance chômage et privé des prestations correspondantes,
le 3 décembre 1991 il demande à la CRAM de lui servir
sa pension de retraite avec effet au 1er janvier 1992, soit avant
d'atteindre l'âge de 65 ans.
La CRAM donne rapidement suite à sa demande, le 23 janvier
1992.
Pourtant, le 16 juillet 1992 (soit plus de 5 mois après
la notification), le requérant saisit la commission de
Recours amiable (CRA) pour contester le point de départ
de sa retraite, fixé au 1er janvier 1992, et demander qu'il
soit avancé au 1er septembre 1991. Le choix de cette date
lui permettrait en effet de faire coïncider la cessation
des prestations chômage avec le versement de la pension.
À l'appui de sa réclamation, M. B... expose qu'il
ne sait pas lire le français et qu'il n'a pas compris les
formulaires qui lui ont été adressés.
L'examen du dossier révèle que :
. la réclamation, présentée plus de cinq
mois après la notification de la décision lui accordant,
sur sa demande, le service de sa pension à compter du 1er
janvier 1992, est atteinte de forclusion;
. le 17 mars 1991, l'allocataire a été avisé
par les ASSEDIC qu'arrivant prochainement à la fin de son
indemnisation, il lui appartenait de déposer sa demande
de retraite. De ce courrier, l'intéressé n'a pas
tenu compte.
Il faut rappeler que les articles R 351-2 et R 351-37 alinéa
1 du Code de la sécurité sociale disposent que l'assurance
vieillesse garantit à l'assuré qui en fait la demande
une pension au premier jour du mois suivant son soixantième
anniversaire ou, après 60 ans, " au premier jour du
mois suivant la date de dépôt de sa demande ".
Ces dispositions ne prévoient aucune dérogation.
Sur ces constatations, le Médiateur de la République
se trouve démuni de toute possibilité de plaider
en faveur du réclamant.
Des efforts sont à engager pour faciliter l'information
et même la diffuser.
On peut noter à cet égard les résultats obtenus,
par la mise en oeuvre de procédures cohérentes et
simplificatrices, recommandées par la commission de Simplification
des formalités administratives (COSIFORM), instituée
en 1983.
Un exemple significatif dans le domaine social peut être
cité : le système Transfert des données sociales
(TDS) en matière de simplifications administratives, très
apprécié par les entreprises et par l'ensemble des
administrations et services publics concernés. Il s'agit
dans ce cas, d'informations relatives aux rémunérations
perçues par les salariés, transmises sur supports
papiers ou informatiques par les employeurs, à un interlocuteur
unique (la CRAM) qui, après contrôle, les diffuse
par moyens informatiques aux autres partenaires concernés
(services fiscaux, INSEE, CPAM, URSSAF).
De son côté, le programme de renouveau du service
public entraîne des changements dans les administrations.
Les interventions spécifiques du Médiateur de la
République pour tenter de trouver des solutions aux problèmes
posés sont aussi de mieux en mieux comprises par les institutions
publiques.
Les efforts qui sont faits ne sont malheureusement pas toujours
à la dimension du problème.
Il est donc indispensable que les services publics rendent un
service plus personnalisé et plus proche des citoyens.
Il faut aller plus loin d'une manière générale
en arrivant à développer un service public participatif.
Les situations qui viennent d'être décrites induisent
de recommander à l'Administration une plus grande attention
en faveur des personnels. En contrepartie, ceux-ci devront apporter
plus d'attention dans le suivi des échéances dans
leurs carrières, en prévoyant, en s'informant en
temps utile, en accomplissant les démarches nécessaires
et en apportant à leurs intérêts toute la
vigilance qu'ils requièrent.
L'attention attendue ne doit pas supposer que, l'individu devenu
plus conscient de ses droits et apte à en saisir toutes
les subtilités, son cas ne poserait plus de problème.
Il restera toujours, à un moment ou à un autre,
quelqu'un qui a oublié. D'où la nécessité
de tempérer de plus de réalisme, en particulier
à l'égard de personnes en situation difficile qui,
constituant des cas exceptionnels, n'en méritent que plus
d'attention.
Les services de l'administration gagneraient en temps et en charges
à informer complètement les futurs retraités
sur leurs droits et sur la nécessité d'accomplir
les formalités que la réglementation exige.
À cet effet, on peut citer l'initiative mise en oeuvre
depuis 1985 par la branche vieillesse du régime général
(la CNAVTS) qui adresse à tout assuré social qui
atteint l'âge de 58 ans (désormais 55 ans en région
parisienne et Bourgogne-Franche-Comté), une lettre personnalisée,
accompagnée d'un " relevé de carrière
" retraçant les différentes périodes
d'activité (ou assimilées) enregistrées depuis
le 1er jour de travail de l'intéressé.
Cette information permet au destinataire de vérifier les
périodes enregistrées et de disposer de près
de deux ans pour effectuer éventuellement toute démarche
en vue de régulariser ou compléter son relevé
de carrière pour les périodes non prises en compte
: périodes militaires, chômage, maladie, etc.
Une pratique semblable a été instituée pour
les personnels relevant de l'Administration (décret no
80-790 du 2 octobre 1980). L'édition régulière
par les organismes concernés des listes de leurs ressortissants
approchant de l'âge de la retraite doit être effectuée
par les administrations. L'envoi aux intéressés
de cette information est normalement accompagné d'une brochure
rappelant leurs droits, les droits de leurs ayants cause, les
formalités à accomplir, etc. Les exemples qui précèdent
montrent que son application est incomplète.
Ce système devrait être généralisé
à l'ensemble des régimes de retraite, régimes
spéciaux et particuliers.
Une procédure semblable devrait également être
mise en oeuvre dans le cas de suspension d'une pension déjà
liquidée (décès, sanction pénale)
afin de permettre une collaboration plus étroite entre
l'Administration et ses administrés, dans des domaines
que les progrès techniques rendent plus aisément
maîtrisables désormais.
C'est en ce sens que le Médiateur de la République
étudie un projet de réforme qu'il proposera aux
administrations concernées.
Est contribuable le citoyen à qui l'État demande
de participer au financement des dépenses publiques en
payant l'impôt.
Cette contribution est forcément complexe dans un État
de droit comme la France où la fiscalité est aussi
un instrument de redistribution sociale et d'incitation économique.
Mais au-delà de la technique fiscale, la participation
des citoyens à l'impôt se fonde sur l'égalité
devant les charges publiques, grand principe de la République
selon lequel chaque personne paie l'impôt selon ses facultés
contributives, c'est-à-dire essentiellement en raison du
revenu et du patrimoine dont elle dispose.
Dès lors, l'appellation de " contribuables en situation
d'exclusion sociale " conduit à associer des notions
qui peuvent apparaître antinomiques.
En effet, les personnes que l'on regroupe généralement
selon des critères assez divers, sous le qualificatif d'"
exclus ", présentent toutefois une caractéristique
commune qui est la grande précarité de leurs conditions
matérielles de vie.
Peut-on alors en déduire que la loi fiscale puisse assujettir
à l'impôt des personnes placées dans un dénuement
matériel plus ou moins grand ? Et quel en serait d'ailleurs
l'avantage pour l'État ?
En fait, la loi fiscale n'a sans doute jamais été
autant qu'aujourd'hui protectrice des intérêts des
personnes disposant de faibles ressources.
Il apparaît ainsi qu'en raison, à la fois du relèvement
annuel du seuil d'imposition sur le revenu et de divers abattements,
déductions, minorations et exonérations liés
soit à la situation personnelle du contribuable, soit à
la nature des revenus perçus, ce sont environ 50 % des
foyers qui ne paient pas d'impôt sur le revenu ou d'impôts
locaux.
À plus forte raison, les personnes que les circonstances
de la vie ont placées en situation d'exclusion sociale
sont donc bien sûr exonérées de toute contribution
fiscale.
Parallèlement - et c'est peut-être l'un des traits
les plus préoccupants de notre société où
les amortisseurs sociaux se montrent parfois défaillants
-, il est des circonstances qui conduisent, en quelques mois,
d'une vie sociale et professionnelle normale à l'exclusion.
Or si, dans de tels cas, les cotisations d'impôt sur le
revenu ou d'impôts locaux restant dues sont susceptibles
de donner lieu à remise par le service des impôts,
par voie de réclamation gracieuse, il n'en va pas de même
en matière de taxe sur la valeur ajoutée ou de droits
d'enregistrement.
En effet, selon les dispositions du dernier alinéa de l'article
L 247 du Livre des procédures fiscales, " aucune autorité
publique ne peut accorder de remise totale ou partielle de droits
d'enregistrement, de taxe de publicité foncière,
de droit de timbre, de taxe sur le chiffre d'affaires, de contributions
indirectes et de taxes assimilées à ces droits,
taxes et contributions ".
Dans les faits, c'est essentiellement en matière de TVA,
pour d'anciens commerçants ou artisans devenus totalement
insolvables, que va se poser cette difficile question du recouvrement
de l'impôt.
Ces personnes, même en situation d'exclusion sociale, demeurent
légalement redevables de la TVA au titre d'une activité
professionnelle antérieure. Elles seront donc poursuivies
en paiement de leurs dettes fiscales par les comptables publics
compétents, c'est-à-dire les receveurs des impôts.
Cette rigueur particulière de la loi s'explique par le
fait que la TVA a bien été payée par le client
au commerçant qui l'a encaissée pour le compte de
l'État; la taxe collectée doit donc être reversée
quelles que soient la situation personnelle du commerçant
ou les raisons qui ont conduit à sa cessation d'activité.
Cela étant, on peut s'interroger sur les effets des actions
de recouvrement forcé menées envers des contribuables
en situation d'exclusion sociale, étant précisé
que la contrainte par corps, c'est-à-dire l'emprisonnement,
ne s'applique pas dans ces cas-là.
Concrètement, il est clair que les poursuites engagées
selon la procédure habituelle (avis de payer, commandement
de payer, saisie puis vente des biens) s'avéreront inopérantes,
les débiteurs ne possédant ni ressources, ni biens,
ni même parfois de domicile fixe où ces actes de
poursuites les toucheraient.
Pourtant, ces contribuables ne doivent pas se désintéresser
de leur situation fiscale au motif que leur manquement contributif
serait sans incidence pour eux en raison de leur insolvabilité
totale. Les dettes fiscales dont ils restent redevables sont en
effet susceptibles de constituer un lourd handicap à leur
réinsertion professionnelle et sociale puisque les premières
ressources qu'ils percevront seront frappées d'opposition
par le receveur des impôts si aucune mesure n'est venue
régulariser, même provisoirement, leur situation
de recouvrement. Au surplus, la publicité qui entoure inévitablement
toute mesure de poursuite, notamment à l'égard de
l'entourage professionnel, peut gêner la réussite
de la réinsertion sociale des intéressés
à un moment où elle demeure fragile.
C'est pourquoi les contribuables en situation d'exclusion sociale
ont tout intérêt à faire cesser les poursuites
fiscales exercées à leur encontre, même si
elles leur paraissent dénuées de conséquences
dans l'immédiat.
Cette démarche est cependant difficile à mener,
s'agissant de personnes totalement démunies de moyens,
mais aussi, surtout en raison des dispositions légales
qui, en l'espèce, interdisent l'octroi de toute mesure
gracieuse.
Cela dit, il existe une procédure administrative, appelée
" l'admission en non-valeur ", qui fait disparaître
la prise en charge de l'imposition dans les livres du comptable,
sans toutefois modifier les droits de l'État à l'encontre
du débiteur, ce qui signifie qu'elle ne libère pas
le contribuable qui reste légalement redevable des impositions
dues, notamment en cas de retour à meilleure fortune. L'admission
en non-valeur est donc de nature à répondre parfaitement
aux préoccupations des contribuables en situation d'exclusion
puisque :
1o elle est mise en oeuvre lorsque le recouvrement de l'impôt
parfaitement justifié en droit, s'avère en fait
impossible, notamment en raison de l'insolvabilité du redevable;
2o elle a pour effet de faire cesser les poursuites dès
lors qu'elle est destinée à dégager la responsabilité
personnelle du comptable dans le recouvrement des impôts
dont il a la charge.
Toutefois, l'initiative de cette procédure qui apparaît
comme l'unique moyen de faire cesser les poursuites exercées
en matière de TVA à l'encontre d'un débiteur,
revient exclusivement au comptable chargé du recouvrement
de l'impôt dû. Les contribuables en situation d'exclusion
ne peuvent donc solliciter auprès de l'administration le
bénéfice de l'admission en non-valeur pour leurs
dettes fiscales.
En revanche, le Médiateur de la République, saisi
de réclamations dans lesquelles des redevables de TVA sont
victimes d'une situation d'exclusion sociale, a la faculté
de demander à l'administration d'admettre l'impôt
impayé en non-valeur.
Cette démarche suppose néanmoins que les pièces
jointes à la réclamation puissent permettre au Médiateur
de s'engager auprès de l'administration fiscale pour solliciter
le bénéfice de l'admission en non-valeur, mesure
au demeurant exceptionnelle et que le comptable public concerné
tarde souvent à prendre, faute d'être en possession
d'éléments suffisamment probants attestant l'insolvabilité
totale du redevable.
Enfin, peut-être, doit-on souligner que seul le Médiateur
de la République peut suggérer à l'administration
fiscale la mise en oeuvre de la procédure d'admission en
non-valeur d'une créance fiscale détenue par l'État.
Cette mesure comptable, bien que de nature purement administrative,
peut être utilement invoquée par le Médiateur
en faveur des contribuables en situation d'exclusion sociale,
conformément aux dispositions de l'article 9 de la loi
du 3 janvier 1973 instituant sa fonction et qui prévoient
que, " lorqu'une réclamation lui paraît justifiée,
le Médiateur de la République fait toutes les recommandations
qui lui paraissent de nature à régler les difficultés
dont il est saisi... "
D'ailleurs, l'examen des réclamations reçues montre,
pour ces affaires particulièrement difficiles, que l'administration
fiscale, souvent dans un but purement humanitaire, sait réserver
un accueil favorable aux demandes d'admission en non-valeur que
lui adresse le Médiateur de la République.