C'est oublier que la justice est également un service public
géré par le ministère de la justice; le fonctionnement
de ce service public peut, comme celui de tout autre service public,
connaître des dysfonctionnements et justifier une intervention
du Médiateur de la République.
I. LE MÉDIATEUR NE PEUT INTERVENIR
POUR INFLUENCER UNE DÉCISION MAIS IL PEUT TOUJOURS DEMANDER
DES RENSEIGNEMENTS
A. L'INDÉPENDANCE DE L'AUTORITÉ JUDICIAIRE EXCLUT
TOUTE INTERVENTION DU MÉDIATEUR AUPRÈS DES JURIDICTIONS
Le Médiateur ne peut donc se substituer aux juridictions
pour les actes relevant de leur compétence, en raison de
leur indépendance constitutionnelle, mais il dispose de
la possibilité d'intervenir auprès du garde des
sceaux, ministre de la justice, qui exerce son autorité
sur les procureurs des cours et tribunaux.
1. Une impossibilité d'intervenir auprès des
juridictions pour influencer une décision ou remettre en
cause une décision de justice
Cependant, il n'est pas rare qu'à l'occasion d'un litige
opposant deux personnes privées, il soit demandé
au Médiateur de la République d'intervenir auprès
d'une juridiction pour obtenir la remise en cause d'une décision
de justice.
En application de l'article 11 de la loi de 1973, le Médiateur
n'aura pas compétence pour envisager une quelconque intervention
en ce sens.
Dans le même ordre d'idées, il ne peut s'adresser
à un juge d'instruction pour obtenir la mise en liberté
d'un détenu ou, dans le sens inverse, la prolongation de
son incarcération. Les réclamations adressées
par des détenus qui clament leur innocence et demandent
une intervention du Médiateur pour obtenir leur mise en
liberté ne relèvent pas de sa compétence.
2. Une possibilité d'intervenir auprès du garde
des sceaux
Les juridictions ne sont pas composées exclusivement de
magistrats chargés de juger les affaires soumises aux tribunaux.
À leurs côtés, il y a les magistrats du parquet,
placés sous la direction et le contrôle de leurs
chefs hiérarchiques qui sont eux-mêmes sous l'autorité
du garde des sceaux, ministre de la justice.
En effet, une des caractéristiques de l'appareil judiciaire
français est la présence auprès de toutes
les juridictions judiciaires de première instance et d'appel
d'un " ministère public ou parquet " dont les
représentants sont " reliés " au garde
des sceaux, ministre de la justice.
Dans l'exercice de leurs attributions, ces magistrats ne prononcent
pas de décisions juridictionnelles. La question se posait,
dès lors, de savoir quels étaient, à leur
égard, les pouvoirs du Médiateur.
À l'occasion d'une réponse à une question
parlementaire en 1976, le Premier ministre devait indiquer : "
la limitation des pouvoirs du Médiateur... s'applique aux
décisions du ministère public prises dans le cadre
d'une procédure engagée devant une juridiction,
et notamment à ses réquisitions et à ses
conclusions; en revanche, rien ne paraît s'opposer à
ce que le Médiateur adresse au ministère de la justice
les doléances qu'un citoyen aurait à formuler à
l'encontre des autres décisions du ministère public
".
Une telle démarche, qui ne peut revêtir qu'un caractère
exceptionnel, doit être effectuée auprès du
garde des sceaux, ministre de la justice qui décidera éventuellement
de saisir les magistrats du parquet, plus spécialement
les procureurs généraux des cours d'appel, sans
pouvoir toutefois exercer, à leur place, leur pouvoir propre.
Outre les possibilités d'interventions que la loi a confiées
au Médiateur, celui-ci peut toujours informer le réclamant
des procédures que les lois sont susceptibles de lui offrir
(Réclamation no 92-4331).
À l'occasion de l'ouverture d'un compte bancaire, un réclamant
devait apprendre qu'il était interdit bancaire à
la suite de l'inscription sur son casier judiciaire de condamnations
pénales pour émission de chèques sans provision.
Il se souvint alors qu'il avait été victime du vol
de ses papiers d'identité. Pressentant que ses difficultés
actuelles pouvaient être liées à ce vol, il
entreprit des démarches auprès des autorités
judiciaires dont il était sans nouvelles, lorsqu'il a saisi
le Médiateur.
Conformément aux dispositions pénales en vigueur,
l'intéressé qui n'avait pas été informé
des poursuites pénales engagées à son encontre,
a demandé - et le Médiateur l'a accompagné
dans ces démarches - un nouvel examen de chacune des infractions
qui lui avaient été reprochées. Il a finalement
été relaxé.
B. LE MÉDIATEUR PEUT TOUJOURS DEMANDER DES RENSEIGNEMENTS
CONCERNANT UNE PROCÉDURE.
Une distinction s'impose entre les procédures civiles et
pénales. Les renseignements concernant une procédure
civile au sens large (commerciale, prud'homale...) peuvent être
demandés aux greffes des tribunaux.
Mais dans les affaires de type civil, l'interlocuteur souvent
le mieux renseigné, sera l'avocat.
Une plus grande difficulté existe pour les renseignements
concernant une procédure pénale.
Au cours de la phase préparatoire du procès pénal,
la loi impose le secret de l'enquête et de l'instruction.
Ce principe est inscrit dans l'article 11 du code de procédure
pénale aux termes duquel " sauf dans les cas où
la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits
de la défense, la procédure, au cours de l'enquête
et de l'instruction est secrète ".
La question peut dès lors se poser de savoir si le Médiateur
peut demander à être informé, pour une enquête
en cours, de l'état de son avancement et de la nature des
investigations menées.
L'article 13 de la loi instituant le Médiateur de la République
prévoit que le caractère secret ou confidentiel
des pièces dont il demande la communication ne peut lui
être opposé, sauf en matière de défense
nationale et de sureté de l'État.
L'application combinée de ces textes prête toutefois
à interprétation, et c'est la raison pour laquelle
le Médiateur suit très attentivement les débats
menés à l'initiative du Parlement sur le secret
de l'enquête et de l'instruction afin d'enrichir la réflexion
sur ce thème.
Si le plaignant sollicite une intervention parce qu'il est sans
nouvelles d'une plainte qu'il a déposée, il est
possible pour le Médiateur de s'adresser au garde des sceaux,
ministre de la justice qui pourra demander au procureur de la
République de le renseigner sur le sort réservé
à la plainte déposée auprès du commissariat
de police ou auprès du parquet.
En conclusion, les renseignements recueillis vont, dans certains
cas, mettre en évidence un dysfonctionnement de l'administration
de la justice susceptible alors de justifier l'intervention du
Médiateur.
II. LE MÉDIATEUR ET
LES DYSFONCTIONNEMENTS DE L'ADMINISTRATION DE LA JUSTICE
L'article 1er de la loi de 1973 donne compétence au Médiateur
de la République pour recevoir les réclamations
concernant le fonctionnement de tous les services publics; rien
n'empêche donc que le Médiateur connaisse du fonctionnement
des tribunaux. Une distinction mérite d'être faite
entre les dysfonctionnements en matière pénale et
ceux constatés en matière civile.
A. LES DYSFONCTIONNEMENTS EN MATIÈRE PÉNALE
1. Parfois, des dossiers égarés
Dans ce cas, en liaison avec le parquet compétent, la procédure
de reconstitution du dossier prévue par les article 648
et suivants du code de procédure pénale est engagée.
Le dossier, une fois reconstitué, est appelé une
nouvelle fois à l'audience.
Si l'issue de cette procédure ne permet pas au réclamant
d'obtenir une nouvelle décision, une démarche en
vue d'une indemnisation sera engagée auprès du ministère
de la justice.
2. Des victimes non convoquées au procès pénal
Actuellement, plusieurs réclamations sont en cours d'instruction
émanant de victimes d'infractions qui, après avoir
déposé plainte au commissariat ou même directement
auprès du procureur de la République, restent sans
nouvelles de l'issue de l'enquête.
Elles apprennent de longs mois plus tard, à l'occasion
d'une démarche qu'elles font au tribunal, que l'auteur
de l'infraction a été condamné sans qu'elles
aient été convoquées et en mesure de demander
réparation du préjudice subi.
Dans un premier temps, une intervention est menée auprès
du procureur de la République afin de rechercher les raisons
pour lesquelles les intéressés n'ont pas été
convoqués.
En fonction des réponses reçues, il conviendra de
rechercher si une démarche en vue d'obtenir du ministère
de la justice une indemnisation peut être envisagée.
Toutefois, en marge de l'instance pénale - au cours de
laquelle elle peut demander réparation du préjudice
subi - la victime dispose également de la voie civile;
ce qui signifie qu'elle pourra s'adresser, même après
la décision condamnant pénalement l'auteur de l'infraction,
à la juridiction civile pour obtenir réparation
de son préjudice.
B. LES DYSFONCTIONNEMENTS EN MATIÈRE CIVILE
Dès ses premiers rapports, le Médiateur indiquait
recevoir des réclamations attirant son attention sur la
lenteur des procédures juridictionnelles et il précisait
qu'il considérait pouvoir " être tenu informé
du fonctionnement des juridictions " et trouver " sa
pleine compétence pour intervenir lorsque lui sont dénoncées
les lenteurs apportées par les tribunaux pour l'examen
des litiges soumis à leur examen. " (rapport 1975).
Le Médiateur continue d'être saisi et intervient
dans les réclamations de cette nature.
Dans un autre domaine, le Médiateur de la République,
courant 1986, avait attiré l'attention du garde des sceaux
sur les conditions d'accueil des couples lors des audiences de
conciliation. Tous les couples, dont l'affaire était évoquée
dans la demi-journée, étaient convoqués à
la même heure et attendaient leur appel dans une même
salle.
Le Médiateur avait souhaité une amélioration
des convocations, étalées sur la durée de
l'audience ou, tout ou moins, un ordre du jour de l'audience communiqué
aux intéressés afin qu'ils puissent prendre leurs
dispositions, et un aménagement des locaux d'accueil afin
que les contacts et discussions entre les parties et leurs conseils
puissent se dérouler avec un minimum de discrétion.
Le garde des sceaux, ministre de la justice de l'époque,
avait alors adressé aux chefs de juridictions une circulaire
concernant les conditions d'accueil, invitant à réduire
les attentes imposées aux justiciables comme à leurs
conseils.
Dans le même ordre d'idées, l'intervention du Médiateur
de la République se justifie chaque fois qu'un justiciable
s'adresse à une juridiction et que le courrier reste sans
réponse. Même dans l'hypothèse où la
demande présentée par l'intéressé
ne peut être satisfaite, il incombe à l'administration
de la justice de le faire savoir.
Enfin l'attention du Médiateur est également attirée
sur des difficultés liées à la reconnaissance
de la nationalité française.
En France, les greffiers en chef des tribunaux sont compétents
pour reconnaître la nationalité française
à ceux qui s'en prévalent. Il s'agit là d'une
compétence administrative, le refus de délivrance
d'un certificat de nationalité étant susceptible
de recours gracieux devant le garde des sceaux, ministre de la
justice.
Une volonté déjà ancienne se manifeste d'assurer
à ceux qui sont destinataires d'un certificat de nationalité
un maximum de sécurité, ceci afin d'éviter
que ce document puisse par la suite être remis en cause.
Ce souci légitime de sécurité est à
l'origine de délais très longs pour obtenir la délivrance
d'un certificat de nationalité; les intéressés
ne le comprennent pas toujours. Le Médiateur peut alors
faciliter l'instruction des dossiers.
Enfin, la complexité de la combinaison des règles
applicables à une personne qui sollicite la délivrance
d'un certificat de nationalité française peut être
source d'appréciation inexacte ou de dysfonctionnements
qui justifieront l'intervention du Médiateur.
En conclusion, seule une approche pragmatique, consistant à
analyser la nature de l'intervention demandée au Médiateur
de la République et sa " faisabilité "
juridique au regard de l'indépendance respective du Médiateur
et des juridictions, permet de savoir si l'intervention sollicitée
peut être envisagée.
C'est dans cet esprit et grâce à un comportement
de responsabilité que les médiateurs successifs
ont réussi, chacun à sa manière, sans heurter
l'ordonnancement juridictionnel qui est le nôtre, à
apporter aux citoyens un complément de garanties, face
aux pouvoirs de l'Administration.
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