I. LE DOMAINE D'INTERVENTION
DU MÉDIATEUR DE LA RÉPUBLIQUE
Tant l'instruction des réclamations reçues que le
travail effectué " sur le terrain " par ses délégués
départementaux offrent au Médiateur de la République
un tableau concret des difficultés que rencontrent les
administrés dans leurs rapports avec les services publics
ou l'administration.
Ainsi, même si la loi ne lui avait pas confié cette
mission, le Médiateur aurait sans aucun doute considéré
qu'il lui appartenait d'alerter les pouvoirs publics sur les dysfonctionnements
que sa situation lui permet de constater, et de leur faire part
de son souci d'y voir porter remède.
Mais c'est expressément que le législateur a demandé
au Médiateur, parmi les missions qu'il lui assigne, de
proposer aux pouvoirs publics des réformes.
Selon les termes de l'article 9 de la loi, cette possibilité
s'exerce dans deux cas différents :
1o " Lorsqu'une réclamation lui paraît justifiée,
le Médiateur fait toutes propositions tendant à
améliorer le fonctionnement de l'organisme concerné
";
2o Lorsqu'il apparaît au Médiateur, à l'occasion
d'une réclamation dont il est saisi, que l'application
de dispositions législatives ou réglementaires aboutit
à une iniquité, il peut suggérer les modifications
qu'il lui paraît opportun d'apporter à des textes
législatifs ou réglementaires ".
Le pouvoir du Médiateur en matière de propositions
de réforme est donc soumis à plusieurs conditions
:
- Tout d'abord, c'est à partir des réclamations
qui lui sont présentées qu'il exerce ces compétences;
- Ensuite, pour suggérer la modification d'une loi ou d'un
règlement, le Médiateur doit être en présence
d'une iniquité résultant de l'application de ces
textes; cette exigence implique qu'il dispose de tous les éléments
permettant d'apprécier les conséquences négatives
d'un texte, au regard notamment de sa finalité et des intentions
poursuivies par son auteur;
- Enfin, la loi prévoit expressément qu'il appartient
au Médiateur d'apprécier l'opportunité des
réformes qu'il propose. Cela peut le conduire, sur certains
sujets, à éviter de mettre en cause les choix effectués
par le législateur ou par le gouvernement. Cela signifie,
en revanche, qu'il tient compte, pour proposer certaines réformes,
des réflexions et des débats émanant des
différents acteurs de la vie publique et administrative.
Lorsque ces conditions sont réunies, une proposition de
réforme du Médiateur est adressée aux pouvoirs
publics.
Le Médiateur écrit, en premier lieu, aux ministres
concernés par la proposition, en leur communiquant les
difficultés constatées et les évolutions
qui lui paraissent souhaitables. Il prend soin de laisser à
l'administration toute sa liberté dans le choix des moyens
les plus adaptés pour aboutir à un dispositif plus
satisfaisant.
Le Médiateur peut s'adresser également aux autres
acteurs intéressés par sa proposition. C'est ainsi
qu'il communique ses propositions aux présidents des Assemblées
et des commissions parlementaires concernées, lorsque le
sujet met en cause des dispositions législatives ou lorsqu'il
a fait l'objet de travaux parlementaires. Il peut aussi tenir
informées certaines institutions intéressées
par la question traitée : des juridictions, des autorités
administratives indépendantes... voire des associations
ou des organismes professionnels qui travaillent sur les mêmes
thèmes. Enfin, le public lui-même est informé,
par la voie du rapport annuel et, parfois, par des communiqués
de presse.
L'instruction des propositions de réforme se fait dans
un cadre interministériel, avec le secrétariat général
du Gouvernement et le cabinet du ministre chargé des Réformes
administratives (c'est-à-dire actuellement du ministre
de la Fonction publique).
Depuis 1993, l'organisation de réunions plus fréquentes
et centrées sur des thèmes précis, regroupés
par grands ministères, a permis d'aboutir à une
instruction satisfaisante et à un suivi efficace des propositions
de réforme.
Chaque année, un nombre important de propositions, variant
entre 20 et près de 30, sont présentées aux
autorités concernées. Leur traitement s'effectue
de façons différentes selon l'importance du sujet.
Au cours de l'année 1994, une dizaine de propositions ont
donné lieu à une suite positive.
C'est le cas de la proposition STR 93.04 concernant le versement
de la contribution supplémentaire dite " contribution
DELALANDE ", prévue par l'article L 321.13 du Code
du travail. Cette contribution est due par l'entreprise qui licencie
un employé âgé de cinquante ans et plus. Le
législateur a exonéré les entreprises de
cette contribution, en cas d'inaptitude professionnelle et, dans
certains cas, de démission.
Par ailleurs, le Médiateur a poursuivi son action pour
une meilleure information des administrés. À sa
demande, le ministère du Budget et le ministère
des Affaires sociales ont réalisé un document d'information
retraçant les principaux avantages (exonérations)
que la législation offre aux personnes qui ne sont pas
imposables ou qui se trouvent en deçà du seuil de
recouvrement de l'impôt sur le revenu (FIN 92.02). Un recensement
indicatif de ces droits avait d'ailleurs été effectué
par le secteur fiscal de la Médiature et figure au rapport
1993 (pp. 131 et 132). Les services fiscaux et sociaux assurent
la diffusion de ce document.
Le ministère du Budget a prévu, en réponse
à une proposition FIN 93.04, une nouvelle rédaction
de la brochure sur les acquisitions d'immeubles, qui apportera
une information plus précise sur les droits de mutation
à taux réduit. Elle devrait être également
diffusée aux notaires.
De la même façon, la proposition FIN 92.05 tendant
à une meilleure information des créateurs d'entreprises
a été satisfaite.
La réforme INT 92.01 proposant de généraliser
la production du certificat de non-gage lors de l'immatriculation
d'un véhicule précédemment immatriculé,
a été satisfaite par un arrêté ministériel
publié le 3 juillet 1994, très détaillé
et précis.
D'autres propositions ont été satisfaites, mais
leur examen s'est fait dans des délais parfois excessifs.
Il en est ainsi pour la proposition EUR 89.01, relative au transfert
des droits à pension des fonctionnaires européens.
Elle n'a pu aboutir qu'après cinq ans, avec la loi du 28
mai 1994. Deux autres propositions INT 91.01 et INT 91.02, présentées
en 1991, n'ont été traitées qu'au terme d'un
délai de trois ans; la première portait sur l'information
des automobilistes de leur obligation d'acquitter une vignette,
et la seconde tendait à informer les usagers des inconvénients
résultant de la plastification des documents administratifs.
Elles n'ont fait l'objet d'une instruction adaptée qu'au
cours de l'année 1994.
En outre, certaines propositions paraissent être au point
mort : c'est le cas de l'allocation compensatrice pour aide d'une
tierce personne. En dépit du non-respect de la loi, sur
ce point, par certains conseils généraux, aucune
amélioration n'a été constatée; la
seule perspective avancée est le vote d'une loi sur la
dépendance, dont le contenu ne réglera pas les problèmes
en cours; la présentation de cette loi a, d'ailleurs, été
différée et on ne sait quand ces problèmes
pourront trouver une solution.
Quelques autres, enfin, semblaient en bonne voie, comme la proposition
INT 93.04 concernant le vote des majeurs en tutelle. Le Médiateur
avait signalé, dans son rapport pour l'année 1993
(page 31), la situation de personnes aptes à voter et qui
sont privées de ce droit du fait de leur situation de majeurs
protégés. Il avait proposé que, lorsque le
juge l'y autorise, un majeur en tutelle puisse être inscrit
sur les listes électorales. Une proposition de loi en ce
sens, présentée par M. Claude HURIET, a été
adoptée par le Sénat. M. Claude GAILLARD avait également
déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale
une proposition de loi en ce sens. Le Médiateur a saisi
le Président de l'Assemblée nationale et le Gouvernement
pour que le texte soit inscrit rapidement à l'ordre du
jour de l'Assemblée.
Mais toutes les propositions du Médiateur ne sont pas toujours
accueillies favorablement. Dans certains cas, il se heurte à
un refus répété des pouvoirs publics de modifier
le dispositif législatif ou réglementaire mis en
cause.
Toutefois, la Commission des lois de l'Assemblée nationale
qui a examiné, le 28 septembre 1994, la proposition de
loi adoptée par le Sénat et la proposition de M.
Claude GAILLARD, a adopté la question préalable
rejetant l'examen des deux propositions.
Un des dossiers auxquels tenait particulièrement le Médiateur
a pu déboucher sur une réforme : il s'agit de la
proposition INT 93.01 concernant la situation des personnes "
sans domicile fixe ". Ces personnes, aujourd'hui de plus
en plus nombreuses, étant dépourvues de domicile,
connaissent des difficultés accrues avec les administrations.
Parmi ces problèmes, figure au premier chef celui qui est
lié à l'identité. On ne peut, en principe,
se voir délivrer une carte nationale d'identité
si l'on n'est pas en mesure de faire état d'un domicile
et les cas particuliers soumis au Médiateur lui ont montré
que la possession d'un tel titre est indispensable.
Le décret no 94-878 du 12 octobre 1994 permet aux préfets
de délivrer une carte nationale d'identité aux personnes
sans domicile fixe, en mentionnant l'adresse d'un organisme d'accueil
agréé, sans sa dénomination. Cette mention
n'emporte cependant pas les effets juridiques attachés
à la résidence ou au domicile.
D'ores et déjà, le Médiateur examine les
prolongements que comporte cette réforme, notamment en
ce qui concerne le droit de vote et l'ouverture d'un compte courant
bancaire.
Ce ne sera, évidemment, qu'une étape et
le chantier reste ouvert : les difficultés administratives
rencontrées par les personnes exclues sont nombreuses.
L'ensemble de la Médiature reste mobilisé pour tenter
de les résoudre.
III. LES PROPOSITIONS PORTANT SUR
DES CAS SOCIAUX
Plusieurs propositions récentes concernent des catégories
de personnes en situation difficile, sur le plan physique ou financier.
Par exemple, le Médiateur a suggéré, par
la proposition de réforme STR 94.03, que les personnes
qui sont bénéficiaires de l'allocation de logement
puissent la percevoir, même lorsque son montant mensuel
est inférieur à 100 F. En effet, en application
de règles fixées par décret, il n'est pas
procédé à son versement en deçà
de ce seuil. La règle de gestion administrative de non-versement,
chaque mois, de " petites " sommes a pour effet de priver
les personnes concernées d'une prestation d'un montant
non négligeable, puisqu'il peut atteindre plus de 1 000
F par an. Ces personnes, dont les ressources sont souvent modestes,
ne peuvent ainsi bénéficier d'aucune aide au logement.
Le Médiateur, pour remédier à ces difficultés,
a proposé l'institution d'un versement semestriel ou annuel
de cette allocation. Mais, pour des raisons budgétaires,
le ministère ne semble pas vouloir prendre cette proposition
en considération.
D'autre part, l'action du Médiateur de la République
a porté sur la situation des appelés au service
national qui, pendant leur service, subissent un accident ou contractent
une maladie. Il a demandé que soit améliorée
leur prise en charge par la proposition de réforme DEF
94.01.
Il a également souhaité que soit facilité
l'octroi du macaron " Grand Invalide Civil " par la
proposition de réforme AGE 94.01 aux titulaires d'une carte
d'invalidité. Lorsque le préfet, sur avis de la
Commission départementale d'éducation spéciale
(CDES) ou de la COTOREP, refuse d'accorder le macaron et que la
décision est contestée, le recours donne lieu à
une procédure spéciale. Une nouvelle expertise médicale
a lieu, menée par un médecin désigné
par accord des parties. Les frais sont supportés par la
personne handicapée, quelle qu'en soit l'issue, ce qui
est apparu peu justifiable au Médiateur. D'autre part,
le macaron est attribué pour la même durée
que la carte d'invalidité. Or, dans la pratique, certaines
personnes sont astreintes à en demander régulièrement
renouvellement, alors que le handicap dont elles souffrent n'est
pas susceptible d'amélioration. Ces tracasseries injustifiables
devraient être évitées.
Par ailleurs, à l'occasion de la proposition AGE 94.06,
le Médiateur a appelé l'attention des autorités
compétentes sur l'accès aux concours administratifs
des handicapés. La procédure auprès des COTOREP
pour bénéficier d'un aménagement des épreuves
est particulièrement longue et fastidieuse au regard des
stricts délais d'inscription imposés par les organisateurs
des concours. Dans ces conditions, les personnes concernées,
qu'elles soient légèrement ou gravement handicapées,
ne sont pas toujours dans une situation équitable par rapport
aux autres candidats.
Dans un tout autre domaine, celui de l'efficacité des services
publics, la proposition de réforme AGE 94.02 a trait à
la modernisation des modes de paiement. Alors que l'utilisation
de la carte bancaire s'est généralisée dans
la quasi-totalité du secteur privé, elle est très
peu répandue dans les services publics. Cette situation
est particulièrement mal ressentie. De plus, elle contribue
à véhiculer une image peu flatteuse du secteur public.
Le Médiateur a donc proposé d'envisager l'équipement
en matériel adapté des services publics les plus
fréquentés par les administrés, c'est-à-dire
ceux qui délivrent les titres liés à la conduite
automobile et à l'identité, ainsi que ceux qui participent
à la protection de la santé. On peut d'ailleurs
noter que des efforts ont été accomplis dans le
secteur hospitalier.
La proposition de réforme ED 94.01 a pour objet une clarification
des règles relatives aux inscriptions aux concours de recrutement
du personnel enseignant de l'Éducation nationale. Ces inscriptions
peuvent avoir lieu par minitel. Or, il est apparu au Médiateur
que la juxtaposition de l'inscription télématique,
facultative, mais vivement encouragée par les services,
et de l'inscription traditionnelle sur dossier pouvait semer le
doute dans l'esprit des candidats sur les avantages respectifs
de ces deux modes d'inscription. D'autre part, tous les candidats
ne peuvent être traités également, l'inscription
télématique devant être effectuée plus
tôt. Enfin, une incertitude persiste sur la valeur juridique
de l'inscription télématique. Le Médiateur
a demandé qu'une nouvelle réflexion soit menée
sur cette question.
Dans sa proposition de réforme JUS 94.03, le Médiateur
de la République s'interroge, comme l'avait fait son prédécesseur
en 1991, sur les garanties de procédure offertes aux personnes
poursuivies pour avoir commis des contraventions. Tout d'abord,
les modalités de notification des contraventions et des
avertissements demeurent incertaines. Parfois, le contrevenant
peut être soumis à une majoration de son amende,
sans avoir jamais eu connaissance de sa contravention, laquelle
ne fait l'objet que d'un procès-verbal sur le pare-brise,
et d'un avertissement envoyé par lettre simple. Ensuite,
lorsque la contravention donne lieu à une ordonnance pénale,
les intéressés rencontrent des difficultés,
dues au manque d'information et de clarté sur les possibilités
de recours ou sur les liens entre la condamnation elle-même
et la procédure de recouvrement des amendes. Enfin, il
n'est pas certain que l'administré dispose, dans tous les
cas, du droit à un procès équitable, comme
le prévoit l'article 6-1 de la Convention Européenne
des Droits de l'Homme.
Par ailleurs, le Médiateur s'est interrogé sur la
possibilité d'une meilleure réparation des préjudices
subis par les administrés.
Tout d'abord, dans sa proposition AGE 94.03, le Médiateur
a souhaité que le régime de responsabilité
des services postaux soit assoupli et évolue dans le sens
d'une meilleure réparation des préjudices subis
par les usagers. Le régime actuel, qui consacre une certaine
irresponsabilité de la Poste, n'est plus compatible avec
les règles applicables à la responsabilité
de la puissance publique, ni avec le nouveau statut de la Poste.
Ensuite, le Médiateur invite à une réflexion
à propos du dispositif actuel d'indemnisation en matière
de remembrement rural. Il s'agit, en effet, de parfaire un système
actuellement restrictif, tout en conciliant le droit de la propriété
et la finalité des opérations de remembrement par
la proposition de réforme AGE 94.05.
Il en est de même de la réglementation pour la protection
des travailleurs salariés des entreprises qui réalisent
des travaux d'accès difficile (STR 94.05) dont les règles
sont fixées par un décret de 1965, inadaptées
aux techniques modernes d'intervention et à la directive
de juin 1992 du Conseil de la Communauté Européenne.
Enfin, les conditions de saisie par les créanciers
alimentaires des allocations chômage et d'adulte handicapé
font l'objet d'un examen qui aboutira vraisemblablement à
une proposition de réforme.
Réunions interministérielles tenues à l'Hôtel
Matignon sur les propositions de réformes du Médiateur
de la République, sous la présidence de Monsieur
Jean PROT, Conseiller Technique au Cabinet de Monsieur André
ROSSINOT, ministre de la Fonction Publique, en présence
de Monsieur Jean-Eric SCHOETTL, Directeur au secrétariat
général du Gouvernement et de Monsieur Antoine JARRIGE,
chargé d'y suivre les questions concernant le Médiateur
de la République :